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Spécialiste en équilibre nutritionnel et biochimie alimentaire, la Dre Kahina Oussedik, qui a notamment rédigé une thèse sur la lutte contre le cancer via une nouvelle approche antitumorale toujours d'actualité, a fait de l'alimentation un atout pour la santé de chacun. Elle évoque les derniers développements de la recherche, rendus possibles notamment grâce à l'intelligence artificielle et au séquençage des bactéries par la méthode révolutionnaire du shotgun. Le Journal du Médecin: Étonnamment, l'ADN des bactéries est plus sophistiqué que le nôtre? Dre Kahina Oussedik : En effet, et pourtant, pendant longtemps, nous avons cherché à nous en débarrasser: nous n'avions pas saisi leur importance. Heureusement, nous avons désormais compris qu'il faut distinguer parmi les bactéries les pathogènes des non-pathogènes. L'analyse des microbiotes est souvent parcellaire et fausse, écrivez-vous... Sur différentes plateformes pullulent les propositions de tests de microbiote qui sont loin d'être toutes rigoureuses et pertinentes. Une analyse valable répertorie au moins un tiers des bactéries dites essentielles au fonctionnement de l'organisme humain, que ce soit au niveau du microbiote buccal, intestinal ou vaginal. La communauté scientifique et médicale a préféré se focaliser sur certaines bactéries qui, lorsqu'elles sont à équilibre et fonctionnent normalement, permettent de se prémunir contre des maladies telles que le diabète, l'hypercholestérolémie, etc. À l'inverse, lorsqu'elles sont fragilisées, des maladies dites métaboliques apparaissent, sans parler du déchaussement dentaire, des infections vaginales ou des mycoses. Il convient au moins que les bactéries répertoriées dans cette liste se retrouvent dans l'analyse effectuée. Peut-on améliorer les microbiotes en les étudiant? Oui, ces bactéries sont très dynamiques. Celles de la bouche, qui sont résistantes, supportent que l'on ingère légumes, protéines, fruits et parfois des petits desserts pour se faire plaisir. Par contre, on a découvert que le grignotage était vraiment perturbant pour les bactéries, lequel les déséquilibre et les fragilise. Le microbiote intestinal est intelligent... Au niveau intestinal se trouve une sorte de petit filet de neurones dont les bactéries ont besoin afin de bien fonctionner. Toute envie alimentaire est pilotée par nos bactéries intestinales qui ne poussent pas forcément vers un bon aliment, mais vers ceux qui vont avoir tendance à corriger les carences. Il n'y a dès lors pas, comme on l'a longtemps cru, une prédominance de l'esprit sur le corps? Dans le passé, la théorie postulait que nous étions dirigés du haut vers le bas, guidés par le cerveau. Dans les faits, cela s'avère plus complexe: le cerveau se fait guider, lorsqu'il se passe un phénomène sérieux au niveau du corps, un cancer, une maladie grave. En fonction de la zone géographique du corps où cette pathologie se situe, un leader va apparaître. Si elle se situe dans la bouche, il tentera de renforcer le microbiote buccal, les autres microbiotes venant en soutien, de même que le cerveau. Il fonctionne en communication constante avec toutes ces bactéries suivant des axes: par exemple, l'axe buccal-intestinal-vaginal en relation avec le cerveau qui agit en fonction de ce que les microbiotes lui réclament. Au moment de l'accouchement, certaines parturientes qui accouchent par voies naturelles disposent de plus d'actinobactéries que celles par césarienne. Et par ailleurs, on constate une augmentation anormale chez les gens qui sont victimes de dépression ou de bipolarité... Auparavant, une fausse croyance postulait que lorsqu'on naissait par césarienne, la flore allait être chaotique, très déséquilibrée, que ces enfants allaient disposer d'une immunité très fragile. Ceci jusqu'au moment où l'on s'est aperçu que d'une part, durant la grossesse, de petites bactéries venaient progressivement peupler le foetus. Ensuite, on s'est rendu compte qu'à la