C'est fait! Le Grand hôpital de Charleroi a rassemblé les activités de ses cinq sites (Saint-Joseph, Sainte-Thérèse, Reine Fabiola, Notre-Dame et l'IMTR) sur son complexe flambant neuf des Viviers. Seule Notre-Dame garde une partie de l'activité. Le Pr Frédéric Thys, coordinateur du déménagement, et le Dr Manfredi Ventura, directeur médical du GHDC, reviennent sur ce processus hors-normes.
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Le journal du Médecin: Fusionner cinq sites dans un hôpital unique... ça s'étale sur combien de temps, un déménagement de cette ampleur? Frédéric Thys: Le processus du déménagement des patients, il a duré en gros une semaine. Mais ce n'est que la dernière étape d'un processus global qui avait démarré au mois de mai 2024 avec le déménagement d'infrastructures (7500 m3 de matériel), d'une partie de services techniques, et de la direction. Progressivement, on a amené des consultations sur le site des Viviers avec l'ouverture de la dentisterie au mois de juin. Puis on a déménagé le plateau administratif, on a ouvert le laboratoire, d'autres consultations et, finalement, ce déménagement des 340 patients. On a fait une énorme préparation en amont. On a nommé une série d'ambassadeurs, médecins et infirmiers, pour chaque service. Au total, on était à plus de 250 ambassadeurs qui participaient à des réunions pour leur expliquer toute la logique du déménagement, ce qu'on attendait d'eux... Ensuite, on a rencontré chacun des services pour voir les besoins spécifiques des patients. Ça nous a permis d'avoir les idées plus claires sur quel type d'ambulance on devait prévoir pour quel type de transport, quel type d'accompagnement... Certains patients nécessitaient plus d'attention: grands prématurés, grands brûlés, patients aux soins intensifs... Manfredi Ventura: Pour eux, tout un travail avait été fait en amont pour essayer d'en limiter le nombre. Le problème, c'est qu'il s'agit de patients dont on ne peut pas vraiment limiter le nombre, parce que ce sont des impondérables. Par un heureux concours de circonstances, il n'y avait pas beaucoup de grands brûlés. Seule une patiente a déménagé avec nous. Le service qui nous inquiétait un peu, c'était surtout la néonatologie. Ce sont des patients extrêmement fragiles. La semaine qui précédait le déménagement, on a eu une naissance à 700 grammes. Le jour du déménagement, il pesait 840 grammes. Mais ces équipes ont l'habitude d'aller chercher des petits patients ailleurs et de se balader avec une couveuse. Ils avaient doublé leurs effectifs: un médecin accompagnait chaque bébé, en plus d'un médecin au départ et d'un médecin à l'arrivée. À la limite, le petit patient dans la couveuse ne se rend pas compte du transfert. Ce qui m'inquiétait, c'était de gérer les parents, puisque les mamans accompagnaient leurs enfants. Mais à nouveau, ils avaient été bien préparés, ils n'étaient pas stressés. Vous aviez également des patients psychiatriques... M.V.: Oui, ils ont été emmenés en minibus, en groupe. On leur avait dit de prendre le minimum d'effets, mais ils avaient chacun au moins deux énormes valises! Les voir défiler était un peu particulier, mais tout s'est fait dans une ambiance d'entraide. Je me rappelle les avoir vus rassemblés dans un salon. C'était très différent, parce qu'ils n'étaient plus des patients au lit, c'étaient des patients à pied avec des valises, qui allaient en rang, deux par deux, comme un groupe de touristes en somme. La force du groupe a pu rassurer les anxieux. Comment fonctionne la gestion d'un service d'urgences en déménagement? Les patients ne vont pas s'arrêter de se blesser ou de tomber malades pendant la durée du déménagement... F.T.: On a anticipé cela avec l'aide de l'inspection de l'hygiène et des autorités fédérales. On a progressivement fermé urgences de l'IMTR (Institut médical de traumatologie et de réadaptation). D'abord en ne les laissant ouvertes que pendant la journée, puis en les fermant complètement. À ce moment-là, les deux services d'urgences qui restaient fonctionnels étaient ceux de Saint-Joseph et de Notre-Dame. Le jour du déménagement, il a fallu fermer les urgences de Saint-Joseph au public à 22h00. À ce moment-là, il restait le service d'urgences de Notre-Dame, qui était staffé correctement pour pouvoir accueillir toutes les urgences. Dès que la fermeture de Saint-Joseph a été faite, le samedi soir, on a profité du dimanche pour emménager et préparer l'ouverture des urgences des Viviers le lundi matin. On avait donc dupliqué complètement les deux services pendant la semaine de transition. Puis, le vendredi 22 novembre, on a fermé les urgences de Notre-Dame au public à 22h00 pour ne laisser que notre nouveau site des Viviers. Tout cela nécessite une information par affiche sur les réseaux sociaux, à la patientèle, des rencontres avec nos collègues du bassin de soins, donc les médecins et les directions médicales de l'ISPPC, de Marie Curie, de Vésale et de Gosselies, pour les prévenir qu'on allait être dans une période de transition. La centrale 112 a été aussi prévenue. Comment le déménagement vers le nouveau site a-t-il été vécu par les équipes? F.T.: Un de nos médecins a reproduit l'hôpital dans une maquette complète. Avec des Playmobil, on a fait des simulations de fonctionnement. Avant l'ouverture du service des urgences, on a fait, par équipe, des simulations d'arrivées de patients avec des mannequins, pour voir si notre service fonctionnerait bien comme on l'avait imaginé, ou si on devait améliorer les choses. Les prises en charge étaient filmées et débriefées pour améliorer la prise en charge. Je dois souligner qu'il y a eu énormément de solidarité et d'investissement des équipes. Imaginons qu'un autre groupe hospitalier doivent, d'ici un an, procéder à un déménagement similaire. Quels conseils lui donneriez-vous? M.V.: Et bien je leur dirais de prendre le Pr Thys comme consultant (rires). Non, sérieusement, mon premier conseil est de s'entourer de gens compétents pour planifier ça bien à l'avance. Avec l'expertise d'urgentiste et de spécialiste de la catastrophe du Pr Thys, on a essayé de planifier l'impensable. On avait même prévu qu'une catastrophe se produise. On avait des scénarios où un avion se crashait à l'aéroport de Charleroi, et où il se produisait un attentat terroriste. Tout prévoir pour garder une capacité d'intervention "au cas où". Mon autre conseil, ce serait de faire confiance aux professionnels. La Croix-Rouge nous a beaucoup aidés. On a eu un énorme problème de trafic autour de l'hôpital le premier jour où tout a été ouvert. On a dû organiser une navette en catastrophe pour transporter aussi bien notre personnel que les patients. La Croix-Rouge nous a aidés en mettant en place cette navette au pied levé. Ils savent mettre en place un poste de commandement. On a aussi eu une très bonne collaboration avec les forces de l'ordre et avec la Ville. Honnêtement, je n'aurais pas prévu les trajets comme eux, mais on a laissé faire. Ils ont eu raison parce que, finalement, ils ont emprunté les trajets qui n'étaient pas bouchés.