Comment aider le médecin généraliste à mieux identifier son rôle et sa fonction dans le parcours de vie des patients présentant un trouble lié à l'usage de substances illicites (PTUSI)? La Dr Lou Richelle propose des pistes de réflexion et d'action.
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L'amélioration de la prise en charge de ces patients en médecine générale est au coeur de la thèse de doctorat du DrLou Richelle, médecin généraliste et doctorante en Sciences médicales (DMG-ULB). Elle a présenté son travail le 21 mars dernier dans le cadre des Lundis de la psychiatrie à l'hôpital Brugmann. Dans sa thèse, elle croise plusieurs recherches qualitatives menées sur le terrain auprès de personnes (ex)-consommatrices de substances illicites, de médecins généralistes et d'autres professionnels de santé. Son étude est centrée sur Bruxelles en raison de sa spécificité due à la densité, à la multiculturalité et à l'hétérogénéité du public et à des consommations importantes et répandues. 23 entretiens ont été menés dans neuf structures ambulatoires et résidentielles: Quinze hommes et huit femmes, tous encore (poly)consommateurs actifs (tabac pour 22/23, cocaïne pour la moitié), quinze célibataires et six parents et un niveau socio-économique bas. " Les profils de ces personnes montrent des vulnérabilités psychosociales importantes (événements de vie difficiles, addictions dans la famille, comorbidités psychiatriques). De nombreux patients ont rapporté prendre encore des risques biopsychosociaux, la culpabilité et le selfstigma restent très importants. Une majorité présentait des troubles mnésiques et il y avait beaucoup de surmédication. On a identifié deux publics à besoins spécifiques: immigrés et femmes", explique-t-elle. Parmi les freins à la motivation au changement, on note des événements de vie difficiles, l'isolement social, une séparation amoureuse..., et parmi les leviers, rompre avec les habitudes et l'environnement, trouver des occupations, soutien social, enfants... Au rang des éléments négatifs de la prise en charge par le MG, le manque de disponibilité/écoute (" Certains utilisent le médicament pour demander de l'aide au médecin qui ne le comprend pas"), contact médical expéditif, manque de prévention de la consommation, jugement... Et au rang des éléments positifs, la disponibilité/écoute, aide médicamenteuse, ouverture d'esprit, non jugement, confiance patient/soignant... Les besoins et attentes des patients vis-à-vis des MG concernent le savoir-être, le savoir (connaissances en addictologie) et le savoir-faire (proactivité concernant la consommation: dépistage, prévention, intervention précoce...). " Le patient veut être considéré comme un être humain à part entière et pris en charge de manière globale, sans être étiqueté comme toxicomane. Ceux que nous avons interrogés ont mis en évidence la problématique de la surconsommation: ils trouvent que les médecins prescrivent trop facilement des benzodiazépines... Beaucoup passent d'une consommation illicite à une consommation licite (alcool...), d'une dépendance à une autre", constate-t-elle. " Il y a vraiment une problématique. L'objectif était d'identifier les facteurs qui déterminent l'accompagnement des PTUSI en MG et les profils de médecin pour voir si on pouvait agir. On a fait une recherche qualitative par entretiens semi-dirigés auprès de MG. Le recrutement a été très difficile et, finalement, 21 entretiens ont été réalisés à Bruxelles", indique la Dr Richelle. Les médecins ont été répartis en quatre catégories en fonction de leur volonté ou non de prendre en charge ces patients. Chez ceux qui refusent de s'en occuper, on voit des méconnaissances, des peurs (échec, entretien de la toxicomanie, perte de patientèle...), une vision très psychiatrique de l'addiction, des représentations stéréotypées (des substances...), un jugement moral, un respect des normes sociales, de mauvaises premières expériences, un manque de formation... à côté, il y a le groupe des 'non choix', moins positionnés négativement: ils ont des principes déontologiques (je ne peux pas refuser les consommateurs, mais dès que je peux, je les réfère), pas mal de peurs (violence des patients...) et sont peu formés. Ensuite, les 'inclusifs' ont plus d'expérience avec ces patients sans avoir choisi de travailler principalement avec ce public-là: " Leur objectif est la réinsertion, ils réfléchissent plus à leur cadre, notamment avec le pharmacien, ont une vision plus neutre des usages, substances et publics, mais ce n'est pas facile, il faut être résistant à l'échec." Enfin, ceux qui font un choix 'engagé' ont souvent un intérêt dès le départ, soit personnel, soit pour les aspects scientifiques et sociétaux des addictions. " Ils veulent étendre leurs connaissances en santé mentale, leur objectif est la réinsertion. Ils ont une représentation plus positive des produits et addictions, les patients les renvoient à leur propre marginalité comme médecin... L'âge est un facteur intrinsèque déterminant, il y a plus de curiosité chez ceux qui décident de les prendre en charge". Le troisième volet s'est penché sur la collaboration interprofessionnelle avec le MG, via des focus groupe et entretiens semi-dirigés (treize femmes, huit hommes, psy, assistants sociaux, MG). " On n'observe pas de réelle distinction entre les MG et les autres professionnels, les données sur les freins (surcharge de travail, manque de temps, d'informations, de formation...) et les leviers (travail pluridisciplinaire, DM partagé, réseau, flexibilité, disponibilité...) se répètent et se confirment", souligne-t-elle. " Le contexte historique et écopolitique influence les représentations sociétales, la législation et les politiques de santé, qui influencent à leur tour le cursus, les représentations structurelles, le langage et le paradigme de soins. On peut agir sur les formations sur les addictions, mais aussi apprendre à travailler ensemble, à reconnaître le travail de chacun et à revaloriser le travail qui se fait avec ces personnes (code Inami pour consultation longue, sensibiliser à ce type de prise en charge dans le cursus, concertations pluridisciplinaires...)", résume Lou Richelle. " Ce qui influence la prise en charge, c'est la collaboration à tous les niveaux et avant tout avec les patients, valoriser les compétences de chacun (dont le patient), réfléchir à son cadre, instaurer un climat de confiance, travailler sur la notion de 'ICE' (Ideas, Concerns, Expectations) (croiser les préoccupations et attentes du patient en regard de celles du soignant, et arriver à une décision partagée), adapter ses prises en charge à la singularité de chaque parcours... Cela permettrait de diminuer les stigmates (institutionnels, sociétaux, individuels), de favoriser le rétablissement de ces patients et la satisfaction dans le soin à la fois du côté des soignants et des patients..."