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Le journal du Médecin: Comment se passe votre nouvelle présidence? Vous avez succédé à une personnalité très forte en la personne de Paul De Munck...Dr Lawrence Cuvelier: Ça se passe bien. La présidence de ce type d'organisme est évidemment toujours un défi. Ça demande énormément de compétences, notamment de gestion de groupe. Je ne peux pas prétendre toutes les avoir, mais je suis entouré d'une excellente équipe. Quel est le nouveau message principal que vous voulez faire passer? Le GBO s'attelle à défendre tous les types de pratiques en médecine générale, ce qui nous permet de répondre à la diversité des besoins de la population. Pourtant, le GBO souffre d'un déficit d'image. On nous assimile à un syndicat de "pensée unilatérale" ne supportant pas la diversité alors que nous sommes très diversifiés et représentatifs dans nos approches. Nous ne sommes pas attachés à une idéologie mais c'est une façon de nous stigmatiser. Parfois, on nous coupe la parole en disant que nous sommes gauchistes... On nous assimile également aux maisons médicales alors que ce n'est certainement pas notre axe prioritaire. Comment voyez-vous le retour de Frank Vandenbroucke aux affaires, qui était assez prévisible à partir du moment où Vooruit "montait" dans l'Arizona... Un sondage auprès de nos lecteurs a montré qu'ils rejettent massivement son retour... Écoutez, c'est un homme brillant, incontestablement. Il défend l'intérêt public. Le reproche qu'on peut lui faire est qu'il n'entend souvent qu'une seule voix. Mais il peut se montrer à l'écoute dans certains dossiers, comme celui du numerus clausus, où il s'est montré ouvert aux revendications du sud du pays, portées par le GBO, d'ouvrir les vannes. Malheureusement trop tardivement car la pénurie s'est installée durablement. Il faudrait néanmoins qu'il tienne compte plus systématiquement des différences entre Régions. Nous avons un problème au niveau de la garde en médecine générale. Il est primordial de considérer que tout le monde doit pouvoir faire des gardes dans des conditions correctes. Quand la densité de population est faible, il y a inévitablement moins de travail - et donc moins de revenus - pour le médecin de garde, pourtant contraint de rester malgré tout disponible pour assurer ce service public. Nous estimons que l'État doit leur garantir un honoraire suffisant pour assurer ce service à la population, tout comme la garde doit rester liée à un tri efficace sous la responsabilité de l'État, afin de limiter le recours inapproprié aux urgences. Ce ministre est quand même à l'écoute de la partie francophone du pays. Ce n'est pas un "hémiplégique" comme pouvait l'être Marcel Colla, très branché sur la Flandre... Oui, c'est quelqu'un qui est capable d'écouter ... Par ailleurs, lorsqu'on entend qu'il faut faire 800 millions d'économies, il sera primordial qu'il accepte de réfléchir avec la profession, toute la profession, pour voir où faire des économies qui ne handicapent pas la qualité des soins et où il faut investir pour la favoriser. Comment rendre le système juste et efficace, sans le sacrifier à des intérêts locaux ou d'hôpitaux, où la médecine générale préserve sa place centrale. Récemment, le GBO/Cartel a refusé tout un train d'économies... On se bat actuellement pour la téléconsultation. Avant même le 1er janvier, on avait proposé un saut d'index qui n'aurait pas été très lourd pour les médecins mais aurait permis de sauver la téléconsultation. Après le 1er janvier, c'était évidemment impossible... Nous étions d'accord avec l'Absym d'augmenter le ticket modérateur mais, contrairement à eux qui voulaient le doubler pour tous les patients, nous proposions une augmentation d'un seul euro pour les patients non BIM, et cela parmi d'autres mesures. Le ticket modérateur n'a plus été indexé depuis 20 ans, nous pensions réellement que cette augmentation minime permettrait de dégager un budget pour contribuer au maintien de la phono-consultation, elle aussi essentielle à