Le musée Folkwang d'Essen en Allemagne célèbre son 100e anniversaire en déployant une fastueuse exposition, laquelle confronte deux collections.
...
Premier musée d'art moderne créé en Allemagne en 1922, le musée Folkwang de Essen doit son existence à un collectionneur de Hagen, Karl Ernst Osthaus, petite ville de la région de la même Ruhr non loin d'Essen, qui ne voulut pas prendre en charge l'héritage que cet amateur d'art éclairé entendait laisser à sa ville natale en échange d'un musée. Ce fils d'industriel fortuné qui se tourna vers l'esthétisme après des études en philosophie et histoire de l'art, entendait procurer aux ouvriers des forges familiales la possibilité de s'élever par l'art et la beauté. Ce fin connaisseur et son épouse, qui s'entourèrent de notre compatriote Henri van de Velde pour constituer cette collection d'art d'abord globale et totale, mais avant tout d'impressionnismes français (au début du siècle dans l'Allemagne en conflit ouvert avec la France) ; collection dont les deux tiers furent déclarés comme art dégénéré par les nazis, montrés dans une exposition didactique à ce sujet par le Reich, et puis vendus à l'encan par les mêmes. Conservée et patiemment reconstituée par la suite en partie, cette collection qui embrasse le mouvement impressionniste, fauviste, pointilliste et postimpressionniste, est mise en parallèle d'une autre, venue du Japon. Une collection qui, sur beaucoup de points, ressemble à celle de l'esthète allemand: elle est le fruit de la volonté d'un riche industriel japonais, Kojiro Matsukata qui vendit à l'aune de la modernisation du Japon nombre de navires notamment de guerre de marque Kawasaki à l'armée japonaise. La modernité japonaise fut à l'époque également synonyme d'ouverture à l'art occidental, alors que Osthaus s'intéresse pour sa part à l'art chinois et japonais comme le démontrent dans l'expo de très belles estampes, notamment de Korenobu du 17e et des anciens masques du théâtre No. Comme l'Allemand, le riche Japonais se fait conseiller, par Frank Brangwyn (dont on découvre un portrait de son employeur et deux marines en début d'expo), artiste d'origine brugeoise installé en Angleterre, et Léonce Bénédite, premier directeur du musée Rodin à Paris. Comme l'Européen, l'Asiatique visitera les artistes dans leurs ateliers. Par contre, chez lui, aucune volonté d'éducation par l'art affichée, juste un souci de spéculation. Mais tout comme Osthaus en 1917 qui connut, à cause de la guerre, des difficultés financières et dû vendre une partie de sa collection, Matsukata s'en trouvera déposséder à la fin de la Deuxième Guerre cette fois, une grande partie de ses oeuvres étant stockées à Paris et Londres afin d'éviter les tarifs douaniers prohibitifs pratiqués sur les oeuvres d'art considéré comme un produit de luxe par l'Archipel. La France s'en saisira vers la fin de la guerre, ne rétrocédant que dix ans plus tard un tiers des mille oeuvres de cette collection au Japon, contre l'obligation de créer à Tokyo un musée dédié à l'art moderne occidental dont Le Corbusier concevra le bâtiment. D'ailleurs, cette exposition y séjournera ensuite au mois de juin. Ce ne sont pas les images d'un monde flottant, mais celui fluide où les oeuvres circulent entre France, Allemagne, Japon par les soins de conseillers, d'amateurs et d'armateurs d'art, oeuvres des mêmes artistes. Chez Osthaus, Lise - La femme à l'ombrelle de Renoir - grande toile qui voisine avec le portrait par le même artiste de Gertrud son épouse, très impliquée dans la constitution de sa collection -, voisine avec un Gauguin de la période bretonne, Les ramasseuses de varech en 1889, mais également avec une oeuvre plus inattendue et pointilliste de Maximilien Luce L'aciérie, ou un superbe Jardin au soleil du même courant, toile rare... d'Henri Van de Velde. Osthaus se veut même mécène des artistes allemands comme Christian Rohlfs, peu connu chez nous, mais dont La forêt de bouleaux évoque à la fois Signac par le trait et Schmazigaug par la composition aux accents abstraits voire futuristes, et ce dès 1907. Quelques raretés également chez le collectionneur allemand comme cette Explosion, petit tableau attribué à Manet en 1871 