L'on ne saurait comprendre ce manque de formation sans prendre en compte le contexte institutionnel des soins trans-spécifiques. En effet, l'Inami subventionne deux centres universitaires, censés rassembler dans un même lieu toutes les disciplines jugées nécessaires à une transition médicale. L'institutionnalisation des soins trans-spécifiques en troisième ligne de soins dépossède les médecins des deux premières lignes de l'idée de pouvoir développer des compétences dans ce domaine, qui paraît -- à tort -- d'une complexité rebutante.

Cette organisation du système de soins est à intégrer au contexte légal. De fait, avant 2018, le législateur imposait attestation psychiatrique, traitement hormonal, opération génitale et stérilisation pour qu'un individu puisse changer de mention de genre à l'État civil. La transition de genre était alors comprise comme l'objet du psychiatre, de l'endocrinologue et du chirurgien. Suite à l'évolution nécessaire du cadre légal belge, les personnes transgenres ont pu obtenir davantage de contrôle sur leurs parcours de transition et il existe une demande croissante pour que ces derniers puissent s'effectuer dans un autre cadre que celui d'hôpitaux universitaires. En effet, les patient·e·s transgenres sont en demande de soins de première ligne qui soient à la fois trans-affirmatifs et de qualité.

THAG: 26 personnes suivies

C'est dans ce contexte que j'ai commencé à prescrire des traitements hormonaux d'affirmation de genre (THAG) dès juin 2020, suite à la demande de deux connaissances, désireuses d'entamer leur suivi ailleurs que dans une équipe de genre. Au vu des difficultés d'accès aux soins susmentionnées, les demandes se sont rapidement multipliées par le bouche-à-oreille, de telle sorte qu'au moment de rédiger ce TFE en avril 2022, ma patientèle transgenre s'élevait à 71 personnes. Parmi celles-ci, 27 étaient éligibles pour mon travail, dans la mesure où elles bénéficiaient d'un THAG initié par mes soins depuis au moins trois mois. 26 patient·e·s ont accepté de participer.

Ce TFE a consisté en une étude rétrospective avec une analyse mixte par conversion à partir des dossiers médicaux des patient·e·s. Les informations démographiques et les valeurs de laboratoire aux différentes consultations ont été extraites des dossiers informatiques afin d'être synthétisées et analysées. Les informations relatives au coming out, au soutien social, aux démarches de préservation de la fertilité et aux besoins en termes de soins d'affirmation de genre ont été codées en variables quantitatives à partir des notes de consultation pour être examinées.

Les données des 26 patient·e·s suivi·e·s pendant une durée médiane de six mois depuis l'instauration du THAG ont été étudiées. Il s'agit d'un échantillon composé d'une population jeune (âge médian de 22 ans), dotée d'une grande mobilité géographique et présentant une certaine précarité financière, 42% de l'échantillon étant BIM. Cette patientèle présentait des besoins variés en termes de soins trans-affirmatifs et bénéficiait d'un bon soutien social en général. En outre, l'application des guidelines sur le THAG dans un contexte de médecine générale a permis d'obtenir des résultats satisfaisants au niveau des valeurs de laboratoire.

Ce TFE contribue à montrer que l'instauration d'un THAG peut faire partie des compétences des médecins généralistes. Il souligne également l'importance d'offrir des soins de qualité dans un cadre trans-affirmatif pour contribuer à améliorer le bien-être des personnes transgenres. Considérant l'âpreté du contexte social et médical dans lequel les personnes transgenres doivent naviguer pour obtenir des soins, j'espère que ce travail parviendra à motiver davantage de médecins à se former sur ce sujet. À cette fin, des recommandations pratiques peuvent être trouvées dans les annexes du travail en vue de servir d'aide à la consultation.

Titre complet: L'initiation et le suivi du traitement hormonal d'affirmation de genre en médecine générale. Analyse mixte d'une cohorte de patient·e·s et recommandations pour la pratique clinique.

Auteur: Dr Maxence Ouafik (ULiège)

Master de spécialisation en médecine générale

Année académique 2021-2022

Écoute et rigueur scientifique

Le Dr Maxence Ouafik travaille actuellement à la maison médicale de Tilleur, en périphérie liégeoise, "guidé par le désir de travailler en équipe et de m'essayer au mode de fonctionnement au forfait". Cette zone péri-urbaine, précarisée, lui permet "d'exercer le type de médecine en laquelle je crois, malgré la charge émotionnelle que cela peut souvent comporter", glisse-t-il. Ses deux premières années d'assistanat auprès du Dr Pierre Guérin, au centre-ville liégeois, au coeur d'une médecine sociale et notamment auprès d'une patientèle précarisée, lui ont permis de "faire ses armes en médecine générale" avant de découvrir la pratique pluridisciplinaire de Tilleur.