l'accessibilité aux soins. En médecine générale, la moyenne des contacts est de cinq par an, ce qui équivaut à une augmentation annuelle de cinq euros, pas de quoi menacer l'accessibilité ... Par contre, le prix du médicament, le prix d'une consultation d'un spécialiste, c'est là que peut résider un problème d'accessibilité. Le GBO a été le premier à parler d'abus en matière de téléconsultations... Est-ce cela qui a braqué le ministre Vandenbroucke? Le GBO a reçu comme tout le monde les résultats du SECM (Service d'évaluation et de contrôle médicaux de l'Inami, NdlR), où nous avons en effet été interpellés par les abus de certains médecins. Abus qu'il faut bien entendu sanctionner pour ne pas pénaliser l'ensemble de la profession comme c'est le cas aujourd'hui. En outre, je tiens à rappeler qu'il n'y avait pas de budget prévu pour ces phono-consultations. Donc on a dépassé un budget qui n'existait pas. C'est particulier. Il était prévu dans l'esprit de certains que les phono-consultations allaient remplacer une partie des consultations et visites. Or, elles ont surtout permis d'honorer ce que les médecins faisaient à titre gracieux jusque-là, de rencontrer l'augmentation de la demande en soins et aussi de diminuer les déplacements inutiles, ce qui est favorable à l'écologie. N'oublions pas la part des spécialistes qui font également des phono-consultations, même s'ils en facturent moins. Vous avez travaillé au forfait, dites-vous. Vandenbroucke a lancé le New Deal, qui n'a pas eu, pour le moment, le succès escompté. Que pensez-vous de ce système à trois branches: "forfait, actes, primes"? Est-ce simplement trop tôt pour tirer un bilan? Oui, il est bien trop tôt pour tirer un bilan, mais le New Deal est une formule idéale, selon moi. Dans la maison médicale où je travaille, cette formule pourrait être utilisée car c'est un système équilibré, qui laisse en outre une certaine mobilité aux patients pour pouvoir aller consulter si nécessaire dans une pratique à l'acte, ce qui n'est pas possible avec le système forfaitaire, ce que nous déplorons. Nous insistons pour instaurer une solidarité entre tous les généralistes et cette souplesse entre les trois types de pratique permettait cette solidarité. Vous parliez de consultations "bourrées"... L'élargissement du numerus clausus va-t-il y remédier? Dans quel état sont les MG à la fin de la journée? Le GBO a depuis 20 ans alerté sur les risques de pénurie. Cela n'a pas été entendu. Maintenant, pour réparer les dégâts... Les jeunes médecins veulent maintenir un équilibre entre vie privée et professionnelle, c'est connu. Il faut deux jeunes médecins environ pour remplacer un "vieux" médecin partant à la retraite. Vient s'ajouter à cela le fait qu'environ 20% des médecins abandonnent en milieu de carrière voire au début. C'est un signe qu'il faut veiller à maintenir l'attractivité de la profession, car la pénurie attire la pénurie... Quand le désert médical est total, pour le médecin qui arrive dans cet endroit, c'est presque impossible à gérer. Il est vrai que dans le temps, on disait à l'assistant: tu es prié de ne pas t'installer à proximité de mon cabinet. Aujourd'hui, c'est le contraire: "Merci de vous installer rapidement près de chez moi!" (rires). On est passé d'une logique de pléthore à une logique de pénurie. Les maisons médicales se voyaient reprocher de faire de la concurrence déloyale. Maintenant, on leur reproche de ne pas en faire assez. Vos relations avec les spécialistes sont-elles au beau fixe avec le Modes (Monde des Spécialistes) au sein du Cartel? Par rapport à la fin du 20e siècle, on ressent une sorte d'apaisement dans les relations entre MG et spécialistes... Le problème principal se pose vis-à-vis des institutions. Si vous parlez à des urgentistes, ils vous disent qu'ils sont confrontés à des problèmes de médecine générale "simple". Ils sont au bord de l'épuisement. Les gestionnaires d'hôpitaux, en revanche, vous diront que les urgences sont la vache à lait des hôpitaux. Ils ont donc un intérêt