évoquant l'épisode tragique de la Commune. Dans un accrochage qui propose en bleu les oeuvres de l'Allemand et en jaune (hum! ) celle du collectionneur nippon, une Rise of Dawn préraphaélite de Dante Rossetti - une figure féminine idéalisée, chez Matsukata répond chez Osthaus un Parisiennes habillées en Algérienne de Renoir, inspiré de Delacroix et son pinceau dansant. Manet a les faveurs des deux amateurs, pour sa lumière ( Portrait de Faure dans le rôle d'Hamlet, pas son meilleur, pour Osthaus par exemple, celui de Monsieur Brun chez Matsukata), contrastant avec leurs environnements respectifs: industrieux, industriels et noirs de cheminées. A ce sujet, La serveuse de Bock est prêtée chichement par le musée d'Orsay, détenteur actuel du reste de la collection nipponne. Ce qui est devenu un musée et fut une gare devait au départ accueillir un musée des arts décoratifs, dont Rodin avait été chargé de réaliser la monumentale porte d'entrée. Pour le sculpteur, épris de l'oeuvre de Dante, celle des Enfers convenait à merveille: lorsque le projet échoua, l'artiste fit de chacun de 200 motifs grouillant sur la porte imaginée (une réponse à la porte du Paradis du Baptistère de Florence?) une sculpture à part entière qu'il vendit séparément en multiple: les deux collectionneurs en acquirent chacun en nombre dont un Saint Jean Baptiste d'une virilité classique et une émouvante cariatide un chapiteau sur l'épaule. L'expo évoque les marines de Courbet et Daubigny et l'école de Barbizon dont chacun des deux amateurs éclairés posséda un exemplaire aux ambiances très Caspar Friedrich: leur font face une oeuvre aérienne et contemporaine de Chiharu Shiota qui voit deux squelettes de bateau voguer sur une mer de pétales rouges dan une installation aérienne: image d'un monde flottant. Le symbolisme n'est donc pas absent dans la collection de Matsukata avec la figure de Maurice Denis qui signe une danse classique en 1905 et une Vierge au baiser néo renaissante. Millet étonne également, avec un Printemps d'un classicisme que l'on ne lui connaissait pas: on lui préfère, un peu plus loin, un dessin fantastique de meules de foin qui semblent annoncer celle de Monet. Pour revenir à Osthaus, lors de à la réouverture du musée de Essen en 1963 après sa destruction durant la guerre, le premier conservateur Paul Vogt entreprit de compléter la collection: il acquis ainsi deux Monet superbes ; un Bassin aux nymphéas à Giverny bien sûr, et un Portail, brouillard matinal de la cathédrale de Rouen. Matsukata en acquis pour sa par plus de 30 (cinq sont montrés) dont un émouvant Neige à Argenteuil, aux côtés de deux paysages de Courbet et Corot. L'expo compare notamment le fameux La moisson de Van Gogh peint à Saint-Rémy de Provence par Vincent un an avant sa mort et dont le faucheur symboliserait la fin à venir, issu des collections Osthaus aux côtés d'un Pissaro étonnant intitulé La récolte de la collection Matsukata: un mélange de Renoir, de fauvisme à la Gaugin et de pointillisme. Un pointilliste qui a les faveurs du collectionneur allemand notamment Signac qui signe un Port de Saint-Tropez et une vue de Saint-Cloud irradiants de couleurs que l'on dirait pixelisées. Ses aquarelles et celles d'Edmond Cross sont magnifiques de contraste, tout comme cette toile pleine d'atmosphère signée van Rysselberghe, Claire de lune à Boulogne-sur-Mer - qui doit autant à Seurat, qu'aux peintres du silence belges et qui en 1900 semble annoncer Spilliaert. Le fauvisme personnifié par Bonnard ( L'oliveraie), Cézanne ( La carrière de Bibémus) et bien sûr Gauguin a aussi les faveurs de Osthaus et celles de Matsukata qui acquit notamment un étonnant Baignade à Dieppe de jeunesse 1885 qui renvoie à son maître Boudin, loin des érotisants contes premiers à venir sous les tropiques. Cette très belle et éloquente exposition se termine sur la confrontation entre le portrait de Petites Bretonnes au bord de la mer 1889 par Gauguin presque d'un expressionniste flamand, une acquisition de Matsukata, face au Portrait d'Armand Roulin par van Gogh de la collection Osthaus. Finalement, plus que la mise en rapport de deux collections, il s'agit surtout du portrait de deux collectionneurs