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Pourquoi parler de renouveau? Pour y répondre, Laëtitia Vanderijst reprend une citation de Stanislav Grof, psychiatre tchèque spécialiste de la recherche sur les états modifiés de conscience: "Les psychédéliques, utilisés de manière responsable et avec les précautions qui s'imposent, seraient, pour la psychiatrie, ce que le microscope est pour la biologie et la médecine." Le journal du Médecin: Quels sont les usages des psychédéliques? Dre Caroline Depuydt, directrice médicale Clinique Fond'Roy: Les psychédéliques sont des substances extrêmement puissantes, à utiliser avec sagesse et dans un encadrement serré. Certains estiment qu'il faudrait les libéraliser de façon large, ce n'est pas mon cas. On distingue l'usage récréatif (MDMA...) - que je déconseille formellement -, l'utilisation dans un cadre "spirituel" d'exploration de soi et le cadre thérapeutique. Ces substances étant encore interdites en Belgique (sauf l'eskétamine), elles ne peuvent être utilisées que dans le cadre d'un protocole de recherche, tel que l'étude menée par Laëtitia Vanderijst sur le sevrage de l'alcoolisme au CHU Brugmann (lire JdM du 6/9/2024). Les psychothérapies assistées par la psilocybine sont utilisées dans la dépression résistante, les abus et dépendances, l'anxiété liée aux maladies en phase terminale ; la MDMA, dans les troubles de stress post-traumatique. Il y a d'autres indications potentielles: ces substances jouent sur la flexibilité mentale, on ne se focalise pas sur un diagnostic, mais plutôt sur des processus mentaux. Ainsi, dans les troubles des conduites alimentaires, on sait que la rigidité mentale est à l'avant-plan, on peut donc imaginer que des psychédéliques peuvent permettre le travail thérapeutique. Laëtitia Vanderijst, psychologue, chercheuse FNRS ULB: On parle de flexibilité psychologique et de savoir incarné: dans les expériences psychédéliques, on vit quelque chose, pas seulement au niveau cognitif mais aussi au niveau somatique et émotionnel. Les personnes témoignent ressentir de l'autocompassion, ce qui peut chambouler un processus thérapeutique. Les psychédéliques sont-ils dangereux et addictifs? C. D.: C'est une des grandes réticences, il faut les utiliser avec prudence. La dangerosité d'une substance est classée selon quatre critères: le pouvoir addictif, le préjudice causé au consommateur, le préjudice causé à la société et le rapport dose efficiente/dose létale. En termes de mortalité et morbidité, l'alcool est le plus dangereux, suivi par l'héroïne, le crack, la cocaïne, les benzodiazépines, la kétamine... La plus létale, c'est l'héroïne. Les psychédéliques arrivent en bas du classement, leur ratio de létalité est très faible: 1/1.000 pour le LSD et la psilocybine (vs 1/10 pour l'alcool et 1/21 pour le tabac). Est-ce addictif? Ces produits activent peu le circuit dopaminergique (sauf la MDMA), ce qui provoque moins de dépendance. La psilocybine active principalement les récepteurs sérotoninergiques, mais il y a une tolérance très rapide. Tout ça rend ces produits relativement peu addictifs, même si on voit les problèmes de la kétamine en rue, mais elle est alors souvent mélangée à d'autres substances. Quels effets provoquent-ils? C.D.: Un état de conscience modifié, principalement une intensification de l'expérience émotionnelle vécue, une hyperassociation et un estompage ou une dissolution des limites du corps ou de l'ego, qui peut aller vers des états mystiques, une profonde connexion avec le monde. La psilocybine provoque des modifications de la perception, le LSD induit un peu de béatitude, d'expérience mystique, la MDMA a des effets empathogènes et entactogènes. On distingue les effets immédiats qui peuvent durer cinq à dix heures (modifications de la perception, de la cognition et des émotions), les effets résiduels pendant quelques heures à quelques jours (état d'amélioration psychologique), puis les effets thérapeutiques à long terme. Ces molécules créent une fenêtre de plasticité neuronale: les connexions