Après deux années de pandémie Covid-19, que sait-on des liens entre Sars-CoV-2 et dysfonction olfactive? Le Pr Jérôme Lechien fait le point sur les principales avancées, dont l'injection de PRP qui semble prometteuse pour traiter les patients souffrant de troubles olfactifs chroniques.
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Au fil des mois, la dysfonction olfactive s'est avérée être un symptôme typique du Covid-19. L'arrivée successive des variants a un peu changé la donne: " Omicron se différencie des variants alpha et delta par le fait qu'il induit beaucoup moins de pertes d'odorat: elles ne concernent qu'environ 30% des patients vs 50 à 85% avec les autres variants, selon les études et les individus (on n'exprime pas tous de la même façon le récepteur ACE2 au niveau de la fente olfactive, les Asiatiques l'expriment beaucoup moins que nous, par exemple). Omicron est surtout associé à des symptômes de rhinite (nez bouché et qui coule). Cela n'a pas été étudié mais j'ai l'impression que le variant delta donne plus de parosmies (sentir une mauvais odeur là où il n'y en pas) que les tout premiers coronavirus", précise le Pr Jérôme Lechien (Epicura & Université de Mons). (1) L'ORL attire l'attention sur la confusion qui existe dans le monde médical et dans la population entre le goût et les arômes: " Le goût c'est tout ce qui est sucré, salé, acide et amer. Donc quand on a perdu l'odorat, on a l'impression que ce qu'on appelle le goût est modifié alors que c'est la perception des arômes qui est perturbée. Dans le Covid, la perte de goût ne dure jamais longtemps: en deux ans, je n'ai eu aucun patient qui a eu une perte de goût pendant plus de deux semaines." La majorité des patients récupèrent l'odorat pendant le premier mois. Pour stimuler cette rééducation, on conseille de sentir et de regarder le produit en question (humer l'odeur du café et regarder sa tasse). " En pratique, on s'est rendu compte que les gens qui font leur réentraînement les yeux fermés ont des problèmes: ils ont la capacité de percevoir une odeur mais ne savent plus l'associer à sa signification. Il est donc très important de garder les yeux ouverts." Et, pour s'entraîner, les odeurs du quotidien suffisent. " Je considère que les huiles essentielles c'est du marketing parce qu'en fait, on récupère les odeurs avec lesquelles on s'entraîne. Or, cela n'a pas d'intérêt de s'entraîner avec des huiles essentielles de lavande, jasmin etc, sauf si ce sont des odeurs que les patients sentent tous les jours. Il vaut mieux se réentraîner avec les odeurs qui vous manquent: celle du café du matin, des épices avec lesquelles on cuisine... C'est un message à faire passer", insiste-t-il. Les résultats préliminaires de l'équipe du Pr Lechien montrent que les personnes qui se réentraînent ont une récupération un peu plus rapide que les autres. Dans 1 à 10% des cas, les patients développent une dysfonction olfactive chronique (qui dure plus de six mois). Pour leur venir en aide, des équipes commencent à les traiter par injection de plasma riche en plaquettes (PRP). " Les résultats sont très prometteurs. C'est impressionnant!", se réjouit-il . "En médecine sportive, quand des athlètes ont une tendinite chronique ou des problèmes de genou chroniques, on peut leur injecter leurs propres plaquettes (riches en facteurs de croissance et de régénération) au niveau d'une région qui souffre et où on attend une régénération. Une étude faite à Stanford aux États-Unis, il y a trois ans, avant le Covid, a montré que cela pouvait aussi être intéressant dans les pertes d'odorat liées à des virus comme la grippe." " Au CHU Saint-Pierre à Bruxelles", poursuit le Pr Lechien , "Younès Steffens, un de mes assistants, a lancé une étude pour examiner l'utilité et la sécurité de l'injection de PRP chez 36 patients souffrant d'une dysfonction olfactive post Covid-19 depuis au moins un an. On a évalué objectivement la sévérité de la perte d'odorat avant traitement et constitué deux groupes: un groupe contrôle et un groupe PRP où les sujets ont reçu une injection de plaquettes dans chaque fente olfactive. Cette étude a montré qu'au bout d'un mois, le groupe PRP récupérait beaucoup plus vite." Aucun effet indésirable n'a été signalé. Cette étude est disponible en préprint sur Medrxiv.(2) " Elle est très intéressante parce qu'elle confirme l'étude de Palo Alto qui montre que cela peut être une piste. Nous avons commencé à faire ce traitement à Epicura à Baudour: j'ai injecté du PRP à une trentaine de patients souffrant de perte d'odorat (parosmie ou anosmie) depuis plus de six mois. Je tiens aussi compte de la sévérité du trouble: un patient qui a des parosmies fortes modifiant l'arôme des aliments, qui a perdu 10 kg et qui est sous antidépresseurs, je lui propose l'injection de PRP parce que là il y a vraiment un impact négatif sur la qualité de vie. Ce n'est pas le remède miracle, mais nos résultats préliminaires sont très encourageants. Je pense que c'est vraiment une avancée majeure", estime le spécialiste. " En fait, les problèmes d'odorat étaient très rares avant la pandémie. On connaissait les problèmes liés aux polypes, mécaniques, mais les vrais problèmes d'odorat, neurologiques, où un virus attaque l'épithélium olfactif et le détruit, c'était rarissime avant le Covid: je voyais une ou deux pertes d'odorat postviroses par an. Il y a donc très peu de spécialistes et peu de recherche sur ce sujet. Aujourd'hui, on découvre encore des notions basiques comme par exemple le mécanisme de la parosmie. On découvre en quelque sorte une nouvelle maladie", conclut-il. En 2020, les Prs Jérôme Lechien et Sven Saussez (UMons) ont coordonné la première étude européenne consacrée aux patients présentant une perte d'odorat et de goût liée au Covid-19. " Nous avons publié sur ce lien mais, à l'époque, tous les ORL observaient ces troubles de l'olfaction dans leur pratique. C'est une signature de la nature", souligne-t-il . "Ce n'est pas très scientifique de dire cela mais, à la limite, la perte d'odorat complète est tout aussi efficace pour faire le diagnostic du Covid-19 que de faire une PCR: quand on n'a pas la technologie, c'est très pratique."