Le Centre belge pour l'EBM, l'outil d'information et de formation des praticiens de première ligne à la pratique factuelle (EBP), appelle les médecins francophones à le rejoindre et à s'impliquer davantage dans cette démarche critique.
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"L' Evidence Based Medicine (EBM) est un mouvement relativement récent (années '90), qui tente de remettre à l'avant-plan la démarche scientifique dans la décision clinique des praticiens. L'objectif du Cebam, Centre belge pour l'EBM, est de passer de l'EBM à l'EBP, l'Evidence Based Practice, pour inclure tous les professionnels de la première ligne : médecins, infirmiers, psychologues, pharmaciens... ", précise le Dr Gilles Henrard, médecin généraliste à Liège et administrateur au Cebam. Soit en français dans le texte : médecine factuelle, médecine basée sur des données probantes, médecine fondée sur des preuves ou des faits prouvés... On trouve sans doute dans la difficulté de traduction de ce concept anglo-saxon les prémices de la méfiance que le monde francophone nourrit à son endroit. " Quand on parle d'EBM, il y a toujours le spectre du monde anglo-saxon, du contrôle étatique et de la dictature des faits or, ce n'est pas ça, insiste-t-il. Les faits doivent influencer les décisions mais ce n'est qu'un des facteurs à côté de l'expérience, de l'intuition et surtout des préférences du patient. C'est lui qui décide avec le professionnel or, pendant longtemps, il a été le parent pauvre de l'EBM. " " Historiquement, ce terme a été inventé par défaut par un médecin canadien, Gordon Guyatt, qui présentait un nouveau programme de formation des étudiants en médecine, appelé 'Scientific Medicine'. Vu les réticences de ses collègues, il décide de renommer son projet 'Evidence Based Medicine', un terme plus diplomatique pour inciter à appliquer une démarche scientifique. " En Belgique, le Cebam a accompagné le début de l'EBM au milieu des années 90. " Au départ, c'était une asbl interuniversitaire regroupant tous les départements de Médecine générale des facultés de Médecine. Ensuite, il a fallu admettre qu'au fil des ans, les forces vives francophones se sont amenuisées. Il n'y a jamais eu de tension linguistique mais l'approche EBM a toujours été mieux accueillie du côté néerlandophone, sans doute pour des raisons de proximité culturelle et peut-être aussi de bonne santé de leurs départements de médecine générale. Aujourd'hui, il y a une volonté d'accueillir plus de francophones. " Le Cebam s'occupe des formations à l'EBM, mais aussi de la validation et de l'accréditation des guides de pratique clinique et de la certification des informations médicales. Ces guides et infos labellisés Cebam sont publiés sur ebpracticenet. La bibliothèque en ligne CDLH (Cebam Digital Library for Health) donne accès à une foule d'informations médicales de qualité : Dynamed Plus et ebpracticenet mais aussi Cochrane Library, des revues internationales (BMJ, Jama...), le CBIP... " C'est la caverne d'Ali Baba du praticien de terrain ! Tous les médecins généralistes belges (n° Inami 003-004-005-006) ont automatiquement un accès gratuit à cette mine d'or ! ", s'enthousiasme-t-il. Par ailleurs, le Cebam vient d'être reconnu comme centre national Cochrane et développe des revues systématiques selon cette méthodologie. Enfin, un projet vise à évaluer l'impact de l'EBP sur le terrain grâce à des indicateurs permettant de mesurer l'évolution des pratiques. Dans son entreprise de réhabilitation de l'EBM, le Dr Henrard ajoute : " Le Cebam ce n'est pas Maggie De Block, ce n'est pas Bruxelles, ce ne sont pas des fonctionnaires, ce sont des acteurs de terrain, comme moi, par exemple, qui ai une pratique de médecine générale à Liège, qui produisent une information validée. Il y a une bataille d'image à gagner pour que l'EBM soit vue par le praticien comme un outil qui le renforce pour être indépendant dans la jungle de l'information. C'est un travail de longue haleine que nous n'avons pas gagné en partie francophone, où le praticien qui sort de l'unif ne veut plus entendre parler d'EBM parce que pour lui, cela signifie appliquer les recommandations qui viennent de Bruxelles, de l'Inami... Or ce n'est vraiment pas cela que nous défendons. Le Cebam est subventionné comme d'autres mais il est indépendant. " La familiarisation avec l'EBM se prépare donc déjà sur les bancs des auditoires : " Au Canada, cet apprentissage est intégré et progressif, à l'instar d'autres compétences comme la communication qui est distillée crescendo tout au long de la formation. " Voilà pourquoi un appel est lancé aux praticiens intéressés par la démarche et la philosophie de l'EBM, qui voudraient s'investir dans la production de cette information validée : " Il y a des places à prendre ! Ainsi, le Cebam va être amené à former des francophones pour suivre le train fédéral de construction de recommandations pour la première ligne (pour le Covid-19, par exemple) ", apprend-il. A côté de la formation continuée des professionnels, le Cebam s'adresse aussi directement au grand public pour améliorer la littératie en santé. " C'est un nouveau plan d'action : vu le succès du site 'Gezondheid en Wetenschap' en Flandre, le site infosante.be a été lancé en avril dernier. Pour chaque recommandation professionnelle, on a développé une fiche patient (vulgarisée et raccourcie). A terme, on voudrait que ce site soit un lieu de documentation et d'amélioration des compétences numériques en santé des patients, prévoir des formations et des fils Twitter ou autres pour réagir rapidement lorsque la presse grand public publie une info santé. " " Pour moi, la littératie en santé est un des pans de la démarche EBM qui passe par un positionnement critique, la capacité de trouver de l'information et de la communiquer aux patients ", conclut le Dr Gilles Henrard qui termine son doctorat sur ce sujet.