se font plus, on trouve plus de nouvelles solutions et l'accompagnement thérapeutique à ce moment-là peut donc être particulièrement riche. Certains patients ont l'impression d'avoir fait 15 ans de psychothérapie en un week-end! Comment se déroule une thérapie assistée par psychédéliques? C.D.: Il y a trois étapes clés: préparation, administration et intégration. Pendant la préparation, on évalue la demande, les attentes et motivations du patient et surtout, on l'informe sur la substance et ses effets. Quand on prend des psychédéliques, il y a deux grandes peurs, devenir fou et mourir. Ces deux impressions arrivent régulièrement, mais on ne reste pas coincé dedans, il faut donc pouvoir accompagner, prévenir et donner à la personne l'idée que c'est important d'accepter l'imprévu. On obtient le consentement éclairé et on évalue les indications, interactions médicamenteuses et contre-indications notamment psychiatriques (troubles psychotiques et bipolaires, trouble de la personnalité grave...). Dans la séance d'administration, le set et le setting sont essentiels. Le set fait référence à l'état mental de la personne, ses attentes, sa préparation psychologique, la relation de confiance avec les thérapeutes. Le setting correspond à l'environnement physique et social dans lequel la session se déroule (chambre chaleureuse...). Le patient se couche avec un masque sur les yeux et un casque de musique (la playlist est très importante). Les patients reçoivent des doses de psilocybine de 15 à 25 mg ou une dose de LSD (100 à 200µg). La dose de MDMA (75 à 125 mg) peut se donner en une ou deux prises (booster pendant la séance). L. V.: Un thérapeute est toujours présent pendant les six à huit heures de l'expérience. On accompagne sans intervenir dans le processus, sauf à la demande du patient ou s'il y a une détresse très importante. Quels sont les risques? C. D.: Il ne faut pas idéaliser ces substances, comme avec tous les médicaments, il y a des effets secondaires: anxiété, flash-backs temporaires ou récurrents (troubles persistants des perceptions). C'est extrêmement rare, mais pas inexistant. Il y a le syndrome sérotoninergique, des effets secondaires physiques (palpitations, augmentation de la pression artérielle et de la température corporelle, céphalées, nausées...). À quoi sert l'intégration? C. D.: L'intégration a pour but d'aider le patient à mettre du sens sur l'expérience subjective vécue et à l'utiliser au profit de son travail psychothérapeutique. Cela peut inclure la définition de nouveaux comportements, la réévaluation des croyances ou l'élaboration de nouvelles stratégies d'adaptation. C'est une des questions que posent les thérapeutes: "Quelle est la première chose que vous allez mettre en place?" Après les séances d'intégration, il y a un suivi régulier pour s'assurer que le patient continue à bénéficier des effets positifs de l'expérience. Par exemple, en réécoutant la playlist, il peut revivre un peu cet état, de nouvelles révélations peuvent naître des mois, des années après... Le travail psychothérapeutique est sans fin. L. V.: Ce n'est pas une pilule magique, il faut avoir une part active dans le processus. Parfois, les psychédéliques peuvent nous confronter à des réalités inconfortables, ça peut être difficile pour l'ego, ça nécessite d'avoir une personne ressource. Parfois, les gens vont aller mieux pendant un temps limité, il est intéressant de profiter de cette période pour implémenter des changements structurels. Faut-il avoir soi-même fait l'expérience psychédélique pour accompagner des patients? C. D.: Beaucoup le recommandent parce que l'état modifié de conscience sous psychédéliques est difficile à décrire. On ne peut évidemment pas conseiller ça dans un pays où ce n'est pas légal. Ceci dit, il y a différentes façons de vivre des états conscience modifiés sans prendre de substances: par la méditation, la respiration éleutropique, la trans cognitive auto-induite... En même temps, en tant que psychiatre, je n'ai pas essayé les neuroleptiques, ni les benzos...