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L'Organisation mondiale de la santé (OMS) a paru presque désinvolte dans ses premiers commentaires au sujet de l'épidémie de coronavirus qui sévissait déjà sérieusement dans l'Empire du Milieu au mois de janvier. Elle a toutefois rapidement changé son fusil d'épaule face aux chiffres communiqués par Pékin. On compte depuis le week-end dernier près de 1.800 morts et plus de 70.000 personnes atteintes. Parallèlement à ce bilan humain, l'inquiétude a aussi gagné les milieux économiques. Il est clair que les entreprises occidentales vendront moins dans une Chine paralysée, tandis que celles qui y sont implantées subiront de sérieux manques à gagner en raison de la fermeture de leurs usines. Il pourrait toutefois y avoir pire en cas de blocage prolongé : véritable " usine du monde ", suivant l'expression consacrée, la Chine approvisionne le reste de la planète dans une foule de domaines. Il n'est quasiment pas un objet étiqueté technologique qui ne fasse assez largement appel à des composants chinois. Dès lors, une Chine durablement à l'arrêt pourrait entraîner le blocage de nombreuses chaînes de production en Europe et aux États-Unis !Baptisé Covid-19, le coronavirus 2020 est-il pire que celui de 2003 ? C'est une question que l'on s'est rapidement posée, compte tenu de leur étroite parenté. Au printemps 2003, une épidémie qualifiée de syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) touche plus de 8.000 personnes et en tue près de 800, surtout en Chine et à Hong Kong (où elle est apparue en novembre 2002 et fait plus de 200 morts). Le reste du monde s'en inquiète d'autant plus qu'un foyer se déclare également à Toronto, au Canada, où l'on dénombre 44 morts. Au-delà de ce bilan humain, le coût pour l'économie mondiale a été estimé à 40 ou 60 milliards de dollars, ce qui n'est pas énorme à l'échelle planétaire.Présenté comme plus contagieux mais moins mortel que son prédécesseur, le Covid-19 l'a donc déjà largement dépassé en nombre de victimes. Et très probablement en dégâts économiques. Ce n'est pas pour rien que les autorités chinoises ont annoncé un programme d'aide de 39 milliards de dollars en faveur des entreprises ayant dû fermer leurs portes, tandis qu'on évoque un soutien aux marchés financiers de l'ordre de 156 milliards. L'aide est-elle également destiné aux groupes étrangers ? Comme signalé plus haut, on ne peut en effet pas considérer comme un phénomène exotique et neutre pour nous le fait que la ville de Wuhan, où le nouveau coronavirus est apparu en décembre, et la province environnante de Hubei soient coupées du monde depuis presque un mois.Wuhan est en effet un important centre de production automobile, fief du groupe chinois Dongfeng. General Motors y est présent, comme Honda, ainsi que les deux constructeurs français : associés à Dong Feng, tant Renault que PSA y possèdent des unités de production et y emploient quelque 2.000 personnes chacun. Même chose pour l'équipementier Valeo, qui les a suivis. Le fabricant de matériaux de construction Saint-Gobain possède, de son côté, deux usines dans la ville.Qu'en est-il du côté des entreprises belges ? Le groupe brassicole AB Inbev possède à Wuhan une de ses 33 brasseries chinoises. Il ne faut cependant pas être actif dans cette ville pour subir les conséquences de l'épidémie. Bekaert et Umicore comptent parmi les ténors belges fort implantés en Chine. Le premier a dû prolonger la fermeture de Nouvel An de ses 16 usines ! Impact aussi pour Volvo Cars, à Gand, filiale du groupe chinois Geely : les trains livrant le modèle XC60 produit en Chine sont annulés depuis le début du mois, ce qui pourrait finir par causer une pénurie de ce modèle. Quant aux pièces chinoises utilisées dans les voitures fabriquées à Gand, l'usine en a un stock important, mais " il ne faudrait