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La rationalisation des dépenses est à l'oeuvre. Prescripteur de médicaments, de soins infirmiers, de kinésithérapie, d'examens spécialisés et d'hospitalisations le médecin de famille est de plus en plus responsabilisé. Ses profils de dépenses calculés par l'Inami le préviennent de ses excès. Le Service d'évaluation et de contrôle médicaux dépiste les gros poissons. L'informatisation va lui permettre d'affiner ses filets.Le médecin de famille qui reçoit seul un patient dans son cabinet privé fait par définition du mauvais travail. Fi donc du médecin de famille au centre du réseau de soins. Le " management " est la nouvelle religion. Le mot médical est gommé, on parle de santé. Autour du patient gravite une équipe au sein de laquelle le médecin de famille est devenu " un des principaux acteurs de la première ligne ". La décision est mutualisée, le plan de soins élaboré en équipe. Le colloque singulier cède la place à la réunion de coordination.Une étude récente montre que les réunions de concertation d'oncologie durent en moyenne 3,8 minutes par patient, que les infirmiers et psychologues y gardent le silence et que le médecin de famille n'y participe jamais. " Amélioration de la qualité " ?Tout ce beau monde doit malgré tout être honoré pour le travail qu'il fournit. L'honoraire à l'acte est désormais considéré comme inefficient, coûteux. On a écrit de lui qu'il " récompense le manque de qualité ". La forfaitarisation des honoraires dans une enveloppe commune à une équipe jouera ce rôle, assortie de trois demi-douzaines de " composantes " avec indicateurs, contrôle de la qualité interne, accréditation et autorégulation.Et pourtant, le médecin qui met en doute ce dogme est considéré comme un réactionnaire corporatiste vénal qui refuse l'amélioration de la qualité et l'efficience. Le " management " s'est imposé aux médecins hospitaliers depuis de nombreuses années. Ceux-ci ont été contraints de se plier à une structure de fonctionnement hiérarchisée basée sur l'efficience. Son coût de fonctionnement est devenu exorbitant : des salariés pour aider les médecins à survivre aux normes et injonctions du pouvoir, d'autres salariés pour assurer la gestion, d'autres pour organiser les flux financiers, d'autre encore pour coordonner l'ensemble sous le joug d'une ultime catégorie de salariés qui roulent en voiture de luxe en exerçant le pouvoir réel. Et dans un coin du décor, le conseil médical fait de la figuration.Ce modèle a miné le fonctionnement de l'hôpital dans lequel le médecin est écrabouillé. C'est cependant ce fonctionnement toxique qu'on envisage d'appliquer à la médecine générale et qui est testé dans des projets pilotes.A titre personnel la " révolution managériale " ne me tente pas et je crains que le nombre infinitésimal de patients inclus par les médecins de famille dans les projets pilotes " soins intégrés " (783, soit moins de 4% des 20.000 patients attendus) donne la mesure du désintérêt qu'ils leurs portent même si leur coût laisse songeur : 11 millions d'euros pour 783 patients, soit plus de 14.000 euros par patient.L'argument " il vaut mieux être dedans que dehors " ne me convainc pas. Sans l'en blâmer, je crains que par sa présence à l'intérieur d'un projet, celui qui y participe offre à ses promoteurs le crédit de la profession à laquelle il appartient bien plus qu'il ne protège cette dernière de ses conséquences négatives.