...

Ukrainienne originaire de Kiev et en Belgique depuis dix ans, Ievgenia Pastushenko, 38 ans, dont une partie de la famille se trouve encore en Ukraine à la merci des bombes russes, arbore la double casquette de clinicienne à Ste-Elisabeth à Uccle et de chercheuse sur le campus Érasme de l'ULB à Anderlecht. Ayant effectué plusieurs voyages en Afrique de l'Est, elle a découvert en tant que clinicienne les ravages, non seulement de l'albinisme, mais surtout du xeroderma pigmentaire, maladie rare qui décime les populations infantiles au nord de la Tanzanie. Un fléau sur lequel cette brillante chercheuse concentre depuis 2017 ses activités de recherche, au sein du département d'histologie de l'ULB. Qu'est-ce que le xeroderma pigmentaire (XP)? Et quel est son rapport avec l'albinisme? Le XP et l'albinisme sont deux maladies différentes, mais elles se caractérisent toutes les deux par une sensibilité extrême à la lumière du soleil, exposant ainsi les patients concernés à la survenue de cancers de la peau à un âge précoce. Autre point commun, elles sont transmises l'une et l'autre sous le mode autosomique récessif. Dans les pays développés, ce type de maladies est rarissime parce que la possibilité que dans un même couple, chaque partenaire transmette la même mutation est très faible. En Afrique, et l'on constate la même chose pour les albinos, le problème est qu'il y a beaucoup de mariages consanguins. Le projet dédié spécifiquement au XP a débuté en 2017. Nous nous sommes rendu compte qu'il y avait beaucoup plus de cas de XP que d'albinos et en seulement cinq années, juste au nord de la Tanzanie, dans de petites villes, nous avons détecté 120 cas. Outre la fréquence du XP en Afrique, coexistent le manque de protection et l'intensité de l'exposition solaire en comparaison de la Belgique notamment. Quel est le but du laboratoire? Je mène un peu une double existence: d'une part, je suis dermatologue et d'autre part, je fais de la recherche. Au départ, le projet en Afrique était plutôt clinique: avec mes collègues chirurgiens en dermatologie, nous partions en Afrique pour opérer les cancers de la peau. Dans mon volet recherche, je me suis demandé si l'on ne pouvait pas faire autre chose. De base, mon laboratoire à l'ULB se focalise surtout sur le mécanisme de carcinogenèse du cancer de la peau, également au niveau génétique. Nous nous sommes mis à rêver de corriger la mutation responsable du XP et changer la vie de ces enfants, et pas seulement la prolonger de quelques années. C'est là que Peter Marinkovich est entré dans la danse. Lui travaillait sur une autre maladie génétique, rien à voir avec le XP, qu'on appelle l'EB, épidermolyse bulleuse, de nouveau une maladie récessive génétique: juste après la naissance, les enfants commencent à avoir des cloches, la peau ne s'attache pas aux tissus qui se trouvent sous la peau. Ces cloches donnent des plaies et des cicatrices. Il ne s'agit pas de la même maladie, mais les effets sont tout aussi dramatiques. Peter a développé la première thérapie génique en crème qui va corriger les problèmes génétiques. Mais en Tanzanie, ce chercheur a constaté que le XP était similaire et qu'il pouvait nous venir en aide avec cette crème sur un plan pratique. Au début, nous faisions face au même problème que pour les albinos en Tanzanie ou en Afrique en général, qui sont considérés comme une malédiction. Les premières années, nous visitions en voiture les petits villages afin d'y trouver ces patients cachés par les parents, qui ne les amenaient pas à l'hôpital. Lors de mon premier voyage, je pleurais tout le temps car c'était dramatique. Je me souviens d'un papa avec deux enfants, une fille de huit ans avec un état métastatique qui est décédée deux mois après, et un plus jeune qui commençait à développer la maladie... La finalité est de créer un centre tout d'abord de diagnostic génétique, qui on l'espère deviendra un centre de référence pour tous les pays africains, où tout d'abord on pourra poser les diagnostics, et ensuite développer ce traitement. La crème consiste en une thérapie génique appliquée sur la peau, un traitement correctif. Le Pr Alain Fischer, dans une récente interview avec le jdM, affirmait qu'en France notamment, la distance entre l'activité clinique et la recherche était souvent trop grande, au propre comme au figuré... Oui, c'est la grande difficulté. Effectivement, je suis le lien entre mon équipe dermatologique et mon équipe de recherche. Mais c'est parce que j'adore à la fois la recherche et la dermatologie clinique. J'ai fait un doctorat, et arrêté durant cinq ans la clinique pour ne faire que de la recherche. Il n'y a pas beaucoup de cliniciens très intéressés par la recherche. En dermatologie, il existe un fossé entre des chercheurs qui ne sont pas intéressés par des problèmes dermatologiques et les dermatologues qui font par exemple des greffes de cheveux. Au niveau distance physique, ce n'est vraiment pas évident, mon labo se trouvant à Érasme, et cliniquement je travaille à Ste-Elisabeth à Uccle... Êtes-vous financés par l'OMS, soutenus par l'ONU, par l'Union européenne? Non, en fait, nous disposons de financements privés d'un confrère dermatologue espagnol connu et réputé. Nous disposons également d'un petit financement de l'Ares, l'Académie de recherche et d'enseignement supérieur de la Fédération Wallonie-Bruxelles, dans le cadre de projets de coopération. Il est difficile d'avoir des bourses de recherche juste pour l'XP car il s'agit d'une maladie rare. Au niveau sociétal, les patients XP sont très mal acceptés, ce qui ajoute une difficulté supplémentaire... C'est dramatique. Les autorités travaillent également à leur acceptation dans les écoles, au travers de conférences, de travail de prévention et d'éducation. Dans le cas des albinos en Tanzanie en particulier, la situation a changé au cours des 15 dernières années. Nous passons dans les écoles, notamment afin de mettre des protections UV aux fenêtres. Mais les professeurs nous confient que chaque année, des enfants albinos sont kidnappés. La situation s'améliore, mais c'est loin d'être idéal. Concernant les XP, nous ne disposons pas de chiffres...