Présentant la collection d'un magnat allemand du refroidissement, la fondation Schauwerk, située dans la banlieue de Stuttgart, ne se contente pas de conserver les oeuvres d'art au frigo...
...
Fabricant de pièces de réfrigération de renommée mondiale, Peter Schaufler, le fondateur de Bitzer décédé en 2015, a, en compagnie de son épouse Christiane, constitué durant quarante années une collection impressionnante d'oeuvres d'art contemporain, dont la plus ancienne date du début des années soixante. Une collection avant tout basée sur le goût personnel et non la spéculation, qui compte notamment des oeuvres de Anselm Kiefer, Lucio Fontana, ou Sylvie Fleury ; au total plus de 3.500 oeuvres d'art conceptuel, concret ou de photographie (la firme emploie 3.800 personnes et compte 40 succursales dans le monde entier). Suite à la création d'une fondation en 2005, un musée a vu le jour en 2010 dans le bâtiment, situé à Sindelfingen, ville banlieue de Stuttgart, sorte d'immense cube blanc conçu à partir de l'ancienne structure industrielle préservée, ce qui lui fournit des espaces immenses, propices à accueillir des oeuvres monumentales. Pourtant, la politique actuelle est de se limiter à des expositions temporaires, la plupart du temps consacrées à des rétrospectives d'artistes, composées d'oeuvres de la collection et de prêts. Après Antony Gormley l'hiver dernier, c'est au tour du peintre allemand Ben Willikens, originaire de Leipzig, d'avoir l'honneur des cimaises. Âgé aujourd'hui de 83 ans, ce dernier, traumatisé par la guerre et un séjour en asile psychiatrique, dépeint d'abord un univers gris, "est-allemand", médical, imaginaire, mais basé sur son expérience d'internement d'un an. Des espaces intérieurs rêvés, mais réalistes, peints d'abord à la bombe pour leur conférer un côté anonyme, mais d'une technique sidérante de précision qui fait passer ses grandes toiles pour des photographies noir et blanc anciennes et à gros grains. Même si, progressivement, sa peinture s'ouvrira quelque peu au monde, c'est toujours depuis un intérieur qu'il le regarde. Ses grands tableaux, vides de personnages, se colorient peu à peu, sans jamais se peupler (qu'il s'agisse de l' "intérieur" de Piet Mondrian ou Mies van der Rohe), et en les dotant ainsi de couleurs, son oeuvre prend soudain les allures d'un Hockney allemand, en plus aplati. Les références à la Renaissance - La Dernière Cène de Vinci est revisitée façon institution psychiatrique, au nazisme - la vue depuis le salon, de Berchtesgaden, le laboratoire imaginé de Mengele, les bâtiments munichois de l'époque présentés de manière dépouillée, semblables à des vues imaginaires de Germania -, à de Chirico, permettent à ce peintre techniquement virtuose, d'extérioriser ses traumatismes anciens, de les canaliser, les "catharsiser" au travers d'une oeuvre certes intéressante, mais qui, mêlant pop, nouveau réalisme et touche de surréalisme, est par trop cérébrale pour vraiment émouvoir... et en effet plutôt... réfrigérante.