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On l'oublie trop souvent: le cancer du sein, le plus fréquent chez la femme, frappe plus de 10.000 fois par an dans notre pays, malgré les campagnes d'information, les vagues de dépistage et la gratuité du Mammotest. " Quelque 70% des cancers du sein sont dits hormonosensibles ou hormonodépendants. Mais ces cancers sont extrêmement hétérogènes et environ 20% des patientes vont rechuter sous forme d'une métastase à distance. Prédire quels seront ces cas reste un défi quotidien du praticien", commente le Pr François Duhoux, chef de clinique associé et spécialiste du cancer du sein aux Cliniques universitaires Saint-Luc (UCLouvain). " Qui aura besoin de la chimio et qui la recevra alors que c'est inutile? Les algorithmes d'analyse d'image, l'expérience des praticiens, la qualité de l'équipe multidisciplinaire qui examine les cas, tout cela peut avoir une influence sur la décision et les résultats enregistrés dans la durée. La taille de la tumeur, la manière dont elle est vascularisée, les atteintes ganglionnaires sont autant de paramètres à peser." Une intelligence artificielle pourrait-elle surpasser un jour l'analyse humaine? " Ce qui est certain, c'est qu'il reste de la marge pour améliorer ce diagnostic et cette décision. Nous savons que nous surtraitons un certain nombre de patientes, avec les effets secondaires que cela implique. Mais prendre le risque qu'un cancer devienne métastatique est trop lourd de conséquences pour prendre moins de précautions", explique le Pr Duhoux. C'est dans ce cadre qu'une équipe du centre Gustave Roussy a présenté lors du dernier congrès de l'ESMO (Société européenne d'oncologie médicale) un essai rétrospectif qui montre qu'une intelligence artificielle peut prédire, parmi des patientes atteintes d'un cancer du sein localisé, celles qui sont le plus à risque de rechute métastatique dans les cinq prochaines années. Cette intelligence procède à l'analyse par deep learning de lames histologiques numérisées. L'étude a été menée sur une cohorte de 1.400 patientes prises en charge à Gustave Roussy entre 2005 et 2013 pour un cancer du sein hormonosensible (HR+, HER2-) et localisé. Ces femmes ont été traitées par chirurgie, radiothérapie, hormonothérapie, et parfois chimiothérapie afin de diminuer le risque de rechute à distance. Pour les auteurs de la recherche, " l'intelligence artificielle pourrait ainsi devenir une aide à la décision thérapeutique et éviter aux femmes une chimiothérapie inutile et ses impacts sur la vie personnelle, professionnelle et sociale. Il s'agit d'une des premières preuves de concept qu'une intelligence artificielle peut identifier des paramètres associés à la rechute, que le cerveau humain n'avait pu détecter." Certes, reconnaissent les auteurs, des signatures génomiques existent aujourd'hui pour aider à identifier les femmes chez qui la chimiothérapie apporte un bénéfice mais elles ne sont pas (encore) recommandées par la Haute autorité de santé française. Outre Quiévrain, elles sont mal remboursées, étant considérées comme des "actes innovants hors nomenclature", tandis qu'elles sont remboursées à 100% en Belgique. Pour les chercheurs de Roussy, proposer une nouvelle méthode simple, peu coûteuse et facilement utilisable dans tous les centres d'oncologie comme outil d'aide à la décision thérapeutique était un défi: L'objectif est d'orienter les patientes identifiées à haut risque vers de nouvelles thérapies innovantes et d'éviter aux patientes à faible risque une chimiothérapie inutile." Pour l'instant, l'intelligence artificielle est capable d'évaluer le risque de rechute avec une fiabilité de 81%. Mais il n'est pas nécessaire de développer une nouvelle technique ou de s'équiper d'un plateau technique particulier. Le seul équipement incontournable est un scanner de lames qui est un équipement courant dans les laboratoires. A l'instar d'un scanner de bureau qui digitalise un texte, ce scanner numérise les informations morphologiques présentes sur la lame. " Il est dommage que les chercheurs n'aient pas tenu compte dans leur étude de la signature génomique de leurs patientes, car cela aurait permis une comparaison terme à terme. Mais si le logiciel évite bien une chimio sur deux, il représentera une avancée incontestable. Si l'on confirme que l'algorithme tient la route, ce système pourrait carrément remplacer les signatures génomiques", jauge le Pr François Duhoux. Le calcul par l'intelligence artificielle se base sur des données cliniques de la patiente, combinées à l'analyse de lames histologiques colorées et numérisées de la tumeur. Ces lames, utilisées au quotidien dans les départements de pathologie par les anatomo-pathologistes, possèdent une information très riche et déterminante pour la prise en charge du cancer. " Restons toutefois prudents: 1.400 patientes, c'est à la fois beaucoup et très peu. Il faut vérifier si cette intelligence sera aussi efficace dans d'autres centres d'excellence. Il faut constituer pour chaque cohorte une bibliothèque de comparaison. Une étude multicentrique est donc une étape indispensable avant toute internationalisation de la méthode. Chaque centre peut avoir sa manière particulière de processer les fameuses lames. L'oeil humain y est habitué et peut parfaitement surperformer un algorithme dans certaines conditions." La prudence prévaut également face à l'existence d'un système d'analyse robuste lié à la signature génomique. " Les résultats à long terme de Mindact, vaste étude européenne auprès de plus de 6.000 patientes, confirment qu'un risque génomique faible signifie risque faible, et que nous pouvons en toute sécurité proposer une désescalade de la chimiothérapie chez ces patientes, en particulier celles âgées de plus de 50 ans traitées traditionnellement de façon agressive, y compris celles avec une atteinte ganglionnaire", explique François Duhoux . "Les données publiées cette année dans The Lancet Oncology montrent que près de la moitié des femmes avec un cancer du sein ayant reçu une chimiothérapie peuvent l'éviter sans perte de chance. Cela c'est une certitude."