Les anciens grands magasins Vanderborght sont le réceptacle d'une exposition aussi féministe que féminine, consacrée à la figure des sorcières, laquelle chasse ce diable de patriarcat à coups de balai...
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Mêlant à la fois passé et présent, l'exposition a la bonne idée de débuter et finir par l'époque contemporaine ou presque: montrant que les mouvements féministes plutôt récents, notamment ceux de 68, avaient repris à leur compte le symbole de la sorcière, indomptable sauvage et libre notamment dans le cas des W.I.T.C.H. (Woman International Conspiracy from Hell) qui "investirent" Wall Street à cette date. L'expo rappelle d'ailleurs au passage que les suffragettes passèrent pour des sorcières au début du siècle dernier, le fait également que l'une des premières radios libres romaines en 1975 s'intitulait la Strega (sorcière) et que la même année Anne Sylvestre signait la chanson... Une sorcière comme les autres. Des vidéos montrent Angela Davis ou Louise Bourgeois évoquant la sorcellerie... et surtout la libération des femmes, tandis que la revue Sorcières, toujours dans les années 70, voit défiler de grandes plumes féministes tels que Hélène Cixous, Marguerite Duras, ou Nancy Huston. L'appropriation du corps, par l'homme d'abord et surtout, est illustrée par des corsets, alors que des belles peintures rouge sur blanc simple, menstruelles presque, de Françoise Petrovitch montrent des femmes reprenant symboliquement possession du leur, tandis que "Les amies" de la maîtresse pop belge Evelyn Axell s'embrassent sans complexe ou que la marquise Arconati Visconti (dernière propriétaire du château de Gasbeek), défie à son tour les conventions en s'habillant en homme au début du siècle dernier. L'expo prend un tour plus historique, évoquant Christine de Pizan signant L'épistre aux dieux en 1399, la copiste et écrivain de renom prenant pour la première fois la cause des femmes. Des femmes qui lorsqu'elle sont libres, à savoir seules, libres sexuellement, et possédant un savoir non officiel sont pourchassées dès ce moment et jusqu'à la fin du 18e par l'Église et l'Inquisition, Église traversée par les hérésies et menacée par la réforme. Le concept du sabbat naît dans les Alpes est dit démoniaque et aussi appelé la synagogue du diable, terme qui démontre si besoin l'était encore le caractère antijudaïque et complotiste de la chasse au sorcières. Si dans cette section l'exposition est l'occasion d'admirer de superbes peintures et eaux fortes de David Teniers le jeune, de Pieter Bruegel l'ancien ou d'une magnifique gravure de Dürer (une sorcière chevauchant une chèvre à l'envers), le visiteur reste pantois devant le chiffre de 111.000 procès en sorcellerie organisés durant trois siècles, résultants dans la mort dans 48% des cas (80% des condamnés sont des femmes): la dernière "sorcière" parmi les 60.000 à être brûlée se nommait Anna Göldin, elle était suisse habitait Glaris et mourut le 13 juin 1734... dans les Alpes. Des registres témoignent de plusieurs procès en sorcellerie chez nous notamment de Josijne Van Beethoven, originaire de Campenhout, qui fut brûlée sur la Grand'place de Bruxelles en 1595 (ce qui rend la visite au sapin de Noël moins sympathique: le bûcher avant la bûche de Noël? ). Les médecins n'ont pas toujours été vaccinés contre la "démonologite ensorceleuse": Paracelse écrit que rien n'irrite plus un homme qu'une femme qui danse. Une activité de sorcière.... L'expo revient ensuite au présent avec une oeuvre d'Élodie Antoine (une magnifique Médusa faite de chanvre, aérienne et magnifique) et notamment une grande photographie de Marina Abramovic qui montre trois femmes le sexe à l'air dansant sous la pluie. Le thème de l'hystérie et la folie (étroitement lié à la sorcellerie: dans le village brabançon de mon enfance, une vieille femme qui n'avait plus toute sa tête était traitée de sorcière) est trop rapidement abordée au travers de quelques peintures et dessins d'Ensor (pas de mention de la belle Liégeoise de Théroigne de Méricourt, pasionaria de la Révolution française au même titre qu'Olympe de Gouges qui réclamait l'égalité des sexes, et enfermée à la Salpêtrière), comme celui de la vieillesse associée aux sorcières (belle peinture réaliste d'une chiffonnière par Léon Frédéric), avant d'avoir une vision plus positive chez Rops et ses beaux dessins qui lui évoquent ses muses sataniques, tandis que Armand Rassenfosse dans Les litanies de Satan dessine un portait magnifique car expressif de femme sur le front de laquelle deux cornes affleurent. Roahl Dahl en fait un personnage sympathique dans ces histoires pour enfants, tout comme la série Ma sorcière bien-aimée, les livres de contes illustrés merveilleusement par Gustave Doré, les bédés de Comès et Servais (deux Ardennais ou la culture populaire de la sorcellerie est encore vivante) les pop-ups ou les marionnettes notamment liégeoises qui mettent en scène des figures "ensorceleuses". Le statut de la sorcière change, se fait plus positif notamment grâce au livre que Michelet leur consacre en 1862 et qui la présente comme une figure du peuple. Au cinéma, bien avant Kirikou et la sorcière, en 1901, l'un des premiers films de Méliès s'intitule Chez la sorcière alors que Disney signe Blanche-Neige en 1937 ; plus tard, Raymond Rouleau réalise Les sorcières de Salem d'après Arthur Miller tandis que la sorcière devient une figure de proue des films fantastiques ( notamment The Blair Witch Project ). Les sorcières de carnaval sont l'occasion d'admirer quelques macrales, les affiches concernant les sorcières d'Ellezelles sans qu'hélas la racine historique de cette fête qui se déroule autour de la Saint-Jean ne soit davantage creusée (en 1610, Quintine de la Glisserie est condamnée au bûcher pour sorcellerie avec quatre autres femmes). Les remèdes de sorcières sont également évoqués, notamment au travers des étonnants témoignages photographiques d'un certain Charles Géniaux, réalisés en Bretagne à la fin du 19e siècle. Sont évoquées également les figures de rebouteux féminins, de chouette clouée aux portes dans les Ardennes pour éloigner les maléfices, et la résurgence ces jours-ci de la lithothérapie, le soin par les pierres! Cette exposition imposante, impressionnante dans ces allers-retours passé présent, plutôt fluide (sans être maléfique), qui croise arts et documents (400 objets présentés), mais très prolixe dans ces textes (un vrai traité de démonologie) concoctés par les deux commissaires Nathalie Lévy et Valérie Piette, se termine comme elle a débuté, par une fenêtre sur la figure de la sorcière aujourd'hui: celle des pancartes exhibées lors de la marche des femmes contre Trump en janvier 2017 et qui proclamaient "nous sommes les petites filles des sorcières que vous n'avez pu brûler..." Hocus, Pocus... caucus?