"J'ai choisi la médecine générale pour ce que j'estime être ses trois composantes principales: la diversité des situations cliniques, le suivi longitudinal et la prise en compte du contexte psychosocial de la patientèle. Aucune autre spécialisation n'aurait pu me confronter à un tel panel, tout en me permettant de nouer des relations thérapeutiques aussi solides et durables. En outre, comme l'écrivait Virchow, ''La médecine est une science sociale'' et aucune spécialisation n'embrasse cette réalité aussi vigoureusement", explique le jeune médecin.

Maxence avoue une "véritable allergie administrative", mais adore le contact avec l'humain: "Des petits moments de complicité en consultation, aux moments plus lourds liés à la proximité avec la souffrance, la maladie et la mort. Construire une relation à partir d'actes en apparence anodins et au détour d'un trait d'esprit ou d'un point commun découvert au hasard d'une conversation. Et voir cette relation évoluer tandis qu'on accompagne le patient au fil du temps." Il se serait bien vu psychiatre en débutant son cursus et... il n'en est souvent pas très loin en consultation! "Je ne m'attendais pas à la polyvalence de ce métier", ajoute-t-il.

Le Dr Ouafik suit un certificat interuniversitaire en nutrition clinique "afin d'ajouter cette corde à son arc" et espère, d'ici à l'horizon 2025, pouvoir finir son doctorat (démarré en même temps que son assistanat, du jamais vu à l'ULiège). En parallèle, il essaie de sensibiliser et former ses confrères aux spécificités de santé des minorités sexuelles et de genre. "Cela passe par des participations à des GLEMs, des conférences, l'organisation de journées de formation, ainsi que par quelques heures de cours que j'ai le plaisir de donner aux assistants en médecine générale de Liège", explique-t-il. Et d'ajouter: "Sur le long terme, j'espère pouvoir concilier activités cliniques, activités de recherche, et activités pédagogiques dans un tout harmonieux en équilibre avec ma vie personnelle. D'ici à trouver cet équilibre, j'ai au moins la chance d'avoir besoin d'assez peu d'heures de sommeil!"

Les qualités les plus précieuses pour un MG, selon lui? "L'écoute et la rigueur scientifique, car c'est la combinaison de ces deux aspects qui permet, à mes yeux, d'apporter les soins les plus optimaux à sa patientèle."

Existe-t-il l'un ou l'autre aspect de la profession de MG qui demanderait à être amélioré, à ses yeux ? "Je pense que la médecine générale n'est pas assez valorisée sur le plan académique. J'étais le premier assistant de l'histoire du département de médecine générale de Liège à avoir entamé une thèse de doctorat en même temps que son assistanat. Et il n'y avait aucun dispositif de bourse FNRS disponible ! Celles-ci sont réservées aux médecins candidats spécialistes, en intrahospitalier. Ce manque de possibilités de financement pour de jeunes chercheurs généralistes constitue un obstacle structurel au développement de la recherche en première ligne. Et témoigne, selon moi, d'un certain mépris institutionnel pour la production de savoirs en première ligne de soins. Il existe une expertise réelle et pointue en médecine générale, et cette dernière n'a rien à envier aux autres spécialités. Il me semble donc important de donner les moyens nécessaires à la médecine générale pour qu'elle puisse continuer à développer cette expertise afin d'améliorer la qualité des soins prodigués aux patients."

Et l'avenir de la médecine générale, comment le voit-il ? "J'aimerais que la recherche en première ligne de soin continue à se développer. Je pense notamment aux essais cliniques pragmatiques, qui correspondent à la réalité du vécu des patients, avec les oublis de traitement, les interactions médicamenteuses, et les comorbidités. La médecine générale est, à mon sens, uniquement située pour mener ce type d'essais, qui pourraient apporter des réponses plus utiles que celles des essais cliniques, qui ont le défaut de suivre des patients idéaux et parfaitement compliants. Un autre aspect pour lequel je pense que la médecine générale pourrait avoir une place de choix serait dans le développement d'études à partir de nos dossiers médicaux informatisés. Il y a une telle mine d'information dans ces dossiers (paramètres, traitements, prises de sang, etc.) et un tel nombre de dossiers ! J'ai souvent la sensation que nous sommes assis sur un trésor de données scientifiques qui ne demandent qu'à être centralisées et exploitées. En Angleterre, par exemple, c'est ce type d'études qui a permis de montrer à grande échelle les facteurs de risque d'acquisition et de mortalité au covid-19. En croisant les données des dossiers des médecins généralistes au registre des infections et des décès, ils ont pu mettre au point une étude portant sur 17 milions de dossiers croisés à 10.000 décès ! Le tout sans recruter un seul patient. Il s'agit d'une manière très performante et relativement peu coûteuse (comparativement au fait de recruter 17 millions de participants) de faire de la recherche."

