L'idée que les personnes qui mangent trop et ne bougent pas suffisamment manquent de volonté a longtemps perduré. Mais à mesure que la science progresse, cette vision stigmatisante s'effrite peu à peu. Les comportements appris ont leur part de responsabilité dans certaines mauvaises habitudes de vie, mais les facteurs génétiques jouent également un rôle. En outre, un autre acteur est en train de passer au premier plan: notre microbiome intestinal.
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C'est un véritable fléau. L'activité physique est un moyen très efficace et l'un des plus accessibles, si ce n'est le plus accessible, pour préserver la santé. Néanmoins, certaines personnes ne se lèvent pas de leur fauteuil même quand on les y incite et qu'elles en ont le temps. Dohnalová et al. le déplorent également dans la revue Nature[1]. Les chercheurs s'interrogent sur les raisons pour lesquelles certaines personnes s'adonnent corps et âme à la pratique sportive, tandis que d'autres restent prostrées comme des statues. Dans ce domaine, nous en sommes au stade de la recherche fondamentale. Lenka Dohnalová et ses collègues ont tenté de trouver une explication aux différences de motilité en utilisant un modèle murin. Ils ont étudié des séries de souris au génome très diversifié mais bien défini et ont examiné l'intensité avec laquelle les animaux utilisaient un tapis roulant. Comme chez l'homme, il y avait des individus paresseux et des individus actifs. Les chercheurs ont constaté que le génome des souris ne permettait pas de prédire la différence entre les deux catégories, ou du moins qu'il n'avait qu'une influence limitée. Une analyse globale du métabolome (l'ensemble des métabolites présents dans des échantillons prélevés sur des êtres vivants) n'a pas non plus permis de trouver une explication. Dans une phase ultérieure, les chercheurs se sont concentrés sur le microbiome intestinal parce que des recherches antérieures avaient montré que ce paramètre pouvait éventuellement jouer un rôle en tant que déterminant de la motilité, mais son poids n'est pas encore clair au jour d'aujourd'hui. Que se passerait-il si l'on réduisait ce paramètre à zéro? Dohnalová et al. ont administré des antibiotiques aux souris pour détruire le microbiome intestinal. L'effet ne s'est pas fait attendre: la distance parcourue a diminué de moitié. Après l'arrêt des antibiotiques, les souris ont retrouvé leur dynamisme initial. Les chercheurs sont allés encore une étape plus loin: ils voulaient également savoir si certaines bactéries étaient plus pertinentes que d'autres dans la motilité des souris. En croisant les données sur le dynamisme des différentes souris et leur microbiome intestinal, ils ont pu identifier, grâce à un modèle de prédiction, des bactéries candidates potentiellement pertinentes pour la motilité. En guise de test, ils ont inoculé à des souris exemptes de bactéries chacune des espèces bactériennes indiquées comme pertinentes par le modèle de prédiction, ou une espèce bactérienne identifiée comme non pertinente. Ils ont ainsi prouvé qu'Eubacterium rectale et Coprococcus eutactus augmentaient la motilité des souris, alors que ce n'était pas le cas avec les autres espèces bactériennes. La conclusion générale est que le microbiome intestinal, du moins chez les souris, joue bel et bien un rôle dans la motivation à bouger. Quel est donc le mécanisme à l'origine de ce lien? Dohnalová et al. se sont concentrés sur le striatum parce que cette structure est impliquée dans la conduite des comportements motivationnels, y compris lorsqu'il s'agit de bouger. Ils ont constaté que la libération de dopamine associée à l'exercice chez les souris intactes était presque totalement absente chez les souris dépourvues de microbiome intestinal. Ce phénomène n'était pas dû à une diminution de la capacité d'effort des souris sans microbiome intestinal car les tests ont été interrompus avant même que le premier animal ne montre des signes d'épuisement. Comment le microbiome intestinal influence-t-il le striatum? Les chercheurs ont mis plusieurs années à le découvrir. Ils ont conclu que des espèces bactériennes telles que Eubacterium rectale et Coprococcus eutactus produisent des amides d'acides gras qui stimulent les récepteurs endocannobinoïdes dans les intestins. Le long des voies neuronales du cerveau, cette stimulation réduit l'expression de la monoamine oxydase (MAO), ce qui entraîne une accumulation de dopamine pendant l'exercice physique. La dopamine stimule le système de récompense, si bien que les souris (et les êtres humains) sont incitées à faire plus d'exercice. Le microbiome intestinal pourrait donc contribuer à l''euphorie du coureur'. Les auteurs de l'étude y voient en outre un mécanisme évolutionnaire: sous l'influence de l'état nutritionnel, des modifications se produisent dans le microbiome, et les animaux (ou les êtres humains) sont incités à bouger plus ou moins, en fonction de la nécessité de chercher de la nourriture. Les chercheurs vont maintenant examiner s'ils peuvent reproduire ces résultats chez l'homme. S'il ressort que tel est le cas, des mesures nutritionnelles pourraient être utilisées pour modifier le microbiome intestinal, influençant ainsi la motivation à faire de l'activité physique. Ils envisagent même une stimulation ciblée de l'axe entre l'intestin et le striatum, avec des molécules (encore à déterminer) qu'ils appellent "intéroceptomimétiques".