Si les cliniques ou consultations dédiées à la ménopause sont aujourd'hui légion et plutôt dans l'air du temps, en ouvrir une il y a 26 ans - eh oui, au siècle dernier ! - relevait un peu de la gageure. Forte d'une expertise en endocrinologie acquise à l'hôpital Saint-Antoine de Paris, la Dre Axelle Pintiaux, alors jeune gynécologue obstétricienne, n'hésite pourtant pas: elle ouvre un centre consacré à la ménopause au coeur de Liège, dans le giron du département universitaire de gynécologie, et monte une équipe... Équipe aujourd'hui forte de 18 médecins spécialistes et prestataires paramédicaux qui assurent aux patientes une prise en charge pluridisciplinaire et intégrée.
Une spécialisation à Paris
"J'ai fait mes études de médecine et de gynécologie à Liège, puis je suis partie deux ans à Paris, dans le service d'endocrinologie générale et de la reproduction du Pr Philippe Bouchard, qui avait une renommée internationale", explique-t-elle. "C'est là que j'ai acquis des compétences très spécifiques. Je n'ai ensuite jamais coupé les ponts entre Liège et Paris: je suis restée en contact permanent avec mes collègues français, notamment pour faire de la recherche ou pour leur envoyer des assistantes."
Il y a quelques mois, via notamment une de ses anciennes consoeurs françaises aujourd'hui à l'Ordre des médecins et des membres de la Haute autorité de santé (HAS), des gynécologues endocrinologues sollicitent l'expertise de la Liégeoise. "Ils m'ont demandé de présenter notre modèle de soins en Belgique, dans le cadre d'une demande de mission du Premier ministre Michel Barnierdiligentée par un médecin parlementaire (avant la motion de censure, NdlR). L'objectif étant d'évaluer les prises en charge de la ménopause dans les pays limitrophes."
La Pre Pintiaux a fait sa présentation en visioconférence avec Paris, exposant aux Français l'organisation des soins au Centre liégeois de la ménopause, riche de sa longue expérience. "Le Centre permet notamment de faire un bilan complet en unité de temps et de lieu et dernièrement, nous avons ouvert une consultation plus spécifique encore, pour la ménopause après un cancer et les jeunes patientes à haut risque de cancer qui se retrouvent brutalement en ménopause après chirurgie."
La ménopause source de discriminations
Le rapport parlementaire français est à présent en cours d'élaboration. Plus tôt, à l'été 2023, c'est au Sénat belge [1] que la spécialiste du CHU de Liège avait fait part de son expertise, à la requête du Conseil de l'égalité des chances entre hommes et femmes. Quel rapport avec la ménopause? Cette transition hormonale peut s'avérer source de discriminations: "Les femmes confrontées à cet orage de neurotransmetteurs peuvent être moins performantes à cause de leurs symptômes", rappelle Axelle Pintiaux. "Elles sont moins combatives professionnellement et, malheureusement, vont parfois laisser passer des opportunités alors qu'elles sont à l'âge où l'on accède généralement aux plus hauts postes. Quand j'interroge mes patientes, je me rends compte qu'elles sont nombreuses à passer à temps partiel et à ne plus attribuer la même importance à leur activité professionnelle..."
Selon une étude de Securex, les femmes ménopausées symptomatiques sont davantage à risque d'absentéisme et de burn out, alors que celles qui n'ont pas de symptômes (ou n'en ont plus car sous traitement) sont plus performantes au travail que... leurs homologues masculins plus jeunes. "C'est vraiment interpellant! Cette période de transition ménopausique est difficile", insiste la gynécologue, "mais ça s'arrange avec le temps."
Revaloriser les consultations
D'où l'importance d'une bonne prise en charge des femmes en détresse. Ce qui exige des connaissances spécifiques... mais aussi du temps, car la ménopause est "time-consuming": il est compliqué de garantir à ces patientes, qui ont parfois attendu des mois pour avoir un rendez-vous, une écoute attentive - et souvent longue vu la diversité de la symptomatologie -, quand une future maman est en cours de travail un peu plus loin dans le service ou qu'il faut quitter sa consultation en urgence pour une césarienne...
"Nous avons un an et demi de délai dans notre département universitaire pour les bilans de ménopause...", regrette Axelle Pintiaux. "Il faudrait revaloriser les consultations, les rendre plus attractives. On essaie constamment de trouver de jeunes médecins, actuellement deux jeunes gynécologues de l'ULB viennent se former dans notre institution." Si la spécialisation en gynécologie ne connaît pas de pénurie particulière, le domaine de la ménopause n'attire pas énormément de médecins. Avec le vieillissement de la population et la levée du tabou qui entourait la ménopause jusqu'il y a peu, les patientes en quête de soulagement se pressent pourtant au portillon.
Une spécialité de plus en plus pointue
Le système est différent en France où, dès leur formation, les futurs gynécologues peuvent faire une partie de leur cursus en endocrinologie, "et les endocrinologues font une année de gynécologie", expose notre interlocutrice. Ce croisement entre spécialités explique que l'on trouve des endocrinologues au sein des équipes de PMA en France, et que par ailleurs, les gynécologues "médicaux" ont des compétences en endocrinologie. Non soumis aux urgences de la salle d'accouchement, ils peuvent se permettre de prendre le temps pour les patientes ménopausées. "Chez nous, on a surtout des gynécologues obstétriciens ou chirurgiens. Notre spécialité est très large, elle déborde souvent sur d'autres: de l'endocrinologie, de la médecine interne, de l'oncologie... Il faut avoir l'esprit ouvert. Souvent, les collègues se spécialisent au fil des années."
Chez nous, le cursus de gynécologie vient d'être porté à six ans au lieu de cinq, dont deux consacrés à des spécialisations.
La donne est toutefois en train de changer, puisque le cursus de gynécologie vient d'être porté à six années au lieu de cinq, les deux dernières étant consacrées à des spécialisations: médecine maternelle, médecine foetale, ménopause, génétique, chirurgie de la statique pelvienne, chirurgie oncologique, ménopause, médecine reproductive... "C'est une nouvelle génération de médecins qui arrive, cela donne d'autres opportunités et ça va vraiment ouvrir des horizons", se réjouit la Pre Pintiaux.
Par ailleurs, la Société belge de la ménopause, dont fait partie Axelle Pintiaux, est en train de mettre au point, au niveau national, une formation en ménopause (en anglais) qui devrait être accessible à la rentrée de septembre. "De mon côté, depuis 2012, j'organise avec l'ULB un certificat interuniversitaire d'endocrinologie de la reproduction au cours duquel les problématiques de la ménopause sont abordées, entre autres."
[1] Depuis, le débat a avancé et la Conférence interministérielle santé publique a approuvé, en décembre dernier, la création d'un groupe de travail interfédéral dédié à l'élaboration d'une politique cohérente en matière de ménopause.