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Le journal du Médecin: Vous avez publié un préprint au sujet de Neura, en commençant par les performances comparées de 13 neurologues et l'IA en matière de diagnostic... L'IA a été meilleure*... Dr Sami Barrit: Cette étude s'applique au domaine du diagnostic complexe, impliquant donc une démarche diagnostique, pas juste un diagnostic simpliste. Et comme on voulait une discipline illustrative, représentative et justement complexe dans la démarche diagnostique, on a choisi la neurologie. Le projet Neura en tant que tel est un projet d'intelligence artificielle orienté sur des "grands modèles de langage" appliqués à la médecine, que ce soit sur le versant clinique, éducatif ou de recherche. Actuellement, nous avons quatre ou cinq études en cours dans différentes disciplines, mais la neurologie était notre premier cas d'usage. Vous pouvez expliciter un peu ce que sont les "grands modèles de langage"? Ce sont des modèles basés sur des réseaux de neurones artificiels, entraînés sur de vastes corpus de langage pour générer du langage naturel de manière cohérente. Leur émergence a été rendue possible grâce aux avancées de l'apprentissage profond, domaine de recherche actuellement dominé par les grandes entreprises technologiques. Sur cette base, nous développons des outils pour spécialiser ces modèles pour certains usages spécifiques. La plupart des gens ont entendu parler de ces modèles avec l'avènement de grands modèles commerciaux comme ChatGPT, qui a été le modèle commercial généraliste et d'accès grand public ayant rencontré le plus grand succès. Maintenant, ces modèles existent depuis bien avant ChatGPT, mais ChatGPT a démocratisé l'intérêt pour ces applications. On sent chez vous une frénésie mais une certaine humilité... Nous ne pouvons pas rivaliser financièrement ou technologiquement avec les grandes sociétés majoritairement américaines derrière ces modèles. Nous avons donc adopté une approche de rétro-ingénierie en utilisant des modèles accessibles, propriétaires ou open source, et en développant une infrastructure autour d'eux pour les déployer de manière intelligente et contrôlable, en tenant compte des contraintes spécifiques du domaine biomédical. Notre force repose sur la capacité à être à l'interface entre les applications médicales et un développement technologique de pointe. Notre équipe est composée principalement de médecins, ce qui nous permet de connaître les besoins et les enjeux de notre communauté, des patients aux chercheurs. En même temps, nous avons une forte capacité technologique avec des membres spécialisés en machine learning et modèles de langage. Cela nous permet de développer nos propres outils puis de les valider cliniquement en toute indépendance. Vous commercialiserez ces outils? Pour l'instant, notre financement provient de bourses académiques et de partenariats industriels. Nous avons des projets avec des institutions académiques et des entreprises pour développer des outils utilisés par les étudiants en médecine ou des soignants, par exemple. Nous n'avons pas encore de projet de commercialisation. À terme, notre but est de fournir nos outils étape par étape, validés en amont, en les publiant open source pour la communauté scientifique. Nous envisageons éventuellement un financement public ou de proposer des services professionnels pour déployer nos outils. Vous souhaitez donc démocratiser l'accès à ces outils pour les médecins "lambda"? Exactement. Nous travaillons sur l'accessibilité de la technologie pour que tout médecin, qu'il soit familier ou non avec ces outils technologiques, puisse en bénéficier facilement. Nous développons une interface simple, similaire à celle de ChatGPT, mais plus contrôlable et adaptable aux besoins spécifiques de nos utilisateurs. Utilisez-vous des données des sociétés savantes pour vos modèles? Oui, nous permettons aux utilisateurs de configurer et déployer leur propre modèle en utilisant des données spécifiques, comme celles de sociétés savantes. Par exemple, un médecin pourrait à l'avenir déployer un modèle sur des recommandations dermatologiques validées par une société savante. Votre axe est donc clairement de fournir un outil pour aider les médecins, pas de les remplacer? Exactement. Les solutions actuelles ne sont pas capables de remplacer les interactions humaines nécessaires dans la pratique médicale. Nous restons pragmatiques et visons à développer et valider nos outils de manière concrète et réaliste. Prévoyez-vous également une utilisation par les patients dans le cadre de la littératie en santé? Oui, mais ce sera la dernière étape. Nous voulons d'abord valider nos outils cliniquement avant de les proposer aux patients. Notre objectif est d'améliorer la communication médicale et de fournir des informations compréhensibles et vérifiables pour les patients.