La Cour constitutionnelle belge a rendu en 2024 plusieurs décisions significatives en matière de droit de la santé publique. Voici une analyse succincte de quatre de ces arrêts qui concernent l'accès à la profession de psychologue clinicien, la vaccination contre le covid-19 par les pharmaciens, l'interdiction des suppléments pour les BIM et en matière d'imagerie pendant les heures ouvrables.
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La Cour constitutionnelle est, en Belgique, la juridiction suprême chargée de vérifier la conformité des textes législatifs avec certaines dispositions de la Constitution relatives aux droits fondamentaux et aux règles répartitrices de compétences entre les différentes entités de l'État belge. Parmi les nombreux contentieux dont la Cour connaît, celui relatif au droit de la santé publique occupe une place importante. Depuis le début de l'année 2024, la Cour constitutionnelle s'est prononcée à plusieurs reprises sur des questions fondamentales en matière de droit de la santé. Nous vous proposons une brève analyse de quatre arrêts rendus en 2024. Depuis l'entrée en vigueur de la loi du 4 avril 2014 réglementant les professions des soins de santé mentale, le titre de psychologue clinicien est soumis à la double condition d'obtention d'un diplôme en psychologie et de reconnaissance d'un agrément délivré par le ministre de la Santé publique. Pour bénéficier de cet agrément, le professionnel doit être porteur d'un diplôme universitaire dans le domaine de la psychologie clinique. Toutefois, les personnes ayant obtenu un diplôme en psychologie dans l'enseignement supérieur non universitaire avant le 10 juin 1994 et ayant exercé d'autres activités professionnelles en relation avec la psychologie pendant au moins trois ou quatre ans pouvaient porter le titre de psychologue clinicien. En vertu de l'article 10 de la loi du 22 avril 2019 "relative à la qualité de la pratique des soins de santé", le professionnel des soins de santé doit dorénavant disposer d'un visa, délivré sur la base du diplôme requis pour pouvoir exercer en Belgique la profession concernée. Au-delà de la question du titre, c'est l'exercice de la profession qui est soumise à cette obligation de visa. Souhaitant se conformer à la nouvelle législation s'appliquant à sa profession, une personne exerçant depuis 1985 mais n'ayant pas de diplôme universitaire a introduit une demande d'obtention du visa requis pour l'exercice de la psychologie clinique. Cette demande lui a été refusée par le ministre de la Santé au motif qu'elle ne dispose pas d'un diplôme universitaire dans le domaine de la psychologie clinique ou non clinique. Dans le cadre du recours en annulation introduit auprès du Conseil d'État, la question est soumise à la Cour constitutionnelle qui va se demander s'il est constitutionnel d'exclure les psychologues cliniciens n'ayant pas obtenu de diplôme universitaire de l'accès à la profession. Le psychologue soutenait qu'en excluant les praticiens autorisés à porter le titre de psychologue sans être titulaire d'un diplôme universitaire, l'article 68/1 de la LEPS l'empêche d'exercer son métier après presque 30 ans d'expérience dans le domaine de la psychologie clinique. De ce fait, la disposition crée selon lui une différence de traitement qui n'est pas susceptible de justification raisonnable et porterait atteinte à ses attentes légitimes. Exploitant les travaux préparatoires de la loi du 4 avril 2014, la Cour constitutionnelle, dans son arrêt n°11/2024 du 18 janvier 2024, rappelle qu'en réglementant la profession de psychologue clinicien, le législateur poursuit le double objectif de garantir la compétence des professionnels et de protéger les patients qui feraient appel à leurs services. La Cour constitutionnelle constate que, par le passé, le législateur a considéré que les personnes qui avaient obtenu un diplôme en psychologie dans l'enseignement supérieur non universitaire avant le 10 juin 1994 et qui bénéficiaient d'une expérience de trois ans dans le domaine de la psychologie