Outre la gestion des différents stress induits par la crise sanitaire, les psycho-oncologues ont été essentiels pour gérer la détresse et l'anxiété des patients et de leurs proches dans ce contexte inédit. Le symposium virtuel de psycho-oncologie s'est penché sur les enjeux du coronavirus pour cette discipline.
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" C'est la première fois qu'il y a autant de participants !", s'est exclamée Isabelle Merckaert, psychologue à l'Institut Jules Bordet et responsable du Certificat interuniversitaire en psycho-oncologie, en introduisant le symposium de psycho-oncologie de l'ULB, organisé en collaboration avec l'UMons et l'ULiège. Tous les exposés et ateliers qui ont exploré le thème de la psycho-oncologie dans le contexte du Covid-19 se sont en effet déroulés en mode virtuel les vendredi 2 et samedi 3 octobre derniers. Dans le premier exposé, la Dr Dominique de Valeriola, directrice médicale de l'Institut Bordet, et le Pr Laurent Knoops de l'unité des soins continus des Cliniques universitaires Saint Luc, ont expliqué comment leurs équipes ont vécu le Covid-19 à l'hôpital. " Il y a d'abord eu un stress lié au fait que c'était une maladie inconnue, à la crainte pour soi et son entourage et puis à l'ampleur que pouvait prendre la pandémie. Nous étions aussi extrêmement stressés par rapport à nos patients particulièrement vulnérables vu leur pathologie et leurs traitements. Un autre stress important a concerné le personnel: en particulier, parce qu'on avait de grandes difficultés pour nous procurer des équipements de protection et pour savoir quelles mesures prendre. Des directives venaient de partout sans cohérence, on devait remplir des enquêtes, envoyer des tas de chiffres... Il n'était pas évident de faire cela en plus du reste, il a fallu du temps pour être coordonné", explique la Dr de Valeriola qui se dit par ailleurs étonnée par notre capacité d'oubli des problèmes vécus au début de la crise. La prise en charge de certains comportements du personnel a aussi été source de stress: " Cela pouvait aller de l'anxiété et de la panique à des formes de déni, de minimisation par rapport au Covid, de refus de suivre les règles, d'agressivité... Il a fallu l'accepter et tenter d'apaiser ces comportements". " Enfin, ce qui a été le plus violent à assumer c'est ce qu'on a dû faire par rapport aux patients et à leurs proches, en les isolant, et par rapport à la fin de vie...", ajoute-t-elle. À la question de savoir si cette crise a néanmoins eu des points positifs, la Dr de Valeriola a signalé qu'elle avait permis de révéler la motivation et le dévouement du personnel soignant et des paramédicaux: " Elle a servi de révélateur de talents et de l'efficacité de certains (personnel de soins mais aussi informaticiens, pharmaciens...). Cela a permis de mieux connaître des personnes de l'hôpital qu'on n'avait pas l'habitude de rencontrer au quotidien. Des équipes ont appris à mieux se connaître, cela a fait naître un esprit de solidarité. Cette crise a également remis en question certaines organisations internes, comme par exemple, notre salle d'urgence qui était trop petite. Par ailleurs, beaucoup de personnes extérieures ont montré leur soutien, leur générosité: c'était très encourageant pour les équipes." Pour la Dr de Valeriola, il a fallu rétablir un juste équilibre entre la gestion des risques liés à la pandémie et le fait de se faire traiter pour le cancer: " Parvenir à ne pas trop inquiéter les patients tout en leur assurant une protection correcte." " L'enjeu pour tout le monde est de trouver le juste milieu, ce qui est très difficile dans une crise", précise le Pr Knoops. " Du point de vue d'un médecin en soins palliatifs, le Covid ne doit pas empêcher de discuter de la fin de vie et, si les gens meurent, il faut qu'ils meurent dans de bonnes conditions. C'est un discours qui est très peu présent pour l'instant: dans l'ambiance actuelle, la seule chose qui compte pour les gouvernements, etc. c'est de sauver des vies. Ce n'est pas une question facile mais je crois qu'il ne faut pas que le Covid fasse en sorte qu'on ne puisse plus avoir de réflexion pour les patients avancés, très âgés, avec beaucoup de comorbidités... Il faut essayer d'en parler à l'avance, que chacun puisse réfléchir à la prise de risque qu'il est prêt à prendre." Dans cette crise, les psycho-oncologues ont donc eu un rôle essentiel pour gérer l'anxiété des patients et de leurs proches: " Les inciter à garder le contact grâce à des tablettes a été très important pour eux, mais aussi pour le personnel pour qui il était très difficile de vivre l'isolement des patients", souligne la Dr de Valeriola . "On a dû gérer l'incertitude supplémentaire engendrée par le coronavirus. Notre rôle est aussi de relativiser ce risque infectieux, qui existe déjà par rapport à d'autres maladies infectieuses, les patients cancéreux y sont mieux préparés que le citoyen lambda." " Nous avons fait remonter vers la direction le ressenti des patients, des proches et du personnel pour voir si on pourrait mettre en place d'autres mesures qui seraient plus adaptées. Faire comprendre nos contraintes, cet équilibre entre prudence et laxisme, et aider à gérer au mieux l'agressivité qui peut naître de la fatigue chez le personnel et les patients." " On espérait faire comprendre aux politiques et au public qu'il faudrait des changements radicaux et combien il est important d'avoir un système de santé performant", précise la Dr de Valeriola. "On ne saura que dans quelques mois ou années si cette crise a eu un impact sur les patients cancéreux. A présent, il faut tenir au long cours parce que le personnel épuisé doit pouvoir se reposer et parce qu'il faut assumer le flux de patients qui arrivent parfois dans une situation plus avancée."