Auteur et scénariste de bandes dessinées à qui l'on doit des reportages scientifiques dans Spirou notamment, Jean-Yves Duhoo a quitté le domaine des sciences dures exploré en 2019 notamment avec "Dans le secret des labos" pour tenter d'aborder la matière "molle" du cerveau humain avec la complicité du neurologue Lionel Nakache qui signe la préface de sa nouvelle bédé, "Mister Cerveau". Rencontre avec un nouveau spécialiste du cerveau... qui ne manque pas d'esprit!
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Le journal du Médecin: Votre bédé s'intitule Mister Cerveau, mais fait également référence au "mystère" entourant le cerveau? Jean Yves Duhoo: Oui, car au début avec l'éditrice nous avions cherché comment aborder un tel sujet et quel titre lui donner. Mister Cerveau me permettait également de le transformer en personnage. Il y a une référence aux Histoires de l'oncle Paul de Jijé? Avec l'oncle Paul, oui. J'ai été un grand lecteur enfant de la bédé franco-belge: Spirou, Tintin, et je connais toutes ces références anciennes qui m'ont beaucoup marqué. On pense également au Rubrique-à-brac de Gotlib? En effet, avec sa coccinelle et ses petits éléments: un personnage qui dit un discours et un autre qui, dans la même case, donne une version ou un contrepoint que je ne prive pas d'utiliser. En creux c'est une histoire de Paris et de sa géographie? Je me suis servi de ce petit exergue de Julien Green qui m'a permis de donner un aspect géographique au cerveau: un fleuve, des rues des ponts, des places... des arbres. Et c'est la ville dans laquelle je vis et que je connais bien, ce qui me permettait de la pratiquer d'une manière vivante. Et puis cela fait contrepoint au fait que vous avez dû vous plonger dans beaucoup d'ouvrages et contacter nombre de spécialistes afin de bien connaître et comprendre le cerveau: la transposition parisienne vous permettait sans doute d'être beaucoup plus à l'aise dans le parallèle effectué.... Et plus simple à expliquer au lecteur également. C'est sûr que lorsque je parle des maladies du cerveau ou des dysfonctionnements et que je l'illustre par un petit chantier qui empêche les gens de passer dans la rue, je n'ai pas besoin d'imaginer un discours complémentaire. La bédé est-elle bonne pour le cerveau? Oui parce que cela fait appel à ces aires cérébrales, celle de la lecture, du dessin qui sont sensibles à la couleur, aux non-dits. Parfois, l'humour contribue à partir dans une direction un peu imprévue ; la bédé est un médium très riche qui permet de raconter beaucoup de choses de diverses manières. Vous écrivez: "la bédé est une écriture, les personnages sont des lettres." Cela n'engage que moi. Je le reprends à la fin lorsque je parle de l'écriture, des lettres, de la zone qui est activée depuis que l'écriture existe. Et en effet, la bande dessinée est une forme d'écriture. On n'est pas dans l'illustration, ni dans la peinture: on est dans une lisibilité, une lecture, on appelle cela une figuration narrative... ou narration figurative de manière pompeuse. Avec la bédé, on lit le dessin autant que le texte. J'aime mettre en scène ce côté un peu schématisé, stylisé, représentatif, très lisible qui m'a toujours été essentiel, plus que de faire de belles illustrations léchées. Mon dessin au trait est plutôt simple, mais la compréhension, la lecture, la lisibilité, sont à mes yeux primordiales. Le cerveau est à la fois informe et assez inconnu. Ce qui est tout de même compliqué à traiter en bédé? Raison pour laquelle j'utilise des subterfuges: dès le début, j'affirme que le cerveau ressemble à une sorte de corps recroquevillé sur lui-même et stressé. Je l'ai déplié et tenté d'en faire un bibendum un peu gélatineux mou et qui rebondit ce qui le rend sympathique, avant de le faire évoluer dans un univers médical, humoristique ou historique... Deuxième truc, le vaisseau spatial qui va nous permettre d'explorer ce que l'on dit toujours à propos du cerveau, à savoir qu'il y a autant de neurones dans le cerveau que de planètes dans la Voie lactée. C'est une constellation. Troisième astuce, la comparaison avec la ville de Paris. Ce sont des outils qui me permettent d'aller explorer, d'exemplifier et d'illustrer, sans être rébarbatif, des états scientifiques: où en est la recherche aujourd'hui, que savons-nous du cerveau aujourd'hui et dans le passé... Auparavant, vous évoluiez dans les sciences dures, aujourd'hui vous êtes plutôt dans la matière molle? J'ai beaucoup exploré les machines incroyables, les chambres froides où l'on fait des expériences avec les particules, par le côté technique, le Cern de Genève, s'exprimait le fan de Blake et Mortimer que je suis toujours, et l'histoire du savant fou dans sa crypte qui invente la machine à remonter le temps. Cela m'a toujours fasciné. Jusqu'au jour où le rédacteur en chef de Spirou m'a fait remarqué que dans L e secret des labos, je n'explorais pas beaucoup le corps humain. Voilà qui est fait... Le milieu scientifique et médical, ce n'est pas la même chose? C'est assez différent, ce que j'ignorais. Je m'étais imaginé au départ me servir de mon réseau scientifique constitué au fil du temps pour repartir à l'assaut de ce nouveau projet. Et en fait je me suis rendu compte que cela fonctionnait autrement. J'ai donc travaillé différemment: je me suis renseigné, les contacts que j'ai eus se sont fais virtuellement, à cause du corona, et j'ai eu de vrais échanges avec des scientifiques au nombre de trois ou quatre. J'ai fonctionné de la sorte: et tout à fait à la fin du projet, et je l'évoque dans l'album, j'ai rencontré Lionel Nakache à la fin novembre l'an dernier lorsque je parvenais à la fin de mon projet de livre, à la Salpêtrière où se trouve l'Institut du cerveau. Nous avons eu un entretien très constructif et je l'ai intégré à mon travail, raison pour laquelle il a accepté d'écrire une préface, ce qui est bénéfique pour ce projet. Une des questions cruciales a été de limiter le récit tout en étant le plus vaste et le plus complet possible. Les neurosciences sont elles des matières plastiques comme le cerveau? Oui, car la science est constamment en train de se remettre en question, d'évoluer. La physique d'aujourd'hui a totalement été revue au 20e siècle avec la physique quantique par exemple. Et la neuroscience de même puisque l'on découvre des choses sans arrêt (voir le dernier prix Nobel de médecine). D'ailleurs, l'une de mes préoccupations au départ était de ne pas tomber dans le piège qui consisterait à dire voilà la vérité établie du cerveau.... Je tenais non pas à marcher sur des oeufs, mais sur la matière mouvante et molle que nous évoquions au début.