Rencontre avec Nicolas Philibert, auteur, avec "Sur l'Adamant", d'un documentaire remarquable qui sort cette semaine sur nos écrans, sur un centre de jour original accosté sur la Seine à Paris.
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L'Adamant est un centre de jour unique en son genre: c'est un bâtiment flottant. Édifié sur la Seine, en plein coeur de Paris, il accueille des adultes souffrant de troubles psychiques, leur offrant un cadre de soins qui les structure dans le temps et l'espace, les aide à renouer avec le monde, à retrouver un peu d'élan. L'équipe qui l'anime est de celles qui tentent de résister autant qu'elles peuvent au délabrement et à la déshumanisation de la psychiatrie. Il s'agit du premier volet d'un triptyque imaginé par Nicolas Philibert, l'auteur de "Être et avoir", déjà primé pour nombre de ses films documentaires, qui comprendra ensuite une plongée dans un centre plus traditionnel, le troisième suivant des patients de l'Adamant à leur domicile cette fois. Le journal du Médecin: quelle est l'importance de l'eau qui entoure l'Adamant dans la thérapie? Nicolas Philibert: D'après ce que disent certains patients, l'eau a une fonction apaisante. Au-delà de la proximité de l'eau, j'ajouterais l'Adamant lui-même, qui est un bel endroit, lumineux, avec des grandes baies vitrées. Et puis il y a le fleuve qui coule, qui change de couleur selon les saisons, les nuages, le temps. L'eau qui change d'humeur comme tous les patients, de couleur. C'est toujours un peu hypnotique de regarder l'eau qui coule. On est en mer en plein coeur de Paris, l'impression d'être ailleurs. Sur l'Adamant, on a le sentiment que ce lieu lui-même a une dimension soignante. En même temps, personne ne mentionne la Seine ou ne parle de l'eau dans votre documentaire, sauf François qui parle de se jeter dedans... Ce n'est pas parce qu'on se trouve au bord de l'eau qu'on va constamment l'évoquer. Mais en tout cas, j'ai l'impression que c'est un lieu attractif pour les soignants comme pour les patients. Ce sentiment d'être à la fois au coeur de Paris et en même temps ailleurs, à voir les péniches, les vedettes et tout ce trafic fluvial. Vivant à Paris, on est, en général, éloigné de cela, plutôt dans le tumulte de la circulation. De même, personne ne largue vraiment les amarres, on reste quand même un peu à quai. Ce n'est pas un bateau, l'Adamant est un bâtiment flottant: il ne navigue pas, ne possède pas de moteur. Ce n'est pas une île, plutôt une presqu'île, parce qu'elle reste attachée au continent. Tout à fait. Il ne s'agit pas d'un lieu fermé sur lui-même, mais ouvert, grâce à sa passerelle. Ouvert au sens où c'est un lieu en prise avec la cité et avec ce qui se passe dans le monde. Un lieu effervescent. L'équipe soignante se révèle très inventive, dynamique, motivée, à l'écoute. Il y a une très grande porosité au monde. Elle y invite toutes sortes d'intervenants, un cinéaste par exemple, avec sa caméra (rires). Ceci alors que la plupart des lieux de la psychiatrie sont des lieux fermés, repliés sur eux. C'est un lieu apaisant et l'un des patients évoque le désir d'être là. C'est essentiel. Cette façon de soigner, qui est celle de l'Adamant et d'autres lieux qui s'inspirent un peu de la même philosophie, pratique une psychiatrie où il s'agit au fond de redonner de l'élan aux personnes qui viennent, du désir, de chercher à recréer du lien. Ce qui est souvent abîmé chez ces personnes, c'est le lien au monde, qu'il s'agit de renouer. Ce qui est frappant, c'est que soignants et soignés ne sont jamais assis face à face, mais côte à côte. Absolument, Ils ne sont pas en opposition, ils inventent le quotidien de cet endroit. Le bar est cogéré par un soignant et un soigné, et les réunions animées de même par un soignant et un soigné, comme les ateliers. Un patient peut être à l'initiative d'une sortie: on se réunit, on échafaude des projets ensemble ; on se situe dans l'initiative et pas dans le directif vertical. Plus que l'eau, le café est important: on le voit tout le temps et il en est beaucoup question... Oui, et ce n'est pas n'importe quel café. Dans de nombreux endroits, il y a le mauvais café pour les patients et le bon café pour les soignants. Les chiottes dégueulasses pour les usagers et les toilettes pour l'équipe. Là, on partage tout, y compris le café. Il n'y a pas de lieu fermé sur l'Adamant, les patients et tout un chacun peuvent circuler. Vous pensez que la caméra a une vertu thérapeutique pour eux? Et en a-t-elle une pour vous? Oui. Presque à notre insu, notre caméra, notre présence à animer, réanimer certains, à donner envie à certains de dire des choses qu'ils avaient envie de faire entendre, de donner à entendre. Nous avons été très bien acceptés du début à la fin, alors que le tournage s'est étalé sur sept mois. Certains ont trouvé que c'était un peu étouffant et lourd, mais en tout cas, on ne nous l'a jamais fait savoir, comprendre ou sentir. Nous avons été vraiment acceptés d'une façon souriante par les uns et les autres. Au moment du tournage comme aujourd'hui: tous ont vu le film, certains déjà trois ou quatre fois. Ils sentent que le film, son tournage, ont fait du bien à certains, y compris à des personnes qui ne sont pas dans le film, mais pour qui notre présence constituait une animation. Il y a des gens qui ont d'emblée exprimé le souhait de ne pas être dans le film, mais ça ne m'a pas empêché d'entretenir des relations très cordiales avec ces personnes. SUITE DANS LE JDM DU 1er JUIN 2023