Le lendemain de la Journée internationale des maladies rares, le Journal du Médecin a discuté avec le Pr Nicolas Deconinck sur l'amyotrophie spinale et les progrès spectaculaires que la médecine moderne a rendus possibles pour cette maladie génétique rare qui, jusqu'il y a peu, était mortelle. Et la Belgique joue son rôle, tant sur le niveau de la recherche que sur le plan de la prévention.
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L'amyotrophie spinale (ou SMA pour spinal muscular atrophy) est une maladie neuromusculaire qui touche 12 patients belges par an, dès la naissance. En provoquant une fonte musculaire, la SMA entraîne de gros problèmes de force musculaire, qui se répercutent sur la mobilité et la motricité, l'alimentation et même la respiration. Non traitée, la forme sévère entraîne le décès vers l'âge d'un an (et demi). Le handicap est lourd, le suivi multidisciplinaire conséquent. Malgré cela, dans notre petit pays, les efforts conjoints de multiples acteurs et l'accessibilité accrue à des traitements révolutionnaires ont permis d'améliorer sensiblement le pronostic et la qualité de vie des patients concernés. Le Pr Nicolas Deconinck, qui est directeur général médical de l'Hôpital universitaire des enfants Reine Fabiola (HUB ; ULB) et co-directeur du Centre de référence neuromusculaire de l'ULB, nous explique la génétique derrière la maladie, nécessaire pour comprendre la thérapie. " Dans la SMA, il y a une mutation homozygote du gène SMN1. Ce gène produit la molécule SMN, une protéine que l'on retrouve principalement dans la moelle épinière et qui joue un rôle clé dans le bon fonctionnement des motoneurones. Ces neurones moteurs transmettent les signaux du système nerveux central aux muscles pour réaliser les mouvements volontaires. Si la protéine SMN est déficiente, il y a une dégénérescence des motoneurones ; les tissus musculaires ne reçoivent plus les commandes motrices et donc s'atrophient. Un peu plus loin sur le chromosome porteur de la mutation se trouve le gène SMN2: quasi identique au gène SMN1, il produit cette même protéine SMN essentielle, mais de manière nettement moins efficace. Chez les patients atteints de la SMA, le nombre de copies de SMN2 modifie le phénotype: à partir de trois copies, la personne compense généralement mieux la mutation (la perte de fonction) de SMN1, rendant la maladie moins invalidante." Depuis 2017, deux thérapies existent: le Zolgensma® " le médicament le plus cher du monde", bien connu depuis le bébé Pia et, depuis quelques mois seulement, remboursé en Belgique pour les cas de SMA les plus sévères. Il s'agit d'une injection intraveineuse unique de grandes quantités de virus auxquels la copie correcte du gène SMN1 a été intégrée dans l'ADN. Le virus circule dans toutes les cellules, les 'infecte', et passe même la barrière hémato-encéphalique pour notamment pénétrer les motoneurones. " Il s'agit de la deuxième thérapie génique sur le marché, et son mécanisme est absolument ingénieux", trouve le Pr Deconinck. Deuxièmement, le Spinraza®: un médicament contenant des petites molécules d'ADN qui se lient au gène SMN2 et que l'on injecte par voie intrathécale, tous les quatre mois (comme le SMN2 est instable, il faut répéter les traitements).L'avantage est que tout patient peut être traité avec le Spinraza® contrairement au Zolgensma® dont l'indication se limite à la forme la plus sévère et qu'il faut administrer avant l'âge de deux ans. Maintenant, des études internationales pourraient changer la donne. Des équipes issues des quatre coins du monde, dont celle du Centre de référence neuromusculaire de l'ULB (Erasme et HUDERF) ont mené et mènent des essais cliniques autour d'un médicament innovant qui s'administre par voie orale, le risdiplam (Evrysdi®). Il s'agit d'une petite molécule qui modifie les schémas d'épissage alternatif du gène SMN2 pour le rendre plus stable. La production de la protéine SMN par ce "gène de secours" se voit ainsi augmenter, ce qui se traduit par une amélioration directe des symptômes. Les études appelées "Fish" étudient les effets