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Plus de 40 ans après la mort de Jacques Lacan, il apparaissait en effet essentiel à cette institution d'envisager une exposition liée aux relations privilégiées de Lacan avec l'art, en mettant en résonance à la fois les oeuvres qu'il a lui-même indexées ("Les Ménines" de Velázquez, notamment, et le rapport au fantasme), les artistes qui lui ont rendu hommage (Anne Messager, par exemple), ainsi que les oeuvres modernes et contemporaines qui peuvent faire écho aux grandes articulations conceptuelles de sa pensée (Lucio Fontana et ses "fentes" face à l'"in...fante" Marguerite Thérèse de Velázquez). Une initiative de deux psychanalystes, Paz Corona et Gérard Wajcman, qui souhaitaient consacrer une exposition à Jacques Lacan, mais ne savaient pas comment l'organiser ni la construire, n'étant l'un et l'autre ni commissaires, ni historiens d'art. "Ils nous ont donc consultés", explique Marie-Laure Bernadac, commissaire de l'expo, et grande amatrice d'artistes belges qu'elle convoque d'ailleurs. "J'ai tout de suite pensé au Centre Pompidou-Metz. Après l'exposition Michel Leiris sur laquelle j'avais travaillé, j'ai trouvé intéressant de recommencer l'expérience pluridisciplinaire qui mêle art moderne, contemporain et ancien." Et il est vrai que l'exposition est foisonnante d'oeuvres de tout type: peintures, sculptures, installations, films et photographies. L'autre commissaire, Bernard Marcadé, de renchérir: "Un vrai sujet, mais un sujet difficile car il met en lumière des enjeux contradictoires. La pensée de Lacan est multiforme et multidirectionnelle. D'autant que Lacan est un personnage clivant, adulé mais aussi très critiqué. Il reste un personnage charismatique dont l'aura continue à faire effet sur les artistes contemporains. Il s'intéresse à la question de la langue, de l'identité, de la jouissance, du désir. Tout cela nous a ouvert la voie pour construire l'exposition." Auteur de phrases décapantes comme " De l'art, nous avons à prendre de la graine" ou encore "En sa matière, l'artiste précède toujours le psychanalyste" autorisait ce genre d'approche, d'autant que Lacan est un collectionneur par affinités et rencontres: il a acquis "L'origine du monde" de Courbet exposé ici, et sujet de variations par Louise Bourgeois notamment, artiste très présente dans cette exposition. Le parcours de l'expo qui s'articule autour de la pensée du psychanalyste, met en exergue des oeuvres majeures de l'histoire de l'art, comme "Anamorphose" (de Domenico Piola, datée du 17e siècle) ou "Sainte Lucie" de Zurbarán, auxquelles il fit référence. Mais Lacan s'intéressait aussi à des oeuvres qui lui étaient contemporaines, comme celles de Duchamp (très présent avec, par exemple, "Air de Paris" - un flacon translucide rempli de cet air - pour exprimer le concept du rien). Lacan a accompagné un certain nombre d'aventures esthétiques, surtout à l'époque du surréalisme dont on célèbre le centenaire cette année. Sa pensée est imprégnée par la culture visuelle et artistique de son temps, d'où la présence prégnante d'artistes tels, outre Duchamp, Dali, Magritte ou Broodthaers (notamment pour le concept de Lalangue et du lapsus). De façon générale, les artistes belges, de Walter Swennen à Francis Alÿs, de Wim Delvoye à Jacques Lizène, ces deux derniers illustrant l'objet emblématique qu'est la "merde" de manière espiègle, ajoutent un humour qui ferait, sinon, défaut dans le propos. Car même si il est un maître... du jeu de mots, Lacan n'est pas, à franchement parler, un rigolo. Plutôt un visionnaire, en fait, qui désacralise le patriarcat (le concept "nom-du-père"), illustré notamment par le film "Daddy" de Niki de Saint Phalle, dont le père violeur n'a pas tenu compte du 'non' de sa fille), remet en question les idées sur le sexe et l'identité (photos de travestis de Nan Goldin) et défend la libération de la femme et de son corps: les plasticiennes contemporaines le lui rendent d'ailleurs bien. L'exposition se veut donc une traversée des notions spécifiquement lacaniennes, et les concepts tels que le stade du miroir, lalangue, nom-du-père, objet a, jouissances, il n' y a pas de rapport sexuel, mascarade... Une vaste biographie rappelle les principales étapes de l'oeuvre et de la vie de Jacques Lacan. Le visiteur est ainsi confronté dès l'entrée à sa personne et à sa voix, grâce à l'unique intervention qu'il fit à la télévision en 1974, et que filma le jeune Benoît Jacquot: ironie du sort, celui-ci est accusé de viol par Judith Godrèche lorsqu'elle était mineure. Lacan a fréquenté au plus près l'art et les artistes du 20e siècle, et n'a eu de cesse dans son enseignement de puiser dans l'art de tous les temps (au travers des "Ambassadeurs" de Hans Holbein, notamment). Il a tenu sur celui-ci des discours aussi neufs qu'insolites, qui ont su retenir, intriguer et provoquer nombre d'artistes contemporains (notamment Sophie Calle qui dans "Lacan", inscrit en le cousant "parce que les non-dupes errent" en 2018). Il a interprété les oeuvres non seulement comme des puissances capables de donner à voir, mais comme des objets regards éblouissants, dardés sur les spectateurs. Ces regards entourent ce personnage fascinant tout au long de l'exposition: Oliver Leroi dans "lieux dits" photographie le hameau et le panneau de Lacan à côté de celui de Brousse. Cette exposition n'est pas seulement un hommage à la psychanalyse, mais célèbre également le mystère de l'art, tel que Lacan lui-même l'entendait. Bref, en matière d'art, Lacan n'est pas vraiment mis à... l'encan.