Si les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) peuvent rendre de fiers services aux patients, il est important de les utiliser à bon escient. Le Pr Tim Vanuytsel (service de gastroentérologie, UZ Leuven) nous explique pourquoi... et comment.
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"L es erreurs dans l'utilisation des IPP touchent à quatre grands domaines", précise d'emblée le Pr Vanuytsel: les indications, le dosage, le timing de la prise et la durée du traitement. Les IPP sont indiqués chez trois groupes de patients. Le premier est celui des sujets confrontés à des problèmes de reflux typiques, lorsque les plaintes sont suffisamment fréquentes - en général, on considère qu'elles doivent être présentes au moins trois fois par semaine. Le second groupe est celui des personnes qui souffrent d'une dyspepsie fonctionnelle (sensation de lourdeur après un repas ou douleurs épigastriques survenant indépendamment des repas, sans explication apparente) ou organique (ulcère gastrique ou duodénal). Un dernier groupe plus limité est celui des patients avec une oesophagite à éosinophiles. " Pourtant, on observe que les IPP sont aussi utilisés dans d'autres catégories de patients", commente le gastro-entérologue louvaniste. "C'est par exemple le cas chez ceux qui se plaignent d'une sensation de ballonnement dans le haut du ventre soulagée par la défécation... alors que ce tableau évoque plutôt un syndrome de l'intestin irritable et ne constitue pas une indication à un traitement par IPP. Il est important de bien écouter les plaintes du patient afin d'évaluer si elles correspondent à l'une des indications validées mentionnées plus haut." " Les IPP sont aussi souvent prescrits aux patients polymédiqués (à partir de trois à quatre médicaments) "pour protéger l'estomac". Là non plus, ils n'ont pourtant pas leur place, sauf en présence d'un problème de reflux ou de dyspepsie." Chez les patients confrontés à des plaintes de reflux moins fréquentes (maximum deux fois par semaine), il sera indiqué d'instaurer un traitement intermittent. Les IPP ne sont toutefois pas adaptés à cet usage, car leur plein effet n'intervient qu'après deux à trois jours, lorsqu'une grande partie des pompes à protons ont été bloquées. En présence de symptômes intermittents, mieux vaudra donc prescrire un alginate, éventuellement en combinaison avec une solution alcaline. Lorsqu'un traitement contre le reflux débuté à la dose standard (40 mg de pantoprazole ou 20 mg d'oméprazole) ne permet pas d'obtenir une amélioration (suffisante) après un mois, deux pistes pourront être envisagées. La première sera d'étaler la dose standard sur deux prises quotidiennes, matin et soir, la recherche ayant démontré que cette approche améliore l'inhibition de l'acidité. L'autre sera d'accroître le dosage, éventuellement du simple au double, en passant là aussi à un schéma d'administration en deux doses. " On voit parfois aussi que des patients qui souffrent de dyspepsie reçoivent une double dose lorsque la dose standard ne donne pas l'effet escompté, ce qui est une erreur", poursuit Tim Vanuytsel. " Lorsqu'un IPP ne permet pas de soulager suffisamment la dyspepsie, accroître le dosage n'a aucun sens et le traitement sera simplement interrompu (voir aussi le cadre "Probiotiques"). Certains patients prennent trois ou quatre fois la dose standard d'IPP, ce qui n'est justifiable dans aucune indication - même en cas de syndrome de chevauchement, lorsque reflux et dyspepsie sont présents de façon concomitante. Dans ce cas de figure, il est possible que le reflux disparaisse avec la dose standard tandis que la dyspepsie persiste ou s'aggrave (voir aussi le paragraphe "Effets secondaires"). Là encore, accroître le dosage de l'IPP n'a aucun sens." En raison de leur courte demi-vie, les IPP doivent être pris 20 à 30 minutes avant le repas. " Les pompes à protons apparaissent à la surface des cellules pariétales au cours du repas", explique Tim Vanuytsel. " C'est donc à ce moment que l'IPP peut exercer son action inhibitrice. Si le patient le prend trop tôt ou à distance des repas, le principe actif aura disparu au moment où il aurait pu agir sur les pompes à protons. Une dose le soir signifie donc une dose avant le repas du soir, pas avant le coucher. Il convient de l'expliquer clairement au patient." " Les patients qui