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L'interleukine-6 (IL6) retient actuellement toutes les attentions dans la lutte contre les répercussions du Covid-19. Cette piste apparaît en effet comme hautement prometteuse depuis que l'étude Recovery a révélé que le blocage de l'IL6 peut abaisser la mortalité associée au Sars-Cov-2.(1) L'IL-6 peut par exemple être retirée du sang par filtrage chez les patients bénéficiant d'une oxygénation par membrane extracorporelle veino-veineuse (OMEC-vv) dans le cadre d'une infection Covid-19 sévère. Cette technique consiste à dévier le sang du corps pour lui apporter de l'oxygène (et le débarrasser du CO2) avant de le réintroduire dans la circulation ; elle offre une alternative lorsque les poumons sont si gravement atteints qu'une ventilation mécanique ne permet plus d'obtenir des échanges gazeux efficaces.(*) Une équipe allemande a tenté cette approche dans une étude exploratoire randomisée portant sur 34 patients (2), dont 17 ont bénéficié d'une Omec-vv "ordinaire" (groupe contrôle). Chez les 17 autres (groupe traité), le circuit Omec a été équipé d'un appareil Cytosorb capable d'adsorber les molécules hydrophobes dans une fourchette de 5-55 Da, dont notamment les cytokines, la myoglobine et divers médicaments. Des publications antérieures consacrées à d'autres maladies donnent à penser que l'adsorption des cytokines pourrait abaisser les taux d'IL6 dans le sang, avec à la clé un effet bénéfique sur la survie. En 2020, la FDA a même accordé " une autorisation d'utilisation dans les situations d'urgence" au CytoSorb dans le cadre du Covid-19. Le dispositif peut être combiné avec différents appareils, dont notamment les machines de dialyse ou les pompes cardiaques utilisées au cours d'une intervention chirurgicale. L'expérience de l'équipe allemande, rapportée dans The Lancet Respiratory Medicine, ne s'est malheureusement pas avérée bien concluante. Une première déception concerne son critère d'évaluation primaire: après 72 heures d'adsorption des cytokines, les chercheurs n'ont observé aucune différence significative entre le groupe traité et le groupe contrôle au niveau des taux d'IL6 (98,6 pg/mL versus 112,0 pg/mL). Cette valeur avait toutefois diminué dans les deux groupes, ce qui pourrait trahir une évolution spontanée. Les résultats étaient plus décevants encore pour le critère d'évaluation secondaire, puisque la survie à 30 jours s'élevait à 18% seulement dans le groupe ayant bénéficié de l'adsorption de cytokines, alors qu'elle était de 76% dans le groupe contrôle (p = 0,0016). La majorité des patients étaient décédés entre 10 et 20 jours après la mise en place de l'OMEC. La possibilité d'abaisser les taux d'IL6 par adsorption des cytokines chez les patients Covid-19 a donné lieu à des résultats contradictoires. Les investigateurs font notamment remarquer que le processus est tributaire de la concentration, alors que les taux d'IL6 dans leur population étaient passablement variables et globalement plutôt faibles en comparaison avec ceux rapportés dans d'autres publications. Un commentaire publié dans The Lancet Respiratory Medicine suggère qu'il pourrait être judicieux de réitérer l'expérience avec des valeurs plus élevées. (3) Au vu des chiffres de mortalité pour le moins inquiétants, il est peu probable que d'autres tentatives d'adsorption des cytokines seront entreprises en combinaison avec l'Omec. Les auteurs pensent que des facteurs protecteurs (encore inconnus) pourraient avoir été éliminés du sang au cours de l'adsorption des cytokines. En tout état de cause, ils ont interrompu le recrutement de nouveaux patients pour l'étude multicentrique qui aurait dû faire suite à leur essai exploratoire. Ils soulignent néanmoins que leurs travaux ne permettent de tirer des conclusions ni concernant l'adsorption des cytokines sans Omec dans le Covid-19 ni concernant l'adsorption des cytokines en combinaison avec l'Omec dans d'autres formes graves de détresse respiratoire aiguë.