Les taux des droits de succession sont calculés selon le lien de parenté qui unit les personnes entre lesquelles un legs intervient, ce qui conduit inévitablement à des écueils lorsqu'il s'agit de léguer tout ou partie d'un patrimoine à des personnes autres que des descendants qui sont soumises à un taux d'impôt parfois qualifié de confiscatoire. Les praticiens de la fiscalité se sont néanmoins montrés créatifs pour réduire cette charge fiscale et ont mis au point un mécanisme de "legs en duo" auquel la Flandre vient d'apporter quelques modifications.
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Le legs en duo est une technique de planification successorale qui consiste à faire intervenir un tiers, comme une association de bienfaisance, à qui le testateur décide de léguer une partie importante de son patrimoine, à charge pour celle-ci de payer la totalité des droits de la succession. Les taux des droits de succession applicables aux personnes qui ne font pas partie de la famille du testateur peuvent atteindre 80%, comme le tableau comparatif reproduit ci-après le détail. Les associations et autres fondations d'intérêt public bénéficient quant à elles d'un taux préférentiel, lorsqu'elles sont gratifiées par voie successorale: 7% à Bruxelles et en Wallonie et 8,5% en Flandre. Imaginons que Robert qui habite en Flandre veuille céder son patrimoine de 1.000.000 euros à ses deux voisins, chacun devant recevoir 500.000 euros. L'impôt successoral dû à son décès sur cette transmission s'élèvera à 535.500 euros (l'impôt n'est pas calculé par tête, pour chacun des héritiers séparément, contrairement aux autres catégories d'héritiers). Dans ce schéma, chacun des deux voisins de Robert reçoit une part nette de 232.500 euros. L'impôt relatif à cette transmission peut être réduit par l'application de la technique du "legs en duo" par laquelle Robert va désigner, d'une part, la Fondation d'intérêt public contre le cancer comme son héritier à concurrence de 40% de son patrimoine et, d'autre part, ses deux voisins à concurrence de 60%, à charge pour la Fondation de payer l'ensemble des droits de succession. La Fondation contre le cancer qui reçoit 400.000 euros devra donc payer 34.000 euros (8,5% de 400.000 euros) et 315.500 EUR (55% de 600.000 euros) pour un total de 349.500 euros de droits de succession. Ce schéma permet donc à la Fondation contre le cancer de recevoir une somme nette de 50.500 euros et aux deux voisins de recevoir chacun 300.000 euros. L'opération permet donc de bénéficier d'un taux réduit des droits de succession, mais aussi de gratifier une oeuvre caritative. Il est évident que la même opération en Région wallonne ou à Bruxelles offre des perspectives identiques, voire supérieures, puisque les droits y sont plus élevés qu'en Flandre. Cette technique implique souvent que l'association soit désignée légataire universelle par le défunt, mais pose aussi parfois problème, notamment lorsque l'association vend des immeubles alors les autres héritiers souhaitent les conserver. Une technique de "legs en duo inversé" a donc été inventée pour que ce soient les héritiers finaux qui sont désignés légataires universels et décident du sort du patrimoine du défunt, à charge pour eux de reverser la part qui revient à l'association qui reste quant à elle, tenue au paiement de l'intégralité des droits de succession. Le gouvernement flamand a considéré que cette technique de planification est utilisée pour réduire au maximum les droits de succession et non dans une optique caritative. Elle a donc décidé de supprimer l'avantage fiscal que cette opération procure. Cette technique pourra donc toujours être utilisée, mais ne procurera plus aucun avantage fiscal à partir du premier juillet 2021. En contrepartie de cette modification législative, le taux des legs à des oeuvres caritatives sera réduit à 0%. Ce taux ne bénéficie qu'aux associations purement caritatives et non aux fondations privées qui quant à elles, peuvent toujours bénéficier du taux de 8,5%. Comme seconde compensation de la suppression de l'avantage fiscal, le législateur flamand a introduit un régime best friend, applicable également à partir du premier juillet 2021, qui permet de léguer une partie de la succession à une ou plusieurs personnes au taux le plus avantageux, soit le taux applicable en ligne directe. Le recours à ce régime nécessite plusieurs conditions, le leg doit viser un membre de la famille ou un ami et doit être identifié comme tel par le défunt dans un testament. Le défunt reste libre du choix de la forme du testament: olographe ou notarié. Ce régime permet d'appliquer le taux préférentiel applicable en ligne directe, jusqu'à hauteur de 15.000 euros, les légataires étant soumis à l'impôt qui leur est propre au-delà de cette limite. Ce régime permet donc d'appliquer un taux de 3% au leg en lieu et place d'un taux de 25% et donc de procurer concrètement 3.300 euros d'économie. En revanche, si plusieurs personnes sont désignées comme légataires, le législateur flamand prévoit que la tranche de 15.000 euros sera appliquée globalement, de sorte que l'avantage est divisé entre les différents légataires. Ce correctif nous semble malheureusement dérisoire par rapport au régime qui existait auparavant. Le legs en duo, qu'il soit pur et simple ou inversé, procure un double avantage, fiscal pour le légataire et financier pour l'institution caritative gratifiée. La fiscalité belge connaît d'autres systèmes analogues, comme le tax shelter qui permet de bénéficier d'un avantage fiscal, tout en soutenant l'industrie audiovisuelle et les arts de la scène. S'il est clair que le legs en duo est une création destinée à créer un avantage fiscal, elle n'en demeure pas moins une belle opportunité pour les associations qui vivent des dons. Il nous semble en effet peu probable que l'abaissement du taux déjà très favorable des legs à ces associations encourage les Flamands à leur léguer leurs patrimoines puisque l'abattement ne bénéficiera plus aux personnes qui sont réellement gratifiées. On regrettera donc la suppression du legs en duo en Flandre et son remplacement par une mesure purement cosmétique, sans oublier toutefois que les possibilités d'organiser la transmission du patrimoine à un taux très réduit sont multiples, même si elles nécessitent parfois une planification en amont.