commencent à prendre un IPP vont souvent continuer à le faire", poursuit le Pr Vanuytsel . "Les médecins ont apparemment peur d'interrompre ce traitement, alors même que l'approche adéquate consiste à le réduire progressivement après quatre à huit semaines... et je dis bien "réduire progressivement", pas "interrompre du jour au lendemain", sous peine de s'exposer à un phénomène de rebond. Celui-ci a une explication logique: comme l'IPP freine la production d'acide gastrique, le corps va mobiliser des mécanismes pour tenter d'en sécréter malgré tout. Tant que le patient continue à prendre l'IPP, ceux-ci resteront impuissants... mais si le traitement disparaît de façon soudaine, cette machinerie renforcée va se mettre massivement en branle, avec à la clé une production accrue d'acide. De ce fait, l'arrêt brutal de la prise peut induire pendant une à deux semaines une réapparition des plaintes de reflux, ce qui peut inciter à réintroduire l'IPP et à perpétuer indéfiniment son utilisation. Passez donc de 40 mg à 20 mg puis éventuellement à 10 mg. Si les plaintes réapparaissent, le recours temporaire à un alginate peut offrir une solution." " En cas de réelle récidive des plaintes de reflux après réduction progressive du traitement, on pourra repasser à une dose plus élevée. Certains de mes patients prennent des IPP depuis des années, souvent en raison de facteurs de risque persistants tels qu'une obésité. Il est important d'attirer leur attention sur ces derniers, tout en étant conscient qu'ils sont souvent difficiles à combattre. En tout état de cause, il faudra néanmoins entreprendre au moins une tentative pour interrompre le traitement de façon progressive." Si les plaintes de reflux ne s'améliorent pas après huit semaines de traitement par IPP, une endoscopie sera indiquée afin de dépister une éventuelle lésion sous-jacente. Les effets secondaires représentent indéniablement un argument en faveur d'un usage raisonné des IPP. " Je tiens néanmoins à souligner que, dans l'ensemble, il s'agit de médicaments sûrs", recadre le Pr Vanuytsel . "Il a quelques années, la publication d'articles associant la prise d'IPP à la démence ou à des incidents cardiovasculaires a suscité un vent de panique autour de ces produits. Il s'agissait toutefois de travaux observationnels, qui permettent certes d'établir des corrélations, mais pas de démontrer un lien de cause à effet. Le fait que des personnes gravement malades prennent un médicament donné ne signifie évidemment pas automatiquement que ce dernier est à l'origine de leur maladie. Et en l'occurrence, les experts s'accordent à dire qu'il n'y a pas de lien de cause à effet entre la prise d'IPP et la démence ou les incidents cardiovasculaires." " Les effets secondaires reconnus sont d'un tout autre ordre. En raison du fait que les IPP inhibent la barrière acide de l'estomac, on assiste à une réduction localisée de la résistance aux bactéries. Ces médicaments sont donc associés à un risque accru de prolifération bactérienne dans l'intestin grêle, ce qui peut s'accompagner de divers désagréments intestinaux: ballonnements, flatulences, borborygmes, crampes intestinales, diarrhées, etc. Ce phénomène n'est pas rare et explique que, chez certains patients qui souffrent de dyspepsie, les IPP peuvent justement aggraver les plaintes. Des études de plus grande envergure rapportent également une incidence légèrement accrue des gastro-entérites infectieuses, y compris pour les formes plus graves telles que la colite à Clostridium difficile." " Un autre effet secondaire moins courant est l'hypomagnésémie. Il convient d'y être attentif, mais il n'y a aucune raison de prescrire systématiquement des suppléments de magnésium lorsque l'on initie un traitement par IPP. Un éventuel effet délétère de ces médicaments sur l'absorption intestinale du calcium n'est pas clairement établi et, là non plus, une supplémentation systématique ne se justifie pas. Très rarement, un IPP pourra - comme tant d'autres médicaments - déclencher une insuffisance rénale aiguë. J'ai vu passer un seul cas au cours de ma carrière ; il n'y a donc pas de quoi craindre de prescrire ces produits. Néanmoins, les IPP peuvent effectivement provoquer des effets secondaires qui justifient de poser judicieusement les indications et d'évaluer d'un oeil critique leur impact sur les plaintes du patient."