présentaient un niveau de compétence équivalent à celui des personnes titulaires d'un diplôme universitaire en psychologie. En outre, la Cour constitutionnelle considère que, au regard de l'objectif visant à protéger les patients, la différence de traitement critiquée ne repose sur aucun motif impérieux d'intérêt général. La Cour juge la mesure discriminatoire et conclut à la violation de la Constitution. Par un arrêt rendu le 22 février 2024, la Cour constitutionnelle a rejeté le recours visant à annuler l'article 2, 1°, de la loi du 28 février 2022 relative à la vaccination et à l'administration, par des pharmaciens exerçant au sein d'officines pharmaceutiques ouvertes au public, des vaccins autorisés dans le cadre de la prophylaxie du covid-19. La Cour fait un premier constat: la vaccination contre le covid-19 se distingue de la vaccination contre les autres maladies. La lutte contre la propagation du coronavirus s'est inscrite, pendant une première phase, dans le cadre d'une situation d'urgence sanitaire et demeure, encore actuellement, un enjeu de santé publique fondamental. La Cour constate ensuite que ce n'est pas la première législation qui autorise les pharmaciens à prescrire un vaccin. En effet, ceux-ci sont également habilités à prescrire les vaccins contre la grippe. Après ces remarques préliminaires, la Cour constitutionnelle se livre à l'examen des arguments invoqués. Dans son arrêt, la Cour dit plusieurs choses. Premièrement, la protection de la santé des patients n'est pas en danger. La Cour relève que chaque patient demeure libre de se faire administrer le vaccin contre le covid-19 par un médecin. En outre, les pharmaciens sont soumis à une formation de minimum 8 heures comportant les aspects théoriques de la vaccination et des aspects pratiques relatifs aux techniques de vaccination. La Cour souligne par ailleurs que le processus de vaccination est encadré par la loi. Elle constate également que l'obligation de procéder à une anamnèse complète du patient avant de prescrire et d'administrer le vaccin vaut aussi pour le pharmacien. Même si le pharmacien n'a pas accès au dossier médical du patient, d'autres garanties lui permettent de s'informer sur l'état du patient, d'identifier les risques que celui-ci encourt et de s'assurer du bon suivi de la vaccination. La Cour relève encore qu'il n'y a pas de risque de conflit d'intérêt: les pharmaciens ne sont pas rémunérés pour la délivrance des vaccins contre le covid- 19 et, concernant la préparation et l'administration de ces vaccins, ils sont en grande partie indemnisés de la même manière que les médecins et les praticiens de l'art infirmier. Autre élément important selon la Cour: la confidentialité de la vaccination est garantie. Le "Guide des bonnes pratiques pharmaceutiques officinales" prévoit un espace permettant de tenir une conversation confidentielle. Cette espace garantit également, selon la Cour, la confidentialité de la vaccination. Enfin, elle soulève qu'il n'y a pas de différence de traitement entre les pharmaciens et les médecins: l'article 2 de l'Arrêté royal du 26 décembre 2022 "relatif à la délivrance des vaccins covid-19 par les médecins" prévoit que la délivrance des vaccins est suivie par son administration immédiate par le médecin ou un infirmier mandaté par lui. Ainsi, la Cour constate que le "délai de réflexion" entre la prescription et la délivrance du vaccin par le médecin et le prétendu contrôle mutuel entre les deux professions sont inexistants. Par un arrêt du 11 avril 2024, la Cour constitutionnelle rejette les recours en annulation introduits contre des dispositions de la loi du 29 novembre 2022 "portant des dispositions diverses en matière de soins de santé" interdisant des suppléments d'honoraires pour les soins de santé aux BIM. L'interdiction s'appliquant tant aux dispensateurs de soins conventionnés qu'aux dispensateurs de soins non conventionnés, les requérants dénonçaient le caractère discriminatoire de la mesure. Dans son arrêt, la Cour opère un contrôle de l'interdiction au regard de l'objectif