du risdiplam sur les nouveaux-nés et les adultes: "Firefish" étudie la forme la plus sévère (type 1) chez les plus petits, "Sunfish" les formes 2 et 3 chez les plus grands. Les résultats à 12 mois sont déjà publiés dans le New England Journal of Medicine et dans The Lancet Neurology. Les études cliniques ont commencé il y a quatre ans, entre autres à l'Huderf mais aussi à l'UZ Gent, sous la supervision du Pr Deconinck, spécialiste en neurologie pédiatrique. La conclusion, pour être très bref: l'amplitude de l'effet sur la fonction motrice est similaire à celle de Spinraza® Et si les trois types de médicaments ont de bons profils de sécurité et sont bien tolérés, le risdiplam offre des avantages supplémentaires. Le Pr Deconinck explique: "Déjà, il n'y a pas d'injections à réaliser. Contrairement au Zolgensma® le risdiplam ne donne pas de thrombopénie ou d'hépato-toxicité (parfois sévère), et si on le compare au Spinraza® il permet d'éviter ici le syndrome post-ponction lombaire." Ce dernier, qui se manifeste par des céphalées intenses et des vomissements, n'est pas dangereux mais affecte la qualité de vie du patient, surtout quand on prend en considération la fréquence des injections. " La mise en route d'une telle étude est un véritable projet: tout doit passer par le comité éthique, il faut rencontrer les patients et faire un screening pour évaluer s'ils répondent aux critères d'inclusion, il y a les formulaires de consentement, ... Il faut suivre les protocoles, et l'approche multidisciplinaire est essentielle", nous explique le Pr Deconinck . La première année, l'étude était placebo-controled et en double aveugle . "Il n'y avait que la pharmacie qui était au courant de quel patient recevait quoi. L'évaluation des patients sur le plan moteur se faisait par des kinésithérapeutes spécifiquement formés, à l'aide d'images de caméras." Les études continuent, pour apporter des preuves supplémentaires concernant la sécurité et l'efficacité à long terme du risdiplam.Tous les patients bénéficient maintenant du traitement. " Chez les plus petits, on regarde la survie (qui est très bonne sous risdiplam) et la capacité de tenir assis, par exemple. Dans les formes moins sévères on évalue d'autres paramètres, comme le périmètre de marche et la stabilisation de la maladie. Ce sont alors les progrès plus modestes qui comptent", clarifie le Pr Deconinck. Plus tôt on traite la maladie, mieux c'est. Dans cette optique, la Fédération Wallonie-Bruxelles a commencé à faire la détection néonatale de l'amyotrophie spinale. Le projet pilote, qui a été baptisé " Sun May Arise on SMA", a débuté en 2018 et est désormais un programme officiel. Ce newborn screening de la SMA est particulièrement innovant, puisque la Wallonie est la première région d'Europe et l'une des premières au monde à le faire. La Flandre suivra bientôt - les aspects éthiques, financiers et de faisabilité sont en cours de discussion avec les généticiens. Le principe est le même que pour le dépistage néonatal des maladies métaboliques: dans les premiers jours de vie de l'enfant, on prélève quelques gouttes de sang sur un papier buvard via une petite piqûre au talon. La seule différence pour ce screening génétique, c'est qu'il faut rajouter un test PCR. Actuellement, le programme permet de détecter six à sept cas de SMA par an en Belgique francophone. " Le grand avantage est de pouvoir prévenir directement le centre de référence et de lancer le traitement, avant même l'apparition des symptômes. Nous gagnons énormément de temps et de qualité de vie pour le patient", précise le professeur. Dans le cadre de la prévention, la détection prénatale ou le carrier screening, qui passe par un conseil génétique, est également efficace. On le fait déjà dans des pays comme Israël, où le taux de consanguinité est plus élevé et, par conséquent, le risque de maladies autosomiques récessives. " En s'appuyant sur nos ressources, nos connaissances actuelles et les traitements disponibles, l'objectif est d'éliminer progressivement cettemaladie génétique en Belgique", conclut le Pr Deconinck.