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À l'occasion de l'Exposition universelle, Hasselt s'était vue doter d'un espace d'exposition intitulé Vleugel 58, attenant à l'ancien béguinage et au musée... du Genièvre (l'ancêtre du gin). Rebaptisé Z33 il y a 17 ans, et devenu Maison de l'Art actuel, du Design et de l'Architecture, le désormais musée a ressenti voici une décennie le besoin de s'étendre : la nouvelle aile, Vleugel 19, vient d'être inaugurée et est l'oeuvre de Francesca Torzo, qui s'est faite discrète pour prolonger le côté moderniste du bâtiment initial et s'intégrer par ailleurs dans l'ensemble médiéval de la vieille ville. L'architecte, qui est aussi artiste, inaugure l'exposition... inaugurale en présentant maquette et croquis de son oeuvre, et préfigure dans ce The Work of Time la manière dont les artistes invités se confrontent au geste architectural et à la fonction du bâtiment dans sa globalité : Lotte Van den Audenaerden, Radouan Mriziga se mesurent à l'espace en le délimitant ; Benjamin Verdonck en repousse ironiquement les limites entre peau de banane et gobelet de papier coincé dans la rainure d'un espace blanc, et l'illumination d'un coin de lumière tout aussi immaculé ; "Les gens d'Uterpan" préfèrent la performance : celle de rester sur le toit du bâtiment pendant une heure en vue de se l'approprier ; Lodie Kardouss tisse une toile en fibre, autre façon de faire sien le lieu, tandis que Noé Souliers invite des fantômes : en termes techniques, il s'agit des modèles utilisés pendant un accrochage pour déterminer la position des oeuvres sans avoir à les manipuler. L'artiste français en a choisi dix, tirés des collections du S.M.A.K. de Gand : se faisant, utilisant l'aspect hybride de ces " copies ", le plasticien questionne la limite entre l'objet quotidien, l'accessoire scénique et l'oeuvre d'art. Enfin dans une oeuvre multiforme faite de vidéos, textes, images, et conversations, Anton Parys dans Skip The Expo, s'interroge à son tour sur ce que l'on retient d'une exposition. Pour notre part, nous l'avons trouvée très conceptuelle. Le deuxième volet de cette manifestation inaugurale interroge la question du temps ( The Work of Time) et celle, actuelle, de la rapidité et de l'efficacité. Judith Seng propose une série de monticules de couleurs que l'on peut voir dans une vidéo, lentement mélangés par l'artiste (une installation qui a un côté The square, film ironique sur l'art contemporain primé voici quelques années à Cannes). Cet " échange de fluide ", la première partie de cette section, est suivi d'une exploration entre art et science du temps profond (le temps très long si vous voulez) de la Terre. Avec notamment l'installation spectaculaire de Maarten Vanden Eynde qui propose entre autres une série de neuf céramiques en argile de Boom et à l'échelle (de un centimètre à un mètre) représentant des conteneurs de stockage pour déchets hautement radioactifs. À ses côtés, le duo Thomson et Craighead décompte en secondes, sur un écran, le temps nécessaire avant qu'un site de déchets nucléaires spécifique (il y en a neuf, tous occidentaux) ne devienne inoffensif : un temps long en effet, et profond. À côté, Andy Weir imagine une variante contemporaine du dieu Pazuzu, démon babylo-syrien de la contamination et de la poussière. Le troisième chapitre de cette seconde expo déconstruit le temps de façon générale et sa perception occidentale : il est politique dans " École mondiale " de Filip Van Dingenen et Ive Van bostraeten qui déconstruisent l'idée d'école mondiale imaginée par Léopold II, en revisitant de manière protéiforme la colonisation du Congo. Jesse Howard et Tim Knapen invitent à la conception d'un " Common Place Book " qui allie curiosité et partage des connaissances, alors que Nelly Ben Hayoun-Stépanian dans I am (not) a monster interroge, par le biais d'une installation et d'une vidéo longue de plusieurs heures, l'héritage d'Hannah Arendt au travers d'interviews, notamment de ses anciens étudiants, mais aussi de Noam Chomsky ou d'une Pussy-riot entre autres. Tout aussi, discursif, Danilo Correale s'interroge sur la liberté que procure le sommeil dans une vidéo immersive de quatre heures ! Dans laquelle il questionne différents experts sur fond d'images oniriques. Si le Circadian Dreams présente en son centre un lit sur lequel prendre place, l'installation spectaculaire de Helga Schmid propose surtout un modèle de pensée uchronique du temps, et surtout coloré et sonore : l'obscurité endormant, le bleu vif stimulant, le rouge rendant somnolant. Une somnolence qui saisit le visiteur dans le troisième volet de cette manifestation inaugurale, confié à des jeunes artistes belges, hollandais ou allemands au nombre de sept et fraîchement diplômés : dans Birds of a feather, ils explorent le concept d'archives face aux flots d'images et d'informations qui nous submergent. L'occasion pour eux d'avoir le temps et l'espace requis pour développer leur pratique artistique. Et en effet, à voir le résultat qui transpire le déjà-vu, ils auront besoin... de temps.