À l'occasion de la sortie de son traditionnel rapport bisannuel aux Chambres - le 11e du genre, la Commission fédérale de contrôle et d'évaluation de l'euthanasie (appelons-la tout simplement CFCEE) énonce ses tout aussi traditionnelles recommandations. Qualifiant désormais certaines d'entre elles d'"urgentes", dans l'espoir d'être enfin entendue. L'Arizona volera-t-elle à son secours? C'est qu'il y a péril en la demeure.
Des membres à bout
Près de 23 ans après l'avènement de la loi relative à l'euthanasie (28 mai 2002), la CFCEE ne dispose toujours que de deux secrétaires, alors que le nombre de dossiers a explosé et que les données se sont terriblement complexifiées. La Commission elle-même n'est pas au complet: il lui manque pas moins de sept membres, tant effectifs que suppléants, sur les 32 prévus par la loi. Or, en janvier 2025, ce sont désormais 80 à 90 dossiers qui tombent chaque vendredi soir (belle manière d'entamer le week-end) dans la boîte à courriels des membres en vue de la réunion du mardi. Et ce flux est continu, on ne se retient pas de préférer mourir pendant les vacances.
Jusques à quand la corde tiendra-t-elle? "Il nous est arrivé d'évoquer la grève", souffle Jacqueline Herremans, membre de la Commission et présidente de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), "ou de penser ne pas renouveler notre mandat après quatre ans...Mais nous avons bien conscience d'être un maillon indispensable dans le cadre de la loi."
Parmi les recommandations de la Commission, une revalorisation. L'actuel jeton de présence est fixé à 20 euros pour les membres (sous déduction d'un précompte professionnel), et à 25 pour les coprésidents. "Nous ne savons pas à combien il faudrait le porter ; il a été question d'examineraussi le cas des autres Commissions (avortement, Comité consultatif de bioéthique, transplantation...), certains experts n'ont parfois pas de jetons du tout!"
Revaloriser la rémunération des membres de la Commission euthanasie serait une façon de reconnaître le volume et la complexité du travail accompli (et d'attirer des candidats). Outre les réunions, les membres assurent bénévolement des tâches essentielles comme, on l'a dit, l'analyse préalable des dossiers, mais aussi la communication avec les médecins, les réponses aux sollicitations externes et la participation à divers projets.
Plus de moyens humains
Au secrétariat, quatre bras supplémentaires ne seraient pas du luxe pour soutenir les deux personnes qui gèrent actuellement les milliers de déclarations annuelles en français et en néerlandais. Même si comparaison n'est pas raison car les tâches y sont plus complexes (avis détaillés et commissions régionales), chez nos voisins hollandais, le cadre administratif compte... 25 personnes. Pourtant, une (bonne) volonté politique suffirait, au niveau des SPF Santé publique et Justice dont dépend la CFCEE, pour grossir le cadre belge par arrêté royal.
C'est qu'il faut garantir la continuité d'un travail de qualité, alors que les exigences ne cessent, elles aussi, de croître. Notamment depuis la modification, le 27 mars 2024, de la législation qui a levé l'anonymat, suite à un arrêt de la Cour européenne, pour le document d'enregistrement à compléter par les médecins. Un changement qui, concrètement, implique d'encoder davantage de data et un travail plus poussé en termes de statistiques. Data qui servent notamment à la confection du rapport bisannuel, aussi à charge des secrétaires.
Les déclarations sont encore trop souvent complétées à la main par les médecins, et donc parfois difficiles à déchiffrer.
Dématérialiser les procédures
En 2025, 80% des déclarations sont encore manuscrites. Un formulaire électronique soulagerait grandement le secrétariat (qui a parfois du mal avec l'écriture des médecins, appelons un chat, un chat). La digitalisation éviterait aussi l'oubli de certaines cases (le programme bloquerait en cas de données non complétées, comme une date de naissance).
En attendant un formulaire en ligne accessible via votre logiciel métier, le mieux est de compléter le document actuel (disponible en Word ou en PDF) sur votre écran plutôt que de l'imprimer et de le remplir à la main. Et de jeter aux oubliettes "les vieux formulaires d'avant la levée de l'anonymat qui sont encore trop en circulation", rappelle Mme Herremans, qui souligne que le document "peut aussi servir de feuille de route aux médecins pour ne rien oublier dans le décours de la procédure, par exemple le respect du délai quand il n'y a pas de risque de décès à brève échéance."
Enfin, autre demande qui faciliterait la vie de la Commission, la création d'un département dédié, doté notamment d'une cellule communication, pour informer correctement tant les citoyens que les médecins. Il n'est pas rare en effet, aujourd'hui, que le public téléphone directement aux deux secrétaires de la CFCEE, dont ce n'est pas le rôle de dispenser l'information au grand public...
"L'information doit être donnée de façon beaucoup plus claire, et par des médecins. Nous essayons, avec l'ADMD, d'implanter des consultations de fin de vie dans un maximum d'hôpitaux et nous plaidons pour des personnes référentes, des psychologues par exemple, dans chaque institution pour donner des informations. Les informations doivent aussi être diffusées de façon didactique pour tout médecin confronté à une demande d'euthanasie", conclut Jacqueline Herremans.
Quelques chiffres clés du rapport 2022-2023
- 6.389 déclarations enregistrées sur les deux années, dont 29,4% en français (contre 17% seulement, il y a dix ans).
- 70% de personnes de plus de 70 ans. Les octogénaires constituent la tranche d'âge la plus importante (28,5%), les moins de 40 ans représentent 1,2% (une seule euthanasie sur mineur).
- 3.156 hommes (49,4%) et 3.233 femmes (50,6%)
- 49,5% d'euthanasies à domicile (diminution notable), 32% à l'hôpital (dont 7% en soins palliatifs) et 17% en MR/MRS (légère augmentation)
- Dans 81% des cas, le décès était attendu à brève échéance
- Déclaration anticipée: moins de 1% des cas
- Le généraliste est le premier médecin consulté obligatoirement (63%)
- Dans trois quarts des déclarations, souffrances physique et psychologique vont de pair (souffrance psychologique seule: 2%)
- Produits utilisés: Thiopental + paralysant neuromusculaire IV (48%), Thiopental IV seul (24%) et Propofol + paralysant neuromusculaire IV (27%)