naissance, même lors d'un accouchement par césarienne, l'allaitement allait être le plan B. Le bébé allait rattraper par ce biais tout ce dont il n'avait pas disposé. II y aurait une diversité bactérienne entre les femmes américaines et européennes? La diversité la plus flagrante se situe entre la femme européenne et l'asiatique. Mais entre la femme européenne et la femme américaine, une grosse différence est déjà observée, qui est due aux aliments. La courgette du Vieux continent ou celle des États-Unis ne subit pas le même traitement par pesticides, ne pousse pas dans le même environnement. Le microbiote de ce légume ou fruit est différent. En le mangeant, on va faire évoluer le nôtre d'une certaine façon : nous ne mangeons donc pas les mêmes légumes, les mêmes protéines et nous n'évoluons pas dans un environnement semblable, pollué par les mêmes choses ; les Américains ont des polluants qui leur sont propres, et nous en avons d'autres. Toutes les bactéries qui vont grandir avec nous, vont s'acclimater aux fruits, à l'environnement, aux perturbateurs chimiques qui nous entourent. Comme ils différent, cela ne résultera pas en de mêmes problématiques. Vous mettez en rapport Blautia hydrogenotrophica, de la famille des firmicutes, et la maladie d'Alzheimer... On a en tout cas constaté qu'il se trouve en plus grande quantité chez les personnes au premier stade de la maladie que chez les malades qui se situent à un stade plus avancé.On a longtemps considéré les dysbioses comme des maladies psychiques. Or, ce n'est pas le cas? Non. Par exemple, sans lactobacillus, une personne sera victime de problèmes de transit. Par le passé, lorsqu'on ne trouvait rien dans un bilan sanguin classique, une échographie ou un scanner, on concluait sur une origine psychosomatique. Désormais, ce genre de discours a évolué vers plus de prudence et de nuance, postulant qu'au regard des outils utilisés, rien n'avait été découvert. Ce n'est pas parce qu'un phénomène n'est pas visible actuellement qu'il n'existe pas. De ce point de vue, l'attitude du médecin par rapport aux patients est en train d'évoluer. Trop d'antibiotiques amènent un dérèglement... Oui, parce que l'antibiotique, c'est l'antibactérien. Au départ, il sera utilisé à l'encontre d'une population bactérienne pathogène qu'il faut réduire pour que notre système immunitaire puisse prendre le dessus et stopper totalement l'infection. Une utilisation systématique de l'antibiotique tue également les bonnes bactéries. Ce qui provoque l'apparition d'une dysbiose, l'antibiotique n'étant pas un traitement ciblé. L'épilation intégrale des zones intimes n'est pas sans conséquence? On constate 15% de mycoses vaginales à répétition chez les personnes ayant pratiqué une épilation définitive. Le poil est un vrai barrage et constitue également une défense contre certains champignons et bactéries. En supprimant ce bouclier, on favorise un peu plus le passage de plusieurs pathogènes. L'IA marque-t-elle une évolution importante dans vos recherches? Nous utilisons l'IA dans le séquençage du microbiote. Lorsque nous nous trouvons face à des séquences que nous ne connaissons pas, nous demandons à l'IA de vérifier si elles ont déjà été répertoriées dans le monde, et elle nous fournit une réponse rapide. À l'avenir, on pourra effectuer le séquençage des trois microbiotes stratégiques: buccal, intestinal et vaginal? On pourra même le réaliser pour d'autres. À l'avenir, la prolifération du microbiote par shotgun, méthode qui permet d'analyser les fragments d'ADN bactériens - les analyses ADN étant plus fiables - va se démocratiser et ne va pas rester confinée au domaine de la recherche et du développement ou à certaines cliniques privées. On observe une certaine réticence de médecins face à cette nouvelle approche... Oui, parce qu'ils n'ont pas encore en mains les nouveaux outils technologiques, fournis notamment par l'intelligence artificielle qui a constitué une avancée extraordinaire pour l'analyse et le diagnostic des microbiotes.