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L'Anversois qui désormais débourre les chevaux du côté de Esneux, fait de même avec sa musique qu'il maîtrise, la rend moins fougueuse, plus dominée et calme. Touche-à-tout de génie, lui qui a tâté de la musique contemporaine avec le Winter's tale de Philippe Boesmans, du rock puissant avec Ghinzu, peaufine désormais un univers très personnel, à la fois ample et dépouillé, qui ne manque pas de "selle"... même si ce désormais cow-boy monte à cru. Le journal du Médecin: L'une des inspirations de cet album serait-elle le Nebraska de Springsteen? Je pense à des morceaux comme Palooza ou Melody... Kris Dane: Pas directement. Je suis rarement quelqu'un de fan, même si je connais un peu le travail de Springsteen et d'autres. Mais il est clair que la composition épurée est une forme qui m'a inspiré pour cet album. Avec chacun d'eux, je choisis une direction: je souhaitais à nouveau me tourner vers l'épure narrative, combinaison de mes compositions et d'influences au niveau du son, avec une volonté de ne pas en faire trop, de respecter l'aspect dépouillé. Vous êtes passé d'un univers plutôt rock à des ambiances plus élaguées en effet et atmosphériques... Certes, mais au travers de mes sept albums, cette tendance narrative a toujours été présente. On a l'impression d'une musique pour chevaux à cause de la cadence: celle d'un cheval au pas, au trot et au petit galop... Je vis parmi les chevaux depuis deux ans. J'ai pris l'habitude de jouer souvent devant les box, plutôt que face à un mur: au moins, quelqu'un m'écoute (il sourit). En même temps, il est intéressant de voir la réaction des chevaux face à la musique... positive dans mon cas. Le cheval est comme un enfant, qui comprend tout ce qui vient de l'âme et du coeur. Le titre Palooza fait référence à une race de cheval? Non, car je l'écris avec un z et pas un s comme la race appaloosa. Palooza en argot américain renvoie à un moment excessivement festif et décadent qui dépasse l'entendement. J'ai utilisé ce mot pour parler d'une expérience très personnelle: l'euthanasie de mon père. Une euthanasie à laquelle la famille a été conviée comme une invitation à une fête de famille où l'on vous demande à combien vous allez venir, qui va rester dîner après, combien de pistolets l'on compte manger... Faites-vous de la peinture en musique? Nous, compositeurs, partons d'une toile blanche, accumulons les couches d'instruments, les derniers traits que sont par exemple les overdubs, et, comme en peinture, arrive le moment où il faut pouvoir s'arrêter de retoucher. Neil Young est-il à vos yeux un exemple en termes de parcours, lui qui a touché au rock, au hard au rockabilly à l'électro et joue avec le... crazy horse? Je ne parlerais pas d'exemple, mais je m'en sens très proche: certains artistes qui se permettre d'être très libres sont un peu comme la famille. Ils ont une liberté de ton qui leur permet de choisir leur interprétation en fonction de la période de leur existence, de l'humeur, des circonstances, des événements, personnels ou pas. Tout change tout le temps y compris la personne qui compose. La signature reste la même, malgré la variété de genres, d'autant que ces artistes écrivent eux-mêmes. C'est moins réfléchi que dans le cas d'un groupe: le choix y est plus démocratique et donc justement il faut "composer". Vous composez également des musiques de film? Notamment pour le film de Philippe de Pierpont Elle pleure pas elle chante. Mais je reste vigilant quant aux collaborations au cinéma voire au théâtre, car j'aime ma liberté, avoir le contrôle. Il y a deux voies possibles lorsque l'on vit de et pour la musique: soit construire son propre studio, le remplir de matos, afin de pouvoir travailler quand on le souhaite, au risque d'accepter toutes les musiques de film ou de théâtre parce que disposant de l'infrastructure adéquate ; j'ai frôlé ce cas de figure avant de prendre l'autre option. J'en suis revenu au minimum vital et musical: je ne possède quasiment plus d'amplis, mais je peux écrire un album dans une chambre d'hôtel avec ma guitare ou un piano. Votre univers évoque par moment celui de J.J. Cale... S'il y a bien un artiste dont je suis un peu fan, c'est bien lui ; le groove de JJ cale est le plus sexy qui soit. Souvent, les musiciens ne parviennent pas à atteindre ce ton, cette sonorité détendue: il s'agit de jouer moins fort, de façon plus intime... mais pas moins précise. Lorsque l'on joue petit, souvent, il ne reste rien, alors que cela peut conserver du peps, et garder une excitation, des étincelles, des caresses. J.J. Cale avait tout compris: on peut avoir le sentiment que c'est facile, fait rapidement, mais, observant dans le détail, l'on se rend compte à quel point la mélodie est méticuleuse et compliquée. Souvent, le public considère également ma musique comme très travaillée... mais sans que cela ne sente le travail. Je suis un peu maniaque, surtout parce que je travaille tout seul... comme JJ Cale.