Situé le long de la gare, Plateforme 10 se veut en effet le quai qui accueille l'imposant convoi des arts, à Lausanne.
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Précédemment situé dans le Palais de Rumine en haut de la ville - bâtiment de style néo-renaissant offert après son décès précoce par un prince russe à la ville -, le musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne a migré juste à côté de la gare imposante et magnifique. Son somptueux buffet dans un parallélépipède gris d'une sobriété toute réformée, conçu par le bureau Estudio Barozzi /Veiga, a remporté divers prix internationaux d'architecture depuis sa réalisation en 2019. Le lieu, d'une grande vastitude, accueille des expositions contemporaines consacrées à de jeunes artistes locaux comme, jusqu'à fin avril, Sarah Margnetti et sa peinture féministe. Il présente, jusqu'à la même date, une collection de dessins de Balthus (le musée abrite un fonds consacré à l'artiste), essentiellement des nus et quelques beaux paysages italiens. Enfin, jusqu'à fin mai, une exposition de l'artiste suisse Silvie Defraoui, multidisciplinaire et utilisant énormément la vidéo, la photo détournée, le collage, dans une oeuvre hantée par la perte et le souvenir. À cela s'ajoute encore et toujours, jusqu'à la fin du mois suivant, "Poems of Change", deuxième édition de la biennale "Jardin d'hiver" consacrée à la jeune création contemporaine de la région qui, comme souvent dans ce genre de proposition, propose de tout... et n'importe quoi. La collection proprement dite du musée couvre tout un étage (ils sont trois). Elle débute ou presque par une adoration de l'entourage de Pieter Coecke van Aelst pour la peinture religieuse du début de la Renaissance, passe par les paysages du 18e, évoque la peinture d'histoire suisse avec notamment le style pompier de Charles Gleyre et exhibe les visions naturalistes et romantiques chantant l'Helvétie au 19e, oeuvres de François Diday et Alexandre Calame. Pas de Fuseli en vue dans cette collection mais un "Marteleur", sculpture de notre Constantin Meunier national, présent au même titre que Rodin et Bourdelle. Le 19e s'achevant, la collection se révèle plus intéressante, mettant en exergue le parcours et la carrière du Lausannois Félix Vallotton et plus tard d'autres Suisses comme Paul Klee, ou encore Giacometti, dont l'un des fameux hommes debout à défaut d'être en marche, garni l'un des espaces. Des artistes locaux moins connus mais intéressants sont également accrochés: Alice Bailly et son cubisme serein ou Gustave Buchet, auteur d'un futurisme qui mériterait d'être plus connu. Ils côtoient des oeuvres de Monet, Matisse, Bonnard, toutes d'excellente facture, avant que l'expo permanente ne se poursuive sur une deuxième partie consacrée à l'art contemporain, introduit par un paysage suisse et alpin signé Kokoschka. De Broodthaers, à Cy Twombly, de Penone à Soulages, de Nam June Paik à Kapoor ou Bruce Nauman, de Dubuffet à Karl Appel, l'on croise également au passage, parmi ces grands noms, d'autres artistes suisses - mais pas Jean Tinguely, bizarrement -, dont Olivier Mosset au travers d'un grand monochrome rouge. L'oeuvre la plus émouvante et sidérante de la collection est sans doute celle d'Alfredo Jaar, artiste chilien qui, à la manière de l'oeuvre mémorielle d'un Boltanski, évoque le génocide rwandais en alignant une série impressionnante de boîtes de photographies, fermées, dont seul l'intitulé inscrit sur le carton décrit le contenu. À savoir, le nom des personnes figurant sur les photos que l'on ne verra pas, et décédées durant ou après les massacres. Une boîte noire pour dire l'indicible, un mausolée, un mémorial sidérant d'une grande sobriété et, se faisant, d'une splendide gravité.