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Depuis le début de l'épidémie de coronavirus, la vitamine D a fait l'objet d'une attention accrue en raison de ses effets favorables sur le système immunitaire et plus particulièrement sur l'immunité innée très impliquée dans la physiopathologie du Sras-CoV-2. " De manière générale, la carence en vitamine D est reconnue comme facteur de risque d'infections des voies respiratoires", précisent la microbiologiste américaine Mardi Crane-Godreau et son équipe du Dartmouth College dans Frontiers in Public Health. "La vitamine D influence l'expression de très nombreux gènes impliqués dans les infections respiratoires et dans le fonctionnement du système immunitaire. Plusieurs études récentes ont mis en lumière une association étroite entre la carence en vitamine D et la sévérité de la maladie covid-19. Corriger les carences en vitamine D serait un moyen sûr et peu coûteux de diminuer la gravité de la maladie." " En tant que rhumatologues, nous sommes confrontés chaque jour à patients atteints des troubles du système immunitaire, sous la forme de maladies auto-immunes ou auto-inflammatoires avec inflammation articulaire. De nombreuses publications insistent sur une corrélation significative entre une carence sévère en vitamine D et des signes d'activité de la maladie inflammatoire", développe le Dr Kaye. " Nous sommes donc conscients de l'importance de la vitamine D. De nombreux facteurs influencent le statut en vitamine D, essentiellement l'âge, la latitude et la saisonnalité. Mais on observe également un manque de vitamine D chez les personnes qui, du fait de leur style de vie, de leurs habitudes vestimentaires, de leur religion, culture ou profession, s'exposent peu au soleil. À cela s'ajoutent les personnes à la peau foncée." Selon Mardi Crane-Godreau , "un nombre disproportionné de personnes de couleur aux États-Unis meurent du covid-19. Différents facteurs interviennent probablement dans cette mortalité, mais nous ne pouvons ignorer le fait que les Afro-Américains présentent historiquement un taux sérique de vitamine D particulièrement bas, comme le prouvent toute une série de données." Quid du rôle de la pollution atmosphérique dans ce contexte? Olivier Kaye: " Tout d'abord, on a observé une corrélation entre la pollution atmosphérique et la gravité des cas de covid-19. Ce fut le cas par exemple dans le nord de l'Italie, où la première vague de l'épidémie a eu des conséquences dramatiques avec une importante surmortalité. La plaine du Pô est fortement industrialisée, et la pollution atmosphérique y est une des plus élevées en Europe. On a constaté le même phénomène dans la plaine d'Alsace, et dans les grandes mégapoles industrialisées. Des travaux américains tout récents de l'équipe de santé publique d'Harvard confirment que l'exposition chronique aux particules fines PM 2.5 est associée de manière indépendante à la mortalité liée au Covid-19 observée aux Etats-Unis(2). Nous devons néanmoins tenir compte de différents facteurs prédisposants et confondants tels que la densité de la population, le climat, le statut socio-économique, et certaines maladies chroniques dont essentiellement le syndrome cardio-métabolique. Mais l'hypothèse avancée dans "Frontiers in Public Health" n'en reste pas moins intrigante." Selon les auteurs de l'article américain, la pollution atmosphérique entrave l'action de la vitamine D. Au niveau moléculaire, le mécanisme fait intervenir le LL37, un peptide antimicrobien produit par les cellules mono-macrophagiques impliquées dans le système immunitaire inné. Le LL37 apporte une protection contre un large éventail de micro-organismes tels que les virus, les bactéries, les parasites et les champignons. Son activité est étroitement corrélée à la concentration de vitamine D dans le plasma. Le LL37 est en effet un fragment de la cathélicidine (hCAP18), dont le gène codant est partiellement régulé par la vitamine D. " Le LL37 diminue la réplication des virus à enveloppe tels que le coronavirus", confirme le Dr Kaye. "De plus, il atténue la réponse immunitaire disproportionnée par son action sur les TLR (toll-like récepteurs). La sensibilité au Sras-CoV-2 des personnes en carence de vitamine D pourrait s'expliquer notamment par une baisse du taux de LL37." " Cela étant, un autre facteur influe sur le LL37, à savoir les particules fines et le carbone dans l'air pollué. Ceux-ci entraînent une citrullination du LL37, privant cette molécule de sa capacité à détruire les virus". De ce point de vue, la pollution atmosphérique apparaît donc comme un authentique perturbateur immuno-endocrinien et contrecarre les effets immunoprotecteurs de l'hormone vitamine D. Les conséquences d'une carence importante en vitamine D peuvent ainsi être aggravées par la pollution de l'environnement. " Maintenant que nous tentons de tirer les nombreux enseignements de la première vague, que le virus circule encore activement, que les hospitalisations repartent à la hausse et surtout que l'hiver est à notre porte, le moment n'est-il pas venu de nous intéresser également à des facteurs tels que la vitamine D et la pollution atmosphérique?", conclut le rhumatologue liégeois. " D'autant plus que la Belgique est loin d'être parmi les pays européens les moins touchés par la pollution atmosphérique. Les concentrations annuelles en particules fines restent encore élevées dans les zones urbaines et fortement industrialisées, supérieures aux recommandations de l'OMS. De plus, la prévalence du déficit en vitamine D en Belgique reste élevée surtout dans la population âgée et se majore significativement pendant l'automne et l'hiver. Dans son communiqué du 22 mai dernier, l'Académie nationale française de Médecine rappelle que, même si la vitamine D ne peut être considérée comme un traitement préventif ou curatif de l'infection due au Sras-CoV-2, elle pourrait être considérée comme un adjuvant à toute forme de thérapie en atténuant la tempête inflammatoire et ses conséquences. Comme l'écrivent Mardi Crane-Godreau et ses collègues, la prise de vitamine D pourrait donc être une mesure simple, bon marché, avec un bon profil de sécurité dans la prise en charge globale du Covid-19." " L'idée est de corriger les carences chez les personnes à haut risque de déficit, avec comme objectif de maintenir une valeur supérieure à 30 ng/ml, comme nous le proposons en rhumatologie chez les patient(e)s atteint(e)s de rhumatisme inflammatoire chronique ou d'ostéoporose. Les effets secondaires éventuels n'apparaissent qu'à des valeurs supérieures à 90 ng/ml, valeurs rarement atteintes dans notre population. Les personnes en carence reçoivent un supplément qui peut varier de 1000 à 4000 unités par jour avec un suivi semestriel puis annuel." Une réflexion plus générale se dégage de l'hypothèse de Frontiers in Public Health. Elle donne aux professionnels de la santé, aux scientifiques étudiant l'environnement et aux décideurs politiques un motif supplémentaire, et incontournable, d'élargir une réflexion commune sur les conséquences à court et long terme de la pollution sur la santé.