Quatre médecins (dont un à la retraite) quitteront bientôt la maison médicale de Libin (province de Luxembourg). Comment encore accueillir les patients dans cette région rurale qui n'attire pas les jeunes médecins? Explications avec le Dr Anaëlle Javay, présidente du conseil d'administration de la maison médicale.
...
Le journal du Médecin: Apparemment, plusieurs médecins vont quitter votre maison médicale et vous vous retrouvez dans la difficulté... Dr Anaëlle Javay: L'équipe va être divisée par deux, plus ou moins. Donc vous passez de huit à quatre? Pour l'instant, nous sommes neufs. Nos deux assistantes terminent leur assistanat fin septembre. Et quatre autres médecins arrêtent. Six médecins s'en vont finalement. On perd dans l'aventure nos maîtres de stage. Ce qui signifie qu'on ne pourra plus avoir d'assistants l'année suivante. Les médecins qui s'en vont, c'est pour une retraite bien méritée? Nous avons un départ à la retraite. Un médecin qui a travaillé de nombreuses années en solo, il nous a rejoints puis a décidé de redémarrer une pratique solo. Deux médecins se lancent dans un nouveau projet, précisément une nouvelle maison médicale. Dans la région? Non. Qu'allez-vous faire? Forcément vous n'accueillerez plus autant de patients... Nous avons un nouveau médecin qui arrive au 1er janvier (2024, NdlR). Mais à mi-temps. Donc, cela ne comblera pas les départs. On joue surtout sur le recrutement. À quatre, on n'aura pas la capacité de voir tous les patients qui se sont retrouvés sans médecins. On s'organise au mieux pour essayer que nos horaires permettent une présence médicale sur place. Nous restons trois médecins et acceptons encore des patients supplémentaires mais cela restera limité quoi qu'il arrive. Vous avez apparemment publié des "appels à l'aide" sur les réseaux sociaux. Des médecins vous ont-ils déjà répondu? On a eu peu de réponses. L'un a finalement décliné pour une autre offre. Deux autres habitent à l'étranger et ne prévoient pas de rentrer en Belgique tout de suite. Donc ce n'est pas encore très concret. Les autorités communales sont sensibles à vos problèmes? Elles font quelque chose? Oui. On a la chance que la commune nous aide. Les locaux que nous utilisons appartiennent à la commune. On risque de se retrouver en difficultés financières. Donc notre loyer sera gelé pendant quelques temps (deux ans). Le temps de se remettre à flot. Ils proposent également de mettre à disposition un appartement pour un éventuel candidat-médecin. Ce sera temporaire mais au moins le logement ne sera pas un frein pour le nouvel arrivant. Beaucoup de jeunes médecins aiment s'installer dans les banlieues de grandes villes (péri-urbaines) car ils disposent d'accès à tout ce qu'une ville de bonne taille peut offrir (cinéma, restaurants, musées). À Libin, souffrez-vous de ne pas être proche d'une grande agglomération? Personnellement, j'ai toujours été habituée au milieu rural. J'ai l'impression que l'accès à l'essentiel est garanti. Cela ne m'effraie pas. Mais je peux comprendre que quelqu'un ayant vécu toute sa vie en ville puisse être un peu effrayé de se retrouver dans une petite commune de la province de Luxembourg. Vous mettez vos difficultés sur le compte des pénuries globales de médecins généralistes? Ou bien plutôt sur le fait que les médecins fuient la ruralité? Il y a un peu des deux. Il y a pénurie globale en Belgique et ailleurs... Ce qui fait peur aussi aux candidats, au-delà de la ruralité, c'est qu'on n'est pas forcément reliés à des médecins spécialistes à proximité ou bien ceux de la région sont complètement submergés et nous n'avons pas le luxe de renvoyer à cinq hôpitaux différents. Quel est l'hôpital le plus proche? Libramont. À une quinzaine de minutes en voiture. Ça va encore mais c'est un très petit hôpital. Il n'y a pas tous les spécialistes et ils observent beaucoup de départs. Y a-t-il déjà un candidat qui bénéficierait du studio offert par la commune? Non. Quel âge avez-vous? 31 ans. Les quatre médecins qui restent sont des jeunes femmes dans la trentaine. Donc la "peur" de l'installation n'est pas genrée! Non, pas du tout. Trois des quatre sont de jeunes mamans. Donc vous n'attendez pas de solution à très court terme? Non. Est-ce que l'Inami pourrait vous aider? Ou la Santé publique? Nous n'avons pas encore fait de demandes en ce sens. J'imagine mal ce qu'ils pourraient nous proposer. Mais c'est peut-être une piste... Pour le moment, donc, chacune des quatre femmes médecins soigne un peu plus de patients? Ce qui est compliqué, c'est que plusieurs médecins ne sont pas encore partis. Ils restent encore quelques semaines voire quelques mois. On ressent assez peu la pénurie. On se projette. Mais on n'imagine mal concrètement ce que cela va donner une fois les départs effectifs dans les mois à venir. Dans les environs, il n'y a aucun médecin soliste qui pourrait vous rejoindre? Non. Le seul soliste est celui qui nous quitte... Tous les médecins de la commune étaient rassemblés dans notre maison médicale. C'est la spécificité de la commune.