La dernière analyse géographique d'Eurostat, publiée à l'occasion de la Journée mondiale de la santé, dresse un tableau contrasté de l'accessibilité hospitalière en Europe. En moyenne, 83% des citoyens de l'Union résident à moins de 15 minutes de route d'un hôpital. La carte flatte en partie la Belgique: plusieurs grandes villes sont bien couvertes, certains arrondissements atteignent les 100%. Mais que vaut cette performance quand des zones rurales échappent à cette proximité, que certains services se concentrent, que les généralistes manquent dans certaines régions, et que les inégalités sociales persistent?
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La cartographie d'Eurostat donne à voir une Europe dans laquelle plus de huit personnes sur dix vivent à moins de 15 minutes en voiture d'un hôpital. À première vue, l'image est celle d'un continent bien irrigué par ses infrastructures de soins, où les distances critiques semblent maîtrisées. C'est d'ailleurs ce que laisse entendre la présentation officielle, qui souligne une progression constante depuis 20 ans dans la plupart des États membres. Cependant, dans plusieurs régions d'Europe centrale ou méridionale, la promesse des 15 minutes reste hors d'atteinte. C'est le cas dans des zones rurales de Roumanie, de Bulgarie, ou dans les archipels grecs, mais aussi dans certaines provinces montagneuses du sud de l'Espagne ou du nord de l'Italie. Moins de la moitié des habitants y ont accès à un hôpital dans ce laps de temps. Eurostat le formule sans détour: "les conditions géographiques et la faible densité de population rendent difficile une couverture équitable, ce qui peut affecter directement la rapidité de prise en charge". Le constat est clair: derrière la moyenne européenne, un accès aux soins à plusieurs vitesses. À l'échelle européenne, la Belgique se situe dans le peloton de tête. Son maillage hospitalier dense, combiné à une urbanisation concentrée et à un réseau routier performant (quoi que l'on pense de l'état des routes), lui assure des taux d'accessibilité parmi les plus élevés de l'Union. C'est particulièrement visible dans certaines agglomérations: à Charleroi, Bruges ou encore Ypres, l'ensemble de la population vit à moins de 15 minutes d'un hôpital. Liège, Mons et Bruxelles affichent également des scores proches de la perfection, dépassant les 98%. Mais dès que l'on zoome au niveau des arrondissements, le vernis s'écaille. Sur les 43 entités belges recensées dans les statistiques d'Eurostat, dix présentent une accessibilité inférieure à 90%, et certaines dégringolent bien en dessous. C'est le cas notable de Philippeville (28,8%) et Dixmude (48,7%), les deux seuls arrondissements sous les 50%. Ces écarts ne sont pas anecdotiques. Ils révèlent des fragilités durables dans le paysage des soins. Contrairement à ce que laisse entendre la moyenne nationale, la couverture géographique reste inégale. La proximité n'est pas uniforme, et l'équité dans l'accès aux soins reste une promesse plus qu'une réalité. Outre la densité hospitalière, le dessous des cartes d'Eurostat cache une série de biais. L'accessibilité mesurée est exclusivement géographique: il s'agit du temps estimé pour rejoindre un hôpital en voiture, dans des conditions normales de circulation. Ce critère ne tient ni compte de l'heure de la journée, ni de l'existence d'un réseau de transports publics adapté, ni des capacités réelles de prise en charge une fois le seuil de l'hôpital franchi. "L'indicateur ne mesure ni la qualité ni la disponibilité effective des services. Il ne tient pas compte de l'accès pour les personnes non motorisées", confesse Eurostat. Autrement dit, on peut vivre à dix minutes d'un hôpital, sans pouvoir y accéder facilement, et sans y trouver les soins recherchés. La proximité n'est pas une garantie de qualité ni de prise en charge immédiate. Une maternité peut avoir été fermée, un service de soins intensifs déplacé, un service d'urgence peut être saturé. En Belgique, cette dissociation entre distance et accès réel se manifeste notamment dans les structures satellites des réseaux hospitaliers. Certaines structures assurent encore une présence physique mais ont vu leurs plateaux techniques, voire leurs services d'hospitalisation, être transférés ailleurs dans le cadre de la réforme du paysage hospitalier et des réseaux, aujourd'hui encore au point mort. Les patients, eux, voient parfois l'hôpital rester en façade, mais la capacité réelle s'éroder peu à peu. Le seuil reste proche, mais la réponse s'éloigne. "Même dans les pays aux taux d'accessibilité les plus élevés, certaines régions périphériques ou montagneuses affichent des valeurs nettement inférieures", remarque Eurostat. Ce constat s'incarne aussi dans certaines zones belges. Virton (52,7%), Philippeville (28,8%), Marche-en-Famenne (56,5%) ou encore Neufchâteau (62,5%) affichent des taux d'accessibilité à moins de 15 minutes qui les placent très en deçà non seulement de la moyenne nationale, mais aussi de la moyenne européenne. On reste ici dans des territoires belges où la distance à l'hôpital devient, objectivement, un facteur de risque. "Ces disparités territoriales peuvent induire une perte de chance pour les patients dans les cas de soins urgents ou spécialisés", souligne Eurostat. Ces chiffres ne sont pas le fruit du hasard: ils concernent essentiellement le sud de la province de Namur et la majorité de la province de Luxembourg. Relief plus accidenté, habitat dispersé, axes routiers plus rares ou sinueux: le maillage y est plus difficile à maintenir, et les temps de trajet s'allongent malgré la présence d'infrastructures hospitalières dans les villes principales. L'accessibilité n'est plus alors une simple question de kilomètres, mais de configuration du territoire. L'un des angles morts des rapports d'Eurostat est sans doute le plus structurant: aucun indicateur ne mesure l'accès aux soins de première ligne. L'infrastructure hospitalière est visible, cartographiable, quantifiable. Ce n'est pas le cas du maillage ambulatoire, pourtant essentiel dans le fonctionnement des systèmes de santé européens. Or c'est bien là, dans la relation avec un généraliste, une maison médicale ou un centre de santé mentale, que se joue souvent l'accès réel aux soins. En Belgique, cette dimension est centrale. Le généraliste est le pivot du système. Mais dans plusieurs zones rurales wallonnes, ce maillage est en tension. Le KCE, la Fédération des maisons médicales, les syndicats médicaux ou encore Sciensano alertent régulièrement sur les pénuries croissantes de généralistes, notamment dans les zones à faible densité ou à population vieillissante. Certains patients se retrouvent sans médecin traitant, ou contraints d'attendre plusieurs semaines pour un rendez-vous de base. Dans ces conditions, même la proximité d'un hôpital ne garantit rien. Elle peut au contraire traduire un contournement: quand la première ligne est absente, les urgences deviennent la porte d'entrée par défaut. Eurostat n'ignore pas cet enjeu. Dans ses conclusions, l'institut rappelle que "l'accessibilité géographique est une condition nécessaire, mais non suffisante pour garantir un accès effectif aux soins". Il invite à regarder au-delà des cartes, à considérer la complexité des parcours de soins. Et à ne pas confondre proximité et accessibilité.