La 56e édition du Cycle de perfectionnement en sciences hospitalières de l'UCLouvain était l'occasion d'aborder la réforme hospitalière. Le Pr Johan Kips, conseiller au cabinet du ministre fédéral de la Santé, Frank Vandenbroucke, est revenu sur les ambitions de la réforme, et surtout ses prochaines échéances.
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Johan Kips a rejoint le cabinet du ministre de la Santé publique le 1er novembre 2021. Son objectif: donner un coup de fouet à l'élaboration de la réforme du financement hospitalier. Force est de constater, un an plus tard, que la situation a évolué dans le bon sens. "Il est important de rappeler que le but de la réforme n'est pas de faire des économies. Il s'agit de plutôt de créer de la valeur ajoutée", explique d'emblée l'ancien directeur général de l'hôpital Érasme. "C'est une différence de taille: l'objectif est de garantir à la population un résultat optimal à un coût acceptable. Car les moyens sont là, mais ils ne sont pas illimités."Le conseiller de Frank Vandenbroucke a abordé les cinq chantiers essentiels de la réforme: la mise en place des réseaux, le financement des hôpitaux, la révision de la nomenclature, le value based purchasing (ou, en français, la modulation du financement hospitalier par activités en fonction de la qualité atteinte) et la maîtrise des suppléments. "Il s'agit d'un grand projet, avec de nombreux sous-projets. La réforme aboutira donc après mai 2024", indique Johan Kips. Soit après la fin de cette législature. Bien que cela ne fut pas le point central du jour, les réseaux ont été au coeur des débats, en filigrane. Pas étonnant donc de retrouver l'avis de Johan Kips. "La collaboration au sein des réseaux est un point discuté au sein de la réforme. La meilleure formule est, selon moi, qu'il y ait un seul CA, un conseil de direction et un conseil médical commun. Pour y arriver, rien n'empêche les hôpitaux de fusionner (lire encadré). Mais force est de constater - et cela est encore plus vrai du côté néerlandophone du pays - que les réseaux se sont formés pendant la législature précédente dans l'illogisme. Certains réseaux sont logiques, mais d'autres sont complètement illogiques et se sont réunis pour des raisons davantage politiques qu'autour d'un projet de soins de santé. Il est très difficile de bâtir un édifice unique sur des fondements très variables. Ce que nous cherchons aujourd'hui, c'est donc faciliter la collaboration au sein des réseaux."Concernant le financement des réseaux, "il y a eu une discussion sur un transfert de budget au niveau des réseaux: faut-il laisser le budget aux hôpitaux ou le transmettre au réseau?", questionne Johan Kips. "Je n'ai pas l'écho du côté francophone mais je sais que du côté néerlandophone, la grande majorité des directeurs d'hôpitaux ne veulent pas que le budget passe au niveau du réseau et insistent pour que celui-ci reste au niveau de l'hôpital." Réponse - partielle - donnée par Stéphane Rillaerts, directeur général du CHRSM pendant la conférence: "On peut réfléchir aux réseaux si l'on nous y incite financièrement. Par exemple avec une augmentation de 10% du BMF."L'objectif, par le biais des réseaux, est de concentrer les soins complexes là où ils sont le plus utiles. Comment? Par le biais de la programmation et des conventions Inami. Dans un premier temps, l'oncologie est privilégiée avec les cancers tête et cou. Le financement des hôpitaux est revu de manière approfondie pour passer à un financement prospectif, plus simple et plus transparent que le mode de calcul actuel. L'objectif ultime est de passer du système actuel de lits justifiés rétrospectif à un système prospectif de coûts justifiés basés sur un forfait all-in par pathologie pour les activités liées aux soins, comme c'est le cas dans les pays voisins. "On ne regarde pas le budget actuel. On veut savoir ce que coûtent réellement les soins et étudier comment le financement actuel répond à la demande de soins", explique Johan Kips. La pierre angulaire de la réforme est le calcul correct de l'utilisation justifiée des ressources et de leur coût réel par pathologie. Cela signifie qu'il existe un lien étroit entre cette réforme et la révision de la nomenclature. "L'exercice de réforme a démarré pour les prestations techniques, médicales et chirurgicales. L'idée