pas que la crise des mois ", à déclaré l'entreprise. À l'aéroport de Liège aussi, on suit de près la situation en Chine, compte tenu de l'importance prise par le trafic cargo avec ce pays.Si le prix du pétrole a chuté de 20 % entre le début janvier et le début février, c'est que la Chine en est le premier importateur de la planète. Elle en est en effet quasiment dénuée, alors qu'elle représente aujourd'hui 16,3 % de l'économie mondiale, contre 4,4 % à peine en 2003. Le reste du monde en dépend donc beaucoup plus qu'à l'époque du SRAS. " Un arrêt prolongé de l'activité en Chine pourrait perturber certaines chaînes d'approvisionnement dans la chimie, les équipements de transport et l'électronique ", juge l'assureur-crédit Euler Hermes. Car si les entreprises occidentales s'approvisionnent également dans d'autres pays pour leurs composants, notamment au Japon et en Corée du Sud, il est des domaines spécifiques où la Chine est " non seulement exportatrice nette mais souvent exportatrice unique ", complète un économiste français.L'annulation du Mobile World Congress de Barcelone a frappé les esprits la semaine dernière. D'autant qu'en intervenant quelques jours à peine avant l'événement, elle signifiait une ardoise fort salée compte tenu de tout ce qui avait déjà été réalisé. La disparition momentanée des touristes chinois des destinations internationales aura toutefois un impact d'une autre dimension : on a déjà évoqué un manque à gagner de 1,3 milliard pour le Japon et de 1,2 milliard pour la Thaïlande.On comprend donc que pays et entreprises prennent cette épidémie fort au sérieux. Mais guère les marchés financiers. Certes, la Bourse de Shanghai a chuté de 10,7 % en deux jours. Les places occidentales n'ont par contre cédé que quelques fractions. New York n'a ainsi cédé que 3,5 %, pour très vite repartir de l'avant. En 2003, le SRAS avait amputé l'indice de 14 % en deux mois ! Excès d'optimisme ? On s'est peut-être souvenu que cette chute avait été suivie d'un formidable rebond, l'indice new-yorkais gagnant finalement 20 % en 2003.La fermeture temporaire de leurs boutiques par des groupes comme Adidas, Apple, McDonalds, Nike ou encore Starbucks ne devrait pas laminer leur bénéfice, c'est vrai. On sait cependant qu'en Bourse, un repli léger mais supérieur aux attentes suffit souvent à provoquer un fort recul de cours pour l'action de l'entreprise concernée. De toute manière, les économistes considèrent que l'épidémie a d'ores et déjà affaibli la croissance économique 2020. La banque d'affaires américaine Goldman Sachs a abaissé sa prévision de 5,9 à 5,5 % pour la Chine, tandis que l'agence de notation Standard & Poors ramenait plus sévèrement la sienne de 5,7 à 5 %. Elle attend toutefois un joli rattrapage l'an prochain, avec une prévision portée de 5,6 à 6,4 %. S&P estime par ailleurs que la croissance va perdre 0,1 à 0,2 % au premier trimestre de cette année dans la zone euro, un effet donc très limité. Car si l'économie européenne dépend de la Chine trois fois plus qu'en 2003, estime l'agence, elle est aujourd'hui plus résiliente, grâce à une demande intérieure assez vigoureuse.Faut-il finalement s'inquiéter davantage, ou pas ? L'économiste en chef de Morgan Stanley, autre grande banque d'affaires américaine, minimise le risque et attend une hausse de la Bourse américaine de 5 % à l'issue du premier trimestre. D'autres considèrent toutefois que les marchés ont délibérément choisi l'hypothèse la plus optimiste, celle d'un rétablissement assez rapide de la normale. Et qu'ils comptent, comme d'habitude, sur les banques centrales pour soutenir les marchés en cas de pépin. En d'autres termes, les investisseurs ne se sont ménagé aucune marge de sécurité si l'épidémie devait se révéler plus dommageable qu'attendu pour les économies occidentales et les entreprises. A tort ou à raison...