En Belgique, une centaine de cabinets de médecins généralistes participe à la surveillance épidémiologique de plusieurs problèmes de santé, infectieux ou non, en transmettant des données qui aident les responsables politiques à définir les priorités et à évaluer la politique de santé.
...
Le journal du Médecin: En 1979, pourquoi a-t-on décidé de créer un 'réseau de médecins généralistes vigies'? Sherihane Bensemmane, coordinatrice du réseau: À l'époque, il n'y avait pas de collecte de données via les médecins généralistes, mais il y avait une demande pour disposer d'un système de surveillance en première ligne, qui permette de détecter plus précocement les problèmes. Ce réseau sentinelle permet donc de collecter des données de santé au niveau de la première ligne de soins via les médecins généralistes et de rendre visible ce qui se passe dans la population générale sur le plan de la santé [1]. L'objectif étant d'aider les responsables politiques à définir les priorités et à évaluer la politique de santé. Par ailleurs, ce réseau répond aussi à des demandes officielles: par exemple, le reporting des syndromes grippaux/IRA est une obligation, la Belgique doit collecter ces données pour des instances nationales et internationales (comme l'ECDC, par exemple). Comment fonctionne le réseau? Il y a deux parties: la surveillance virologique et l'enregistrement de thématiques infectieuses et non infectieuses. Pour la surveillance virologique, les médecins prélèvent des échantillons nasaux sur leurs patients symptomatiques et les envoient au laboratoire de Sciensano. Pendant l'hiver, on fait un séquençage de 16 virus différents et pendant la période estivale, de deux: le VRS et le covid-19. Pour l'autre partie, les médecins vigies enregistrent directement via une plateforme en ligne des données sur diverses thématiques. Certaines, comme les infections respiratoires aigües (IRA) et les syndromes grippaux, sont suivies de manière continue, d'autres sont étudiées à intervalles réguliers. Pour la surveillance hebdomadaire des syndromes grippaux/IRA et gastro-entérites, les médecins remplissent un formulaire qui reprend le nombre de cas par semaine et tranches d'âge. Ensuite, il y a des thématiques annuelles choisies par le comité d'accompagnement composé par les Régions, des représentants de MG (Domus Medica, SSMG) et des départements universitaires de MG et quelques MG du réseau. Cette année, il s'agit des infections sexuellement transmissibles, de la varicelle/zona ou névralgie post-zostérienne, des morsures de tiques et/ou suspicion de la maladie de Lyme et de la planification anticipée des soins. Ici, le médecin remplit un questionnaire chaque fois qu'il rencontre un nouveau cas en consultation. Par exemple, les chutes chez les personnes âgées ou les psychotropes... Oui, pour les chutes chez les plus de 65 ans, la collecte des données a eu lieu entre 2019 et 2021 et le rapport, intitulé "Épidémiologie, facteurs de risque et prévention des chutes chez les personnes âgées en soins primaires", est sorti l'année passée [2]. Pour les psychotropes, la collecte des données s'est arrêtée en mars 2024, je suis en train de les analyser. Que faites-vous des données? Elles sont utilisées à différents niveaux. Sur notre site, pour les syndromes grippaux/IRA et la gastro-entérite aiguë, un graphique est mis à jour de manière hebdomadaire. Par ailleurs, les médecins du réseau reçoivent un feedback annuel individuel sur les données de leur pratique, en comparaison avec le reste du réseau. Les données sont également reprises dans divers rapports. Pour les morsures de tiques et suspicions de Lyme, les données des médecins vigies sont incluses dans des rapports annuels qui reprennent celles des laboratoires sentinelles et d'autres sources. Nos données sont ainsi complémentaires à d'autres. Notre réseau est par exemple le seul qui permette d'avoir des informations sur l'érythème migrant. Nous présentons également nos résultats lors de conférences nationales ou internationales (Wonca, European Public Health Conference...), lors de Glems ou via d'autres canaux (par exemple, pour les psychotropes, le projet Belpep). On collabore avec les universités dans le but d'améliorer les prises en charge ou les connaissances sur ce qui se passe en première ligne de soins. Enfin, on publie dans des revues scientifiques nationales ou internationales. Combien y a-t-il de médecins vigies? Actuellement, 70 cabinets participent régulièrement au réseau. Le but du réseau est de couvrir à peu près 1% de la population générale au niveau national, régional, provincial et si possible des arrondissements. On aimerait recruter plus de généralistes pour atteindre ce minimum de 1%, voire plus, et améliorer la représentativité du réseau qui varie selon les régions. L'ouest de la Flandre et le sud de la Wallonie sont déficitaires en médecins vigies, ce qui correspond aux zones où il y a le moins de MG en Belgique. Quel est l'âge moyen des médecins vigies? Il est plutôt élevé parce qu'il suit la tendance de la population de MG. Mais on a de plus en plus de jeunes qui rejoignent le réseau, à l'exemple du Dr Benjamin Michel (à lire dans notre prochaine édition). En 2023, parmi les médecins réguliers, l'âge médian était de 62 ans, avec un intervalle de 45 à 68 ans. Lors de la création du réseau, les participants étaient plutôt jeunes, ils commençaient leur pratique. Ces dernières années, on a multiplié les initiatives pour recruter des médecins afin de rajeunir le réseau et l'agrandir. De façon générale en Belgique et en particulier en soins primaires, il n'y a pas assez de professionnels de santé. Cette situation s'observe forcément dans le réseau, d'une part parce que les médecins sont surchargés de travail et d'autre part, parce que le réseau est méconnu. Quand on ne sait pas à quoi ça ressemble, on imagine toujours que c'est beaucoup plus compliqué qu'en réalité. Que diriez-vous pour convaincre des généralistes de s'engager dans cette surveillance? Je leur dirais qu'il ne faut pas avoir peur du réseau. Ceux qui s'intéressent à la santé publique seront attirés par un projet comme celui des médecins vigies. Mais on peut aussi leur dire que les rapports annuels individuels envoyés aux participants leur permettent d'avoir d'autres informations complémentaires sur leur pratique et de la comparer au reste du réseau. S'ils le désirent, ils peuvent participer au comité d'accompagnement pour choisir les thématiques à surveiller, ou faire partie du groupe d'auteurs collaboratifs selon les publications. Les membres du réseau ont accès à des webinaires internes accrédités qui leur permettent d'être informés et de discuter des données en groupe restreint. Il y a une petite compensation financière (300 euros si au moins 26 semaines de participation par an), cependant la motivation principale est de participer à l'effort de santé publique. D'autre part, c'est flexible, l'échantillonnage virologique n'est pas une obligation. La collecte hebdomadaire des données sur la grippe consiste juste à communiquer des chiffres et on envoie un e-mail de rappel chaque semaine avec tous les liens pour introduire les données. On essaie d'être proches des médecins du réseau et de répondre à leurs difficultés. En résumé, être médecin vigie est utile pour la médecine générale, et cela permet de s'approprier la surveillance et l'utilisation des données. C'est une façon d'avoir une image plus globale de ce qui se passe en première ligne dans notre pays.