Enfin, côté loisirs et passions, la photo: "J'ai principalement exploré l'astrophotographie du ciel profond, à savoir la photographie de corps célestes lointains (galaxie, nébuleuses, amas d'étoiles...) à l'aide d'un appareil photo et d'un télescope. Mais j'aime également la photographie de jour, surtout celle de paysages, d'oiseaux, ou la photographie urbaine. Le mélange de technicité et d'expression artistique que l'on retrouve dans la photographie est son attrait principal à mes yeux ."

L'on ne saurait comprendre ce manque de formation sans prendre en compte le contexte institutionnel des soins trans-spécifiques. En effet, l'Inami subventionne deux centres universitaires, censés rassembler dans un même lieu toutes les disciplines jugées nécessaires à une transition médicale. L'institutionnalisation des soins trans-spécifiques en troisième ligne de soins dépossède les médecins des deux premières lignes de l'idée de pouvoir développer des compétences dans ce domaine, qui paraît -- à tort -- d'une complexité rebutante. Cette organisation du système de soins est à intégrer au contexte légal. De fait, avant 2018, le législateur imposait attestation psychiatrique, traitement hormonal, opération génitale et stérilisation pour qu'un individu puisse changer de mention de genre à l'État civil. La transition de genre était alors comprise comme l'objet du psychiatre, de l'endocrinologue et du chirurgien. Suite à l'évolution nécessaire du cadre légal belge, les personnes transgenres ont pu obtenir davantage de contrôle sur leurs parcours de transition et il existe une demande croissante pour que ces derniers puissent s'effectuer dans un autre cadre que celui d'hôpitaux universitaires. En effet, les patient·e·s transgenres sont en demande de soins de première ligne qui soient à la fois trans-affirmatifs et de qualité. C'est dans ce contexte que j'ai commencé à prescrire des traitements hormonaux d'affirmation de genre (THAG) dès juin 2020, suite à la demande de deux connaissances, désireuses d'entamer leur suivi ailleurs que dans une équipe de genre. Au vu des difficultés d'accès aux soins susmentionnées, les demandes se sont rapidement multipliées par le bouche-à-oreille, de telle sorte qu'au moment de rédiger ce TFE en avril 2022, ma patientèle transgenre s'élevait à 71 personnes. Parmi celles-ci, 27 étaient éligibles pour mon travail, dans la mesure où elles bénéficiaient d'un THAG initié par mes soins depuis au moins trois mois. 26 patient·e·s ont accepté de participer. Ce TFE a consisté en une étude rétrospective avec une analyse mixte par conversion à partir des dossiers médicaux des patient·e·s. Les informations démographiques et les valeurs de laboratoire aux différentes consultations ont été extraites des dossiers informatiques afin d'être synthétisées et analysées. Les informations relatives au coming out, au soutien social, aux démarches de préservation de la fertilité et aux besoins en termes de soins d'affirmation de genre ont été codées en variables quantitatives à partir des notes de consultation pour être examinées. Les données des 26 patient·e·s suivi·e·s pendant une durée médiane de six mois depuis l'instauration du THAG ont été étudiées. Il s'agit d'un échantillon composé d'une population jeune (âge médian de 22 ans), dotée d'une grande mobilité géographique et présentant une certaine précarité financière, 42% de l'échantillon étant BIM. Cette patientèle présentait des besoins variés en termes de soins trans-affirmatifs et bénéficiait d'un bon soutien social en général. En outre, l'application des guidelines sur le THAG dans un contexte de médecine générale a permis d'obtenir des résultats satisfaisants au niveau des valeurs de laboratoire. Ce TFE contribue à montrer que l'instauration d'un THAG peut faire partie des compétences des médecins généralistes. Il souligne également l'importance d'offrir des soins de qualité dans un cadre trans-affirmatif pour contribuer à améliorer le bien-être des personnes transgenres. Considérant l'âpreté du contexte social et médical dans lequel les personnes transgenres doivent naviguer pour obtenir des soins, j'espère que ce travail parviendra à motiver davantage de médecins à se former sur ce sujet. À cette fin, des recommandations pratiques peuvent être trouvées dans les annexes du travail en vue de servir d'aide à la consultation.