Avec la baisse de 0,25% de son taux de base décidée le 12 septembre par la BCE, la deuxième cet été, le reflux des taux d'intérêt est cette fois bien engagé. Ce sentiment fut renforcé quand la banque centrale américaine a, à son tour, enclenché le mouvement le 18 septembre. Dans ce contexte, il faut investir à long terme, affirme-t-on.
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Soyons clair: personne n'imagine que les taux d'intérêt à long terme vont, en Belgique par exemple, s'effondrer en direction de 1%, comme durant les années 2015 à 2019. D'autant que l'inflation ne devrait pas revenir à presque zéro, comme en 2021. Les économistes estiment au contraire qu'elle restera structurellement plus élevée que dans un passé récent. Parmi les raisons: la quasi-disparition du facteur déflationniste que constituait la délocalisation de nombreuses fabrications dans des pays à bas salaires. En clair: quasiment tout ce qui pouvait être délocalisé l'a été. Et si l'on passe de la Chine au Vietnam, au Bangladesh ou à l'Ethiopie, ce n'est pas pour abaisser les coûts davantage encore mais pour limiter leur hausse, aussi vrai que les salaires chinois ne cessent de grimper. L'investisseur ne peut perdre de vue ce scénario macro-économique quand on évoque les perspectives d'inflation et, dans la foulée, celles des taux d'intérêt. Il pourrait au demeurant se demander s'il est tellement judicieux de viser aujourd'hui le long terme pour un placement axé sur le rendement. Si les taux ne baissent guère, à quoi bon? Réponse en deux temps. Premier élément: même une baisse relativement limitée des taux engendre un gain non négligeable. Prenons à témoin l'obligation émise en début d'année par l'État belge, explique Alexandre Goldwasser, administrateur délégué de Goldwasser Exchange, une société de bourse qui fait autorité en matière d'obligations. Elle échoit en octobre 2034, soit dans dix ans, et offre un rendement brut de 2,85%. Elle cote très légèrement au-dessus du pair (100,3% environ), ce qui ramène son rendement à 2,80%. Tel est donc aujourd'hui le taux du marché belge pour cette durée. Combien vaudrait cette obligation si ce taux descendait à 2%? Selon Alexandre Goldwasser, le détenteur d'une telle obligation bénéficierait d'une plus-value de l'ordre de 10%. Autrement dit, il pourrait la revendre aux environs de 110%. On conviendra que c'est fort sympathique pour un placement sans risque, puisque la plus-value représente plusieurs fois le rendement annuel de base. Deuxième élément: un raisonnement du même ordre s'applique à l'immobilier, mais avec un levier plus important puisqu'une action immobilière s'inscrit a priori dans le très long terme. Ce n'est pas pour rien que les valeurs immobilières sont, ces derniers mois, si volontiers citées par les banquiers et autres analystes financiers. Avec deux arguments. D'abord, le secteur va profiter de la baisse des taux à deux niveaux: le cours des actions immobilières doit mécaniquement s'apprécier, exactement comme celui des obligations. De plus, les sociétés pourront s'endetter à un taux moindre. L'autre argument, c'est que ce secteur fut durement touché par la crise du covid et ensuite par la hausse des taux de 2022. Avec pour résultat qu'il s'est fait massacrer en bourse et ne s'est que partiellement remis depuis. Quelques données fort parlantes furent mises en lumière au printemps dernier dans une étude de la banque Degroof Petercam. Le point le plus sensible est la valorisation du patrimoine. La moindre demande de bureaux, du fait du télétravail, et la faiblesse du commerce de détail, à cause de l'e-commerce, peuvent entraîner des dépréciations d'actifs, outre la hausse des taux d'intérêt. Pourtant, la valeur des portefeuilles n'a, l'an dernier, baissé que de 1,8% au niveau européen. Quant aux bénéfices, ils se sont inscrits en hausse de 4,4%. On est donc loin d'un cataclysme et il semble aujourd'hui se confirmer que "les perspectives en 2024 sont nettement meilleures qu'en 2023, avec des chiffres opérationnels solides", comme la banque l'affirmait alors. Une valeur immobilière n'est évidemment pas l'autre. Au niveau des sociétés immobilières réglementées (SIR) belges, prenons à témoin WDP, le spécialiste des surfaces de stockage, et Cofinimmo, qui est passé du bureau à l'immobilier de santé (séniories en particulier) pour 75% de son portefeuille. Le premier est sorti renforcé de la pandémie, grâce à l'essor du commerce électronique, au point de voir son cours presque doubler en 2020-2021. Il atteignait alors le double de la valeur de son patrimoine! Il a perdu 40% depuis, retrouvant son niveau d'il y a cinq ans, mais affiche toujours une prime de l'ordre de 20% par rapport à sa valeur. Sans doute WDP conserve-t-il une image flatteuse grâce à sa forte croissance, ce dont témoigne un cours en hausse de... 600% sur 20 ans. Il est par contre curieusement en baisse de près de 15% cette année. Les analystes lui préfèrent aujourd'hui son confrère Montea. Situation quasiment inverse pour Cofinimmo. L'euphorie des taux d'intérêt nuls avait propulsé l'action à près de 160 euros, au-delà de sa valeur, juste avant que l'épidémie de Covid la fasse plonger. Et alors qu'il avait presque retrouvé son niveau antérieur à fin novembre 2021, le cours n'affichait plus que 55 euros environ en automne dernier. En bourse, l'immobilier n'est décidément pas un long fleuve tranquille... Si les avis sont partagés sur cette valeur très défensive (et donc peu sexy...), on comprend que KBC l'ait récemment inscrite sur sa liste à l'achat, car c'est une vraie "retardataire", avec une décote d'un tiers environ sur sa valeur de 99,6 euros à fin juin dernier. De nombreuses sociétés étrangères permettent d'investir dans l'immobilier. Deux exemples. Le géant européen des centres commerciaux Unibail Rodamco Westfield d'abord. Les avis sur cette action sont prudents, après qu'elle se soit appréciée d'un petit 20% cette année... et de près de 80% sur un an. Elle est cependant toujours en chute de 40% sur cinq ans... Quant à la société espagnole Merlin Properties, elle suscite l'enthousiasme des analystes, avec trois conseils de conserver, deux de renforcer... et quinze d'acheter! Ce titre a pourtant déjà gagné 15% cette année et pas loin de 50% sur un an. Sa botte secrète: son engagement récent sur un créneau très prometteur: les centres de données, ces fameux data centers dont la numérisation de nos sociétés fait un usage croissant, que renforcera encore l'intelligence artificielle. Pour une exposition plus large et très diversifiée à l'immobilier, l'investisseur se tournera volontiers vers les fonds spécialisés. Le tableau en page 60 vous en présente trois axés sur l'Europe et proposés en Belgique, avec leurs performances récentes. Le désastre de l'année 2022 est criant! Et si le rebond de l'an dernier n'est pas négligeable, la maigre performance de cette année déçoit, alors que l'environnement s'est récemment amélioré. Cela ne signifie pas obligatoirement une rapide poursuite du redressement, mais il semble aujourd'hui plus assuré qu'il y a quelques mois encore. De quoi améliorer la performance moyenne sur 10 ans, un peu chiche, même pour un investissement fort défensif.