Face à la crise sanitaire, d'aucuns s'accordent à dire que la vaccination est la clef. Cette campagne de vaccination mondiale montre toutefois une réalité à deux vitesses: les pays riches se permettent une troisième dose alors que les pays pauvres peinent à inoculer ne serait-ce qu'une première dose. Certaines ONG brandissent la levée de la propriété intellectuelle sur les vaccins comme solution, mais est-ce vraiment la solution au problème?
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Amnesty International, le CNCD-11.11.11, Médecins sans frontières, la Mutualité chrétienne, Solidaris et Test achats dénoncent certains pays, dont la Belgique, qui s'opposent à la suspension temporaire des droits de propriété intellectuelle sur les technologies et dispositifs médicaux liés au Covid-19. "Les entreprises pharmaceutiques avec lesquelles l'Union européenne conclut des contrats pharaoniques réservent la quasi-totalité de leur production aux pays riches qui monopolisent ainsi les stocks de vaccins et de traitements. En plus de s'opposer à la levée des brevets, ces mêmes entreprises refusent de partager leurs technologies avec des producteurs locaux", estiment les ONG. "Il est clair qu'une vaccination efficace à l'échelle mondiale est la clef pour stopper le plus rapidement possible ce virus. Or, les pays riches en sont à leur troisième dose annoncée et d'autres peinent encore à recevoir leur première. Cette situation n'est pas acceptable", juge Laure Lekane, députée wallonne PTB. "En ces temps de mouvements de populations accélérés, la protection des uns passe parcelle des autres. Face au Covid, la défense du monde riche suppose d'organiser aussi celle des pays à revenu faible ou moyennement faible, comme dit la Banque mondiale." Et de conclure son intervention: "Il est temps de lever la propriété intellectuelle sur les vaccins Covid, c'est la seule solution."Le débat sur la levée des brevets sur les vaccins ne date pas d'hier. En mai 2021, des auditions ont eu lieu au Fédéral. La compétence relève effectivement du ministère des Affaires étrangères dirigé par Sophie Wilmès, qui porte la voix auprès des instances européennes. "La Belgique n'est pas fermée à la proposition de lever des brevets et les discussions sont en cours à l'Organisation mondiale du commerce", ajoute la députée Rachel Sobry (MR). La député libérale en outre pointe quelques difficultés: "il n'y a pas assez de sites de production.Il y a aussi un problème de distribution. Un des moyens pour accélérer la distribution, c'est aussi de redistribuer les vaccins que l'on possède. La ministre des Affaires étrangères a fait le point à ce sujet: 700 millions de vaccins ont été produits en Europe et 350 millions ont été redistribués vers l'extérieur, c'est-à-dire la moitié." Cela passe notamment par l'outil Covax déployé par l'OMS. "Les laboratoires participent également àl'initiative Covax", ajoute Rachel Sobry. "En février de cette année, on comptait déjà plus de 230 accords de fabrication et de production dans le monde. Nous devons aussi garder à l'esprit que fabriquer des milliards de doses pour des personnes à travers le monde sans compromettre la qualité ou l'innocuité des vaccins, c'est un défi de taille qui est relevé par les laboratoires. Il s'agit de produits biologiques qui sont complexes à mettre au point, les outils de production disponibles sont déjà totalement mobilisés et les technologies sont trop innovantes que pour être transférées simplement d'un site à un autre."Aujourd'hui, le défi est principalement donc logistique et la levée des brevets ne serait certainement pas la panacée pour régler ce problème. "Les véritables verrous, qui sont technologiques etlogistiques, ne seraient pas levés par des licences d'office", avance Rachel Sobry. "Pour que les laboratoires des pays dont le revenu est faible ou intermédiaire puissent produire des vaccins contre le Covid, ils ont besoin d'un savoir-faire technique et d'un accès aux informations sur tout ce qui concerne la sécurité. Concrètement, lever les brevets sur les vaccins ne réglerait pas le défi de la production de masse et c'est le défi qui se pose aujourd'hui. D'ailleurs, les codes génétiques du Sars-CoV-2 et de l'ARN messager sont dans le domaine public. C'est la technologie d'encapsulation et le savoir qui appartiennent à des entreprises. Les goulets d'étranglement dans la production de vaccins, ce sont la capacité, mais aussi le manque de matières premières et le manque d'ingrédients." "Considérer que cela serait la baguette magique est totalement erroné", confirme Christie Morreale, ministre wallonne de la Santé. "Ce n'est pas de disposer du vaccin qui pose problème aujourd'hui pour un certain nombre de pays, mais la manière de l'injecter dans de bonnes conditions, en ayant une conservation correcte du vaccin. J'espère que le vaccin Novavax va contribuer à faciliter les aspects logistiques quand il sera autorisé par les autorités internationales et nationales, parce que cela permettra d'avoir des conditions de conservation plus faciles. Ce sera un arc de plus dans cette lutte contre cette pandémie mondiale."Par ailleurs, lever les brevets risquerait de menacer l'innovation dans le futur, conclut Rachel Sobry. "Reconnaissons que la mise au point si rapide et en toute sécurité du vaccin contre le Covid est un exploit qui n'aurait pas été possible sans lecadre juridique de la propriété intellectuelle. Ce qui pousse les entreprises pharmaceutiques à innover, parfois à perte, c'est le possible accès à un marché sécurisé pour une durée limitée grâce aux brevets. Ainsi, l'octroi obligatoire de licences supprimerait cette incitation à investir sur fonds propres. En l'absence de ces investissements, malheureusement, il serait difficile de mettre au point de nouvelles technologies pour continuer à lutter contre le virus, ses variants et même au-delà, à long terme, les futures menaces sanitaires."