Biowin organisait la semaine dernière une "master class" rehaussée par la présence du secrétaire d'État à la Digitalisation, chargé de la simplification administrative et du respect de la vie privée, Mathieu Michel (MR). Pour améliorer l'efficacité et diminuer les coûts des soins de santé, il est indispensable de mieux gérer les données de santé des patients. Préalable: la confiance, pas si facile à obtenir et l'amélioration de la qualité des données. Objectif: une "libération protégée" des données de santé.
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L'utilisation intelligente des "données patient" représente un enjeu majeur tant dans la recherche et l'innovation que dans l'amélioration des pratiques des soins de santé. Elle fait partie des priorités européennes et s'inscrit dans les initiatives en cours au niveau fédéral et à la Région wallonne. La mise en place de cette ambition requiert la mobilisation et la collaboration des acteurs des écosystèmes existants dont celui de Biowin, pôle de compétitivité santé de Wallonie dont le "Patient numérique". Cet environnement voué à l'innovation regroupe plus de 200 projets novateurs et plusieurs hôpitaux belges dont le CHU de Charleroi, le Chirec et l'hôpital Foch à Paris. Il est à l'origine du certificat de santé digitale au sein de l'Institut "EM2C", fort de 120 experts et plusieurs livres blancs. Biowin a deux chantiers en cours: la production de vaccins et de biomédicaments et les données patients dont l'utilisation raisonnée est au coeur de sa stratégie. "Nous avons la chance en Belgique et en Wallonie de vivre au coeur d'une région prospère et innovante", a résumé le secrétaire d'État Mathieu Michel. "Et pour atteindre l'objectif de 80% de taux d'emploi d'ici 2030, il faudra, selon Agoria, créer 500.000 emplois nets. Ce qui revient à trouver et former 500.000 talents. Le secteur médical offre à cet égard de multiples opportunités d'investissement. Il faut mobiliser pour ce faire les acteurs du numérique pour faire de la Belgique une "Biotech Nation". Les données de santé constituent à cet égard un enjeu économique majeur. Ce n'est pas pour rien que certains hôpitaux ont été récemment hackés. Deux types de données nous intéressent: les données personnelles anonymisées et les données générales. Il nous faut renforcer la qualité de ces données et arriver à une "libération protégée des données". Aux USA, les entreprises possèdent ces données ; en Chine, c'est l'État et dans l'Union européenne, c'est le citoyen."Dans l'UE, le RGPD, qui dans un premier temps a été une épine dans le pied des entreprises va sous peu générer la confiance nécessaire auprès des patients et donnera un avantage concurrentiel aux entreprises, croit savoir le ministre libéral. En Belgique, l'Autorité de protection des données (APD) et la loi Vie privée sont les instruments pour pallier un paysage des données de santé très fragmentées, contradictoires. "Il faut plus de transparence, une facilitation des accès et une régulation des algorithmes", souligne le ministre. D'où l'importance de Mydata mis en lumière lors de la pandémie Covid-19, dans lequel le patient peut retrouver toutes les données qui le concernent. Plusieurs préalables sont nécessaires pour nourrir un écosystème des données de santé: renforcement de l'APD (récemment au coeur d'une polémique autour de son fonctionnement), transparence et lisibilité des algorithmes, possibilité d'une seconde lecture pour le patient, cadre législatif si on décide de libérer les données personnelles et lancement d'une "Health Data Authority" en collaboration avec Frank Vandenbroucke , le ministre de la Santé publique. Le Pr Benoît Macq (UC Louvain) a rappelé le poids des coûts en santé (11% du PIB en Belgique contre moins d'un pourcent pour notre Défense) et la nécessité de les réduire via une médecine plus personnalisée qui évite des traitements standards pour tout le monde. Cette médecine permettra de démarrer des traitements plus tôt en détectant la maladie précocement et d'éviter les effets secondaires. Le Pr Macq cite les tests salivaires qui permettent de ne faire des mammographies que sur les femmes à risque pour éviter les radiations pour celles qui n'en présentent pas. "En Grande-Bretagne, la Biobank contient des millions de données génomiques des patients dont les données sont traitées par l'Intelligence artificielle. En 2022, l'Europe a lancé le European Health Data Space. En Belgique, l'objectif du Network Medicine Institutes qui regroupe cinq universités, 100 centres agréés, des hôpitaux tels le CHDC entend évoluer vers une "deep medicine", une médecine plus humaine car au plus près des caractéristiques des patients." La mise à disposition des données génomiques (DNA, RNA) phénotypiques, métaboliques, biochimiques, offrira une aide précieuse à la décision clinique. "Par exemple, en matière de protonthérapie, on peut viser une thérapie sur des organes spécifiques. En matière de cancer de la gorge, on fait le contour de la tumeur. On n'irradie pas les glandes salivaires pour guérir d'un cancer de la gorge."Quelle place pour l'IA (Intelligence artificielle)? "C'est une aide à la décision mais elle ne prend aucune décision. Si je compare au jeu de GO, comment l'IA a-t-elle battu un humain? Elle a exploré toutes les parties possibles même celles qui n'ont pas été jouées, ce qu'aucun joueur de GO humain ne peut faire en dépit des conseils de ses maîtres. La médecine c'est un peu la même chose: elle se transmet de maître en maître. Or l'IA va explorer beaucoup plus que ce que des maîtres peuvent transmettre. Dans ce cadre, le médecin (les médecins) deviennent des décideurs, l'IA n'étant qu'une aide (précieuse) à la décision."En résumé, l'IA permet d'explorer ce qu'aucun humain n'a jamais exploré, elle peut prédire les effets d'un traitement, c'est une boîte noire qui permet de circonscrire via le deep learning, ce qui est une tumeur et ce qui n'en est pas une. "À l'avenir, l'IA ne remplacera par l'humain (le médecin) mais un médecin avec l'IA aura désormais, comme l'a rappelé un article dans le BMJ récemment, une compétence supérieure à un médecin sans IA." Et de proposer que l'accréditation offre des points spécifiques pour les avis de médecins validés par l'IA. "Je trouve personnellement qu'à notre mort, nous devrions céder nos données de santé en open source (anonymisée) à la collectivité car pour une bonne médecine, il faut disposer d'un maximum de données de qualité."Mais le problème, c'est la confiance. Dans les pays baltes par exemple, il y a une "philanthropie des données" mais les citoyens, à la différence de chez nous, ont confiance dans les hommes politiques. Selon un sondage européen cité lors du colloque, l'indice de confiance dans les politiques est de 69% en Estonie et 37% en Belgique... Politicien lui-même, Mathieu Michel confirme qu'au Parlement, la question de la confiance est évoquée sans cesse... Fort heureusement, en Wallonie-Bruxelles, Réseau santé wallon et Abrumet existent et coûtent, selon certaines estimations, beaucoup moins cher que les solutions du privé.