est de séparer la partie professionnelle des honoraires et la partie qui englobe les frais de fonctionnement nécessaires à la mise en oeuvre des prestations de santé", explique le Pr Kips. "L'objectif principal est de rééquilibrer le financement en se basant sur des prestations objectivées et de réduire l'écart salarial entre les professionnels de soins (certains spécialistes gagnent jusqu'à quatre fois plus que leurs confrères! )." Jusqu'à présent, 48% des services ont été analysés. Un travail dantesque qui sera fait d'ici mars 2024 (lire encadré). À côté de l'analyse des coûts réels des prestations, il faut également tenir compte des outliers et les définir. "Travailler en enveloppes fermées peut fonctionner pour pas mal de pathologies, mais pas pour toutes", explique Johan Kips. "Il y a des pathologies ou des patients dont le profil est tel que les soins ne peuvent être prévus par des enveloppes fermées. La variabilité des coûts par admission est trop importante et trop imprévisible. Une compensation doit être maintenue dans un financement futur."En parallèle de la réforme de la nomenclature des actes techniques médico-chirurgicaux, il s'agit de réformer la nomenclature de la biologie clinique. "L'objectif est de dégager des moyens de la sécu pour la sécu", indique Johan Kips. "Il y a une marge sur la biologie clinique que nous estimons, de manière très modeste, à 15%. Nous voulons donc diminuer le remboursement de toute la biologie clinique de 15%. Le montant dégagé sera réinjecté dans les hôpitaux. Nous savons que cette marge existe au sein des hôpitaux et qu'elle est utilisée pour financer des secteurs plus déficitaires. L'objectif est de maintenir ce principe, mais pouvoir le visualiser de manière plus transparente pour dégager un montant qui puisse être discuté entre le CM et les gestionnaires à propos de sa destination."Concernant les laboratoires de biologie clinique privés, le montant libéré par la diminution du remboursement restera dans les caisses de la Sécurité sociale. "Nous estimons le montant à 45 millions d'euros. Un montant qui sera réparti de manière équitable entre les médecins généralistes dans le cadre du New Deal et les médecins spécialistes." L'heure est actuellement à la réflexion pour savoir comment ce montant sera restitué aux hôpitaux pour éviter que cette économie soit basculée en suppléments d'honoraires plus élevés pour les patients. "Ce n'est évidemment pas le but. Nous espérons pouvoir clôturer cette partie de la réforme pour le dernier trimestre 2023."La réforme de la nomenclature concerne enfin l'imagerie médicale lourde (CT, RMN et Pet). "Nous consommons beaucoup d'imageries lourdes, avec surtout une large consommation en termes de CT", constate le conseiller du ministre la Santé. "Le ratio IRM/CT est clairement plus élevé que chez nos voisins français, allemands ou néerlandais. Le but de la réforme est de rééquilibrer ce ratio IRM/CT."Comment? Premièrement, en responsabilisant les prescripteurs. Un outil d'aide à la décision devrait être disponible pour fin 2023. Deuxièmement, en revoyant le déploiement des appareils programmés. L'évaluation de leur répartition fait partie d'un protocole interfédéral qui est revu actuellement. Troisièmement, via le financement. "L'idée est, comme en France, d'accorder, à côté de l'honoraire professionnel pour le médecin, un forfait technique qui couvre les frais d'utilisation de l'outil", détaille Johan Kips. Un nombre de forfaits serait alors octroyé en fonction du nombre d'habitants dans le bassin de soins. Si le nombre d'actes réalisés dépasse le nombre de forfaits, le montant accordé sera soit diminué, soit tombera à zéro - c'est le cas en France. Quatrièmement enfin, l'hôpital qui propose des prestations en imagerie médicale lourde doit garantir le tarif de la convention. "Cela provoque pas mal de remous, mais cela a été approuvé en médico-mut", relève Johan Kips. "Ces prestations ne sont disponibles que dans les hôpitaux. Le patient n'a pas d'autre choix. Il semble logique que le patient y ait accès sans payer de suppléments. C'est un problème qui existe surtout côté néerlandophone où le déconventionnement touche environ 75% de radiologues. En Flandre, il est parfois difficile de faire un examen IRM ou CT sans payer de suppléments. C'est inacceptable."