...

Les camps ont englouti en tout 20 millions de prisonniers et six millions de déportés, soit un citoyen sur six, quatre millions ne sont pas revenus, écrit Nicolas Werth de l'association Mémorial, cité par l'auteur. Chalamov, écrivant à Soljenitsyne, bien plus connu que lui en tant que témoin du goulag, lui pose cette question en 1964: "Tout le monde ou presque, et c'est tant mieux, connaît le nom d'Auschwitz.À qui celui de la Kolyma évoque-t-il une autre énorme machine à avilir et tuer?" Cet écrivain et poète qui dut la vie sauve à un juge d'instruction, enfin si on peut encore parler de vie, ne revint jamais vraiment de cette "expérience" dont il voulut témoigner par écrit sur place et, de retour à Moscou, jusqu'à sa mort en 1982. L'ombre de Staline, glaciale, impitoyable comme le froid régnant dans ce Grand Nord, règne sur l'ouvrage de Gisèle Bienne qui fit le pèlerinage jusqu'à Magadan, ville et porte de cet enfer décrit par Chamalov, lequel fut moqué par le stalinien Sartre... L'écrivain, opiniâtre et droit, a reçu une reconnaissance posthume grâce à la Perestroïka de Gorbatchev, qui a enfin permis à son chef-d'oeuvre utile d'être publié dans une Union soviétique agonisante. Mais, depuis 2012, Staline est à nouveau à l'honneur en Russie: Iouri Dmitriev, archéologue et historien spécialiste des crimes staliniens, a été emprisonné et condamné à nouveau en décembre 2021 à 13 ans de camp à régime sévère. Par son travail, il avait permis à des milliers de personnes de connaître le sort de leurs parents emportés par la grande terreur et morts, enfouis dans le glacial oubli du permafrost. Dans la foulée de la condamnation de Dmitriev, Mémorial, l'ONG de mémoire et d'histoire travaillant sur la période stalinienne dont il faisait partie, a été dissoute le 28 décembre 2021. Et la Russie semble depuis subir à nouveau une offensive... hivernale, paraît figée dans le glacis d'une nouvelle époque glaciaire et... glaçante.