Le Collège royal des gynécologues de langue française de Belgique, l'Union professionnelle des sages-femmes belges, l'Association francophone des sages-femmes catholiques, l'ONE et des associations de terrain dénoncent le projet "Born in Belgium professionals" (BiB), jugé "incompatible avec le suivi personnalisé" des parturientes.
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"B orn in Belgium professionals est une plateforme en ligne qui centralise les informations psychosociales de la femme enceinte et les met à disposition de ses prestataires de soins et d'aides du secteur (para)médical et social. Cet outil permet de dépister les vulnérabilités psychosociales pendant la grossesse, afin de pouvoir proposer une prise en charge personnalisée de manière proactive et efficace", peut-on lire sur le site internet de cette plateforme. Ce projet, financé par l'Inami, est né à Bruxelles et a été étendu depuis septembre 2021 à la Flandre et la Wallonie. "à nos yeux, ce programme va dénaturer et dévaluer le suivi de la grossesse pour les femmes enceintes à bas risques. L'objectif est clairement de réaliser de nouvelles économies en matière de soins de santé au détriment des femmes, ce qui est inacceptable. Aucune solution concrète n'est apportée aux vrais problèmes des futures mères et leur famille ni aux drames humains liés à la vulnérabilité comme le non accès à un logement ou le fait d'être confrontée à la violence conjugale!", écrivent les associations qui ont cosigné une lettre ouverte. Les co-signataires craignent que la systématisation du dépistage et de la prise en charge des femmes enceintes dites "vulnérables" grâce à un outil diagnostique informatique permette surtout de tracer l'ensemble des femmes enceintes en Belgique. "En effet, le projet initialement limité à Bruxelles, s'étend à présent sur l'ensemble du territoire puisque Born in Brussels est devenu Born in Belgium professionals. Ceci, sans qu'il y ait eu d'évaluation réelle de son impact ni de son efficacité, mais aussi en l'absence de concertation entre le Fédéral et les Régions pourtant compétentes en matière de prévention", commentent Pierre Bernard (Collège royal des gynécologues obstétriciens de langue Française de Belgique), Vanessa Wittvrouw (Union professionnelle des sages-femmes belges), Anne Niset (Association francophone des sages-femmes catholiques) et Ingrid Morales (ONE). Certains s'étonnent aussi des moyens importants dont dispose la plateforme pour organiser des symposiums ou implémenter son logiciel dans celui des sages-femmes. Les experts de la périnatalité pointent un manque de garanties au niveau de la protection des données: ce programme nécessite l'encodage de données nominatives (sur base du numéro NISS), pour renseigner les vulnérabilités des femmes enceintes. "Cet outil de "screening" définit, via un algorithme, les services les plus aptes à résoudre le(s) problème(s) identifié(s). La base de données constituée est actuellement hébergée exclusivement dans une institution universitaire, dont la propriété et la gestion ne sont pas clairement définies. Alors même que l'actualité démontre que la Belgique est en défaut sur la réglementation générale de protection des données, quelles sont les garanties en ce qui concerne la conservation de ces données et leur utilisation? Quid du droit à l'oubli? Une situation de vulnérabilité n'est-elle pas supposée pouvoir évoluer? Si cet outil informatique n'a comme seul objectif une aide à la première ligne, nous nous étonnons qu'il ne puisse pas être anonyme, afin de ne pas étiqueter une personne."Par ailleurs, l'ONE dispose déjà d'informations sur les patientes vulnérables, via sa banque de données médicosociales et le Cepip, mais l'office ne les regroupe pas dans une base de données couplée aux dossiers médicaux. Les professionnels de la périnatalité soulignent qu'ils n'ont pas attendu le BIP pour se préoccuper de la précarité socio-économique familiale. "L'ONE offre déjà un accompagnement pluridisciplinaire à toutes les futures mères, belges ou non, vulnérables ou non, gratuitement et anonymement dans les maternités partenaires, les consultations prénatales et les plates-formes prénatales. Sans parler des consultations pour enfants et des milieux d'accueil. Les sages-femmes sont au plus proche des familles et offrent un suivi contenant dès le début de la grossesse et jusqu'au un an de l'enfant. Les gynécologues et les médecins traitants, bien qu'ayant un angle plus médical, restent attentifs aux vulnérabilités et activent le réseau au besoin. D'autres professionnels tels que les psychologues, les assistantes sociales, les services spécialisés... viennent compléter ce maillage", rappellent les co-signataires. Et d'ajouter que les vulnérabilités sont dépistées et accompagnées par la mise en place de structures spécialisées, comme par exemple, les services d'accompagnement périnataux, subventionnés par l'ONE, chargés de soutenir les femmes et leurs familles quand elles présentent des difficultés. "Les situations de vulnérabilités qui ne sont actuellement pas dépistées sont celles qui ne s'inscrivent pas dans un suivi prénatal et fuient le monde médical. Force est de constater que l'outil proposé n'y apporte aucune solution. Identifier les femmes vulnérables sans leur proposer de solutions pérennes est contraire à l'éthique. La difficulté n'est pas tant de dépister et trouver un service adéquat, que de trouver un service accessible pouvant apporter une solution dans un temps limité, le temps de la grossesse." Les co-signataires soulignent que les structures de prise en charge spécifiques sont déjà débordées par manque de moyens. "De nombreux enfants sont hospitalisés faute de places suffisantes dans les structures d'accueil. Des femmes enceintes attendent une place en maison maternelle, en unité mère-enfant. Le besoin est dans l'aide à la personne, pas dans son enregistrement dans une base de données. Seul le refinancement des structures existantes permettra d'aider ces familles."Les co-signataires regrettent l'absence de concertation avec les professionnels de terrain, faisant fi des stratégies existantes et ayant fait leurs preuves, et entre les différents niveaux de pouvoir. "Ce projet constitue un gaspillage d'argent et de ressources. Il ouvre une voie royale vers une médecine à deux vitesses." Le Pr Pierre Bernard, Vanessa Wittvrouw, Anne Niset et le Dr Ingrid Morales demandent au monde politique, une évaluation sérieuse de BIB-P, une évaluation à laquelle participeraient des professionnels qui connaissent le métier en Fédération Wallonie-Bruxelles. "Une réunion est prévue ce jeudi 27 janvier avec le Cabinet du ministre Vandenbroucke, les responsables du projet BIB-P et les cosignataires de la lettre ouverte", confie le Dr Morales au jdM. Cette réunion semble indispensable pour accorder les violons puisque le projet BIP-P n'a encore jamais fait l'objet d'une CIM santé, d'une réunion intercabinets ou d'une discussion au Parlement.