poursuivi par le législateur qui est de protéger les intérêts des patients qui ont droit à l'intervention majorée de l'assurance maladie invalidité en leur garantissant l'accessibilité financière à des soins de santé. Au regard de cet objectif, la Cour estime pertinent que cette interdiction s'applique également aux dispensateurs de soins qui peuvent fixer leurs tarifs librement. En effet, le législateur a pu considérer que, sans l'interdiction de suppléments d'honoraires, le bénéfice de l'intervention majorée de l'assurance reconnu aux ménages à faibles revenus est réduit à néant. La mesure est jugée nécessaire et raisonnablement justifiée pour protéger les ménages à faibles revenus sans que celle-ci ne porte davantage atteinte au droit à la liberté thérapeutique, au libre choix du praticien, à la liberté d'entreprendre ou à la libre prestation des services des prestataires de soins non conventionnés. La Cour valide donc l'interdiction des suppléments d'honoraires lorsqu'ils sont facturés à des patients BIM parce que cette mesure vise à assurer à tous les patients un accès égal aux soins de santé. La Cour a examiné un recours concernant l'article 11 de la loi du 13 novembre "portant des dispositions diverses en matière de santé". En vertu de cette disposition, les médecins hospitaliers ne peuvent pas facturer des suppléments d'honoraires aux patients non hospitalisés pour les prestations d'imagerie médicale lourde dans deux cas de figure. D'une part, lorsque ces prestations sont urgentes et, d'autre part, lorsqu'elles ont lieu un jour de semaine qui n'est pas un jour férié, entre 8 h et 18 h. La disposition a pour objectif de garantir l'accessibilité des soins aux prestations diagnostiques médicales essentielles. Dans cette affaire, la Cour constitutionnelle est saisie d'une demande en suspension. Cette procédure permet à la Cour de suspendre une norme législative afin d'éviter que la norme attaquée ne cause un préjudice grave difficilement réparable aux parties requérantes. Ainsi, dans des circonstances exceptionnelles, la Cour constitutionnelle peut ordonner la suspension de l'application immédiate d'une norme. Les parties requérantes soutiennent que la mesure attaquée met à mal la qualité des soins en allongeant les délais d'attente pour les prestations d'imagerie médicale lourde. En effet, selon les requérantes, la majorité des patients souhaitent réaliser leur examen un jour de semaine entre 8h et 18h, lorsque les suppléments d'honoraire ne peuvent être facturés. Par ailleurs, elles évoquent le risque que des prestations soient abusivement qualifiées d'urgentes dans le but d'éviter des suppléments d'honoraires ou de longs délais d'attente. En outre, certains hôpitaux ne proposeraient pas certaines prestations d'imagerie médicale lourde, ou en proposeraient moins, de façon à pallier l'allongement des délais d'attente, ce qui, toutefois, aurait également pour effet d'allonger les délais d'attente pour le patient et le contraindrait à parcourir de plus grandes distances pour obtenir un rendez-vous dans un autre hôpital. Un traitement commencé tardivement peut entraîner des conséquences sérieuses et irréversibles sur la santé du patient. Les opposants à cette nouvelle norme soutient aussi que cette circonstance laisserait moins de place pour les examens complexes durant cette plage horaire, alors que c'est justement pendant ces heures que le niveau de présence du personnel est au plus haut et que des radiologues spécialisés sont également présents. De cette manière, le personnel de santé ne serait pas déployé de manière adéquate. Dans son appréciation, la Cour constitutionnelle, sans procéder à une analyse des moyens, considère qu'il n'y a pas urgence à statuer. S'agissant du préjudice allégué par les associations, celui-ci ne les affecterait pas personnellement. Il ne pourrait s'agir tout au plus que d'un préjudice moral qui affecterait les intérêts collectifs qu'elles défendent. La Cour rejette donc le recours en suspension mais ne s'est pas encore prononcée sur le fond de la mesure.