Confrontant l'art à l'industrialisation, le musée Von der Heydt de Wuppertal rend hommage à un célèbre enfant du pays né il y a plus de deux cents ans: Friedrich Engels
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Belle ironie de l'histoire que de voir le musée Von Der Heydt, du nom de la richissime famille de banquiers épris d'art qui fit beaucoup pour Wuppertal, berceau de la révolution industrielle en Allemagne, que de le voir accueillir un chantre de l'idéologie communiste ; puisque Friedrich Engels était lui aussi originaire de la ville... et cependant bien nanti également. L'exposition que lui consacre le musée se veut une illustration chronologique du thème de la lutte sociale conjointement à l'industrialisation dans l'art en Allemagne, depuis la naissance du "second" de Marx jusqu'à nos jours. Dans une muséographie classique qui n'a rien de révolutionnaire, elle débute par les années 1820, qui voit naître Engels, et une vision, signée Hermann Würz, encore quasi champêtre de la ville pourtant déjà plutôt dominée par les cheminées d'usines dans le lointain que par le clochers des églises. Un siècle où l'on met encore en avant la puissance du travail - bien que les prémices d'une préoccupation sociale sont déjà à trouver dans l'école de Düsseldorf, chez Hübner notamment dans la première moitié du 19e siècle -, aussi bien dans Le Marteleur de Constantin Meunier que dans cette autre sculpture d'un homme tirant une corde ( Tauzieher), de Bernhard Hoetger, disciple allemand de Rodin dont l'on sent l'influence bénéfique. Le changement de l'industrialisation, donne à voir une vue de Berlin pris dans la brume de pollution par Max Beckmann notamment, une vision d'un paysage industriel proche du style du groupe Die Brücke chez Marianne von Werefkin en 1912, d'un expressionniste quasi documentaire chez Schlemmer trente ans plus tard dans sa description d'un chantier naval, la deuxième vague expressionniste après 14-18 se traduisant chez Félixmüller par une approche presque naïve. Max Klinger décrit la misère à Berlin dans des eaux-fortes qui racontent le suicide d'une femme et son enfant à la fin du 19e. C'est par la technique de la pointe sèche et du dessin que Käthe Kollwitz, mariée à un médecin des pauvres, décrit le dénuement prolétaire, mêle dans sa description de Germinal, de la Carmagnole, d'un viol ou de la guerre des paysans qui secouèrent l'Allemagne au 16e siècle (façon métaphorique d'évoquer son époque), réalisme, expressionnisme et symbolisme. Dans une peinture étonnante de modernité, Hans Baluscheck décrit un groupe de prolétaires, hommes et femmes qui arborent tous le même visage à la sortie d'une usine, dans une sorte de standardisation: nous ne sommes pourtant qu'en 1900! Christoph Voll le fait par l'entremise de la gravure sur bois, à l'instar de Masereel, tandis que le photographe Heinrich Zille fait du documentaire social à Berlin dès l'entame du siècle dernier. Face à l'oeuvre doloriste de Kollwitz, Conrad Felixmüller décrit dans un expressionnisme abstrait dès 1919, la valse de mort "exécutée" par Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht. George Grosz croque des tableaux d'ouvriers tandis qu'un autre George, Scholz, moque dans un collage quasi contemporain la cupidité des paysans industriels allemands dans les années 20. John Heartfield, qui est bien allemand, à la même époque, réalise d'autres collages photographiques, également d'une grande modernité. Et tandis que Max Beckmann caricature Karl Marx jouant de l'orgue de barbarie au milieu des mendiants, Otto Dix décrit les victimes de la Grande Guerre perdue et première d'un genre industriel. Dans les années 20, l'oeuvre graphique inspirée du Stijl de Gerd Arntz illustre, dans une sorte de hiéroglyphe égyptien art déco, l'utopie d'un monde moderne meilleur, dans un souci d'éducation des masses. Henrich Hoerle, entre autres, glisse au début des années 30 vers une abstraction proprette, à l'inverse des conditions d'hygiène dans lesquelles vivent la plupart des artistes et du peuple allemand à l'époque. La photographie à la fois industrielle et artistique visant une abstraction géométrique naît en Allemagne avec l'oeuvre noir et blanc d'Albert Renger-Patzch, et tandis que Peter Keetman choisit d'en faire des photos de matière (de câbles par exemple) dans les années 50, les époux Bercher 20 ans plus tard optent pour le portrait de pied et de face de ces monuments souvent délaissés de l'industrie (ce n'est pas le cas du métro aérien de Wuppertal). Dans sa conclusion, l'expo se penche sur l'actualité artistique d'Engels, au travers notamment d'un globe uniquement fait de plastique trouvé dans les océans par notre compatriote Maarten Vanden Eyden, dénonçant les excès du capitalisme outrancier. Une bombe à retardement pour une terre que l'ultralibéralisme a... plastiqué.