financier à recevoir ces cas de MG, ce qui est probablement une raison du refus persistant de mettre en place l'échelonnement des soins, qui soulagerait pourtant bien les urgentistes. Notez cependant que certains présidents de syndicats médicaux sont également directeurs ou gestionnaires d'hôpitaux... Comment voulez-vous, dans ces conditions, pouvoir entamer le difficile débat sur "les meilleurs soins, au meilleur endroit et au prix le plus juste"? Si notre ministre veut faire des économies, c'est là qu'il doit les faire s'il veut être crédible (...) Le GBO a toujours été pour un échelonnement "doux" où MG et spécialistes travaillent en harmonie. Avec le Modes, il n'y a pas de conflit. Ils veulent la meilleure santé pour tous. Avec les mutuelles, on constate aussi une forme d'apaisement. Comment voyez-vous vos relations avec elles? Personnellement, je n'ai jamais été opposé aux mutuelles car on poursuit le même but de qualité et d'accessibilité aux soins. Ce sont des organes intermédiaires utiles pour la concertation. Chacun défend son objet social. Les mutuelles défendent les patients, les syndicats défendent les médecins. Et, en première ligne, une médecine forte est à l'avantage des patients et du système de soins. La disparition des mutuelles avec reprise de leurs prérogatives par l'Inami risque de provoquer plus rapidement une médecine d'État, ce que nous ne voulons pas, n'est-ce pas? D'autant plus avec les dernières velléités de l'Arizona de contrôle de nos prescriptions et certificats médicaux. L'indépendance des médecins est une garantie de démocratie! La Belgique a quand même un avantage important: la concertation. Certains reprochent aux mutuelles d'être juges et parties dans certains cas. Nous avons parlé juste avant d'autres partenaires qui sont juges et parties: certains syndicalistes gestionnaires d'hôpitaux! Donc, le système de concertation présente plus d'avantages que d'inconvénients? Oui. Mais le problème principal, c'est le manque de moyen des syndicats de médecins. Les mutuelles disposent de centres d'études alors que nous devons travailler avec trois bouts de sparadrap, faute de moyens. La relation est très inégale. C'est anormal! Les subsides de l'Inami sont totalement insuffisants pour assurer une véritable défense professionnelle, rendant les cotisations de nos membres indispensables! Appel est fait aux généralistes! L'incapacité de travail, il faut y revenir. On parle de fléau. Entre 500 et 550.000 "invalides" dont 200.000 le resteront jusqu'à leur retraite. La médecine générale se sent-elle un peu coupable? D'avoir la main lourde? Les autorités tentent de vous intégrer dans le processus... On ne peut pas mener une politique de santé sur base d'exceptions, à savoir des médecins qui exagèrent. Cela n'a pas d'intérêt. La remise au travail telle qu'elle est imaginée actuellement, c'est compliqué. Tout le monde va se rejeter la balle. L'incapacité de travail est multifactorielle. Lorsque, dans un secteur particulier, il y a beaucoup plus d'incapacité, il faut se poser des questions sur la qualité de l'environnement et des conditions de travail. La possibilité pour un patron de PME de reprendre un employé dans des conditions adaptées, ce n'est pas si évident. Pour les patients, il vaut mieux pouvoir reprendre une petite activité que rien, mais je suis assez sceptique quant aux moyens très lourds et peu réalistes mis en oeuvre pour forcer le retour au travail. Un tiers des incapacités sont dues à des maux de dos, un autre tiers sont des problèmes psychologiques. On ne peut pas dire simplement: "On va vous forcer à reprendre le travail". J'attends de voir ce que cela donne. La médecine générale doit prendre ses responsabilités par le biais de la formation initiale et continue concernant les incapacités de travail et la communication non violente permettant de gérer le refus d'une ITT, première cause des violences envers les soignants. Mais la médecine générale ne peut être rendue coupable des mécanismes sociaux accablant le monde du travail!