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Madame G.T. souffre, depuis l'adolescence, d'un trouble de la personnalité et de l'humeur, pour lequel elle a été suivie par plusieurs psychiatres. Cette dépression chronique, fondée sur une psychotraumatisation, génère une souffrance psychologique insupportable dont il résulte notamment un isolement social prononcé, une mauvaise relation avec ses enfants et une attitude amère envers la vie que ni la psychothérapie ni un traitement médicamenteux ne peuvent plus apaiser. Cet état de fait conduit l'intéressée à formuler une demande d'euthanasie auprès de son médecin généraliste, lequel, ne voulant pas endosser le rôle de médecin traitant dans le cadre d'une telle procédure, la réfère au professeur D. Ce dernier constate qu'elle est gravement traumatisée, qu'elle présente un trouble grave de la personnalité et de l'humeur et qu'elle ne croit plus à un rétablissement ou à un traitement. Au terme de leur entretien, il accepte de devenir son médecin traitant dans le cadre de la loi relative à l'euthanasie et l'oriente vers la docteure V., une psychiatre, pour agir en tant que médecin consultant au sens de la loi sur l'euthanasie. Après avoir relevé que les perspectives de la patiente sont effectivement sombres, la docteure V. estime cependant que la demande d'euthanasie est prématurée et propose donc à la patiente de changer de psychiatre. Le psychiatre auquel elle la réfère, le professeur D., étant injoignable, son médecin traitant dans le cadre de la procédure d'euthanasie l'oriente vers un autre psychiatre à qui la patiente réitère encore son souhait d'euthanasie après avoir expliqué sa souffrance et son isolement social et familial. À chaque consultation et stade du processus de clarification de la demande d'euthanasie, Mme G.T. fait part de sa souffrance intense et se montre très claire et lucide sur sa volonté. Il lui est à diverses reprises suggéré de prendre contact avec ses enfants pour qu'ils puissent l'accompagner dans ce processus, ce qu'elle refuse systématiquement. Finalement, elle adresse un courriel à ses enfants les informant de sa souffrance depuis 40 ans et de sa volonté d'une fin de vie digne, volonté que sa fille lui répond respecter. Son fils n'a, quant à lui, apparemment pas répondu à ce courriel à supposer qu'il ait été porté à sa connaissance. Le processus poursuit son cours. Le psychiatre traitant de l'intéressée indique encore qu'il n'existe, selon lui, pas de chance d'amélioration, s'agissant d'un problème chronique et grave avec un pronostic défavorable. À l'issue dudit processus, Mme G.T. introduit une demande manuscrite formelle d'euthanasie. Le même jour, il est formalisé que le professeur D. est le médecin traitant dans le cadre de la demande d'euthanasie et la docteure V. rédige un rapport dans lequel elle indique que l'intéressée l'a consultée à plusieurs reprises au sujet de sa demande d'euthanasie sur la base de souffrances insupportables et sans espoir. Selon elle, l'intéressée était raisonnable et lucide. La docteure V. note que le professeur D. a, en vain, encouragé l'intéressée à contacter ses enfants. Après avoir constaté qu'il n'y a aucune pression de la part de tiers, la docteure V. estime que Mme G.T. peut être assistée pour mourir. Malgré les recommandations faites par les médecins, Mme G.T. refuse tout contact avec ses enfants à qui elle adresse une lettre d'adieu. L'euthanasie est donc pratiquée et la Commission fédérale de contrôle et d'évaluation reçoit le document d'enregistrement d'euthanasie rempli par le professeur D. qui en est le coprésident, et conclut que cet acte a été effectué dans le respect des conditions légales. Suite au décès de sa mère, son fils se retrouve, selon ses explications, dans un état de deuil pathologique, faute d'avoir pu dire adieu à sa mère. Il introduit une plainte au pénal. Sur base du rapport de l'expert désigné par le juge d'instruction, la Chambre du conseil estime qu'il n'y a pas lieu à poursuite. Le fils endeuillé saisit la Cour européenne des droits l'homme qui est notamment appelée à se prononcer sur le (non) respect par l'Etat belge de l'article 2 de la Convention consacrant le droit à la vie qui impose à l'État l'obligation non seulement de s'abstenir de donner la mort "intentionnellement" (obligation négative), mais aussi de prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction (obligation positive). Selon le fils, la situation de sa mère démontrerait que le cadre prévu par la loi ne fournit pas une garantie effective pour protéger le droit à la vie des personnes vulnérables. La loi n'aurait, en effet, pas empêché sa mère de se défaire de son médecin traitant et de consulter de nouveaux médecins au cours d'une courte période de quelques mois, jusqu'à ce qu'elle trouve des médecins disposés à l'euthanasier. Le médecin qui a pratiqué l'euthanasie aurait d'ailleurs accepté de le faire après que l'association Leif dont il fait partie ait reçu un don de 2 500 euros, ce qui démontrerait un conflit d'intérêts évident. En outre, il soutient que sa mère n'aurait pas été dans une situation médicale sans issue et que le deuxième médecin consulté n'aurait pas été indépendant à l'égard du premier dans la mesure où ils étaient membres de la même association. Enfin, il fait valoir qu'il n'y a pas eu d'enquête effective sur les circonstances de l'euthanasie puisque le médecin ayant procédé à l'euthanasie de sa mère était le coprésident de la commission chargée d'établir si l'acte en question avait respecté les prescrits de la loi. Après avoir examiné le cadre législatif belge et constaté l'absence de contrôle préalable à l'acte d'euthanasie par une instance indépendante, la Cour précise qu'elle devra donc redoubler de prudence lors de l'examen des garanties légales. Ainsi, après examen minutieux, elle note cependant que le cadre législatif permet d'assurer que la décision d'un individu de mettre fin à ses jours a été prise librement et en toute connaissance de cause avec notamment des garanties supplémentaires en présence de souffrances psychiques et où le décès n'interviendra pas à court terme. Le cadre permet également de s'assurer de l'indépendance des différents médecins consultés, tant à l'égard du patient qu'à l'égard du médecin traitant. S'agissant de la situation médicale de la patiente, la Cour qui ne peut se substituer au corps médical ne peut que relever les consultations de plusieurs spécialistes qui ont vérifié la lucidité de la patiente ainsi que le caractère volontaire, réfléchi et répété de la demande, l'absence de pression de la part de tiers et l'état de souffrances insupportables et sans espoir. Par ailleurs, en ce qui concerne le don de 2 500 euros au profit de l'association Leif quelques semaines avant de mourir, il ne peut être la preuve d'un quelconque conflit d'intérêts, d'autant que le montant est fort modéré. De la même manière, le fait que les médecins consultés étaient membres de l'association Leif dont le but est d'assurer à toute personne une fin de vie digne ne met pas à mal leur indépendance dès lors qu'un grand nombre de médecins, dont ceux qui prennent des responsabilités dans le cadre des demandes d'euthanasie, ont suivi des formations assurées par cette association. La Cour européenne rejette donc en grande partie l'argumentation du fils de la défunte en mettant en avant les garanties qui entourent la procédure d'euthanasie qui, dans son ensemble, n'est pas critiquable. Cependant, il reste un dernier grief qui porte sur la question de savoir si la Commission pouvait se prononcer de manière indépendante sur la légalité de l'euthanasie impliquant son coprésident, le professeur D., qui ne s'est pas récusé. La loi prévoit, en effet, que ce n'est qu'en cas de doute sur la légalité de l'euthanasie pratiquée que l'anonymat est levé et qu'une récusation peut intervenir. En dehors de cette hypothèse, la récusation n'est pas prévue car elle impliquerait l'identification du médecin interventionniste et donc la levée de l'anonymat. Ainsi donc, la procédure n'empêche pas le médecin qui a pratiqué l'euthanasie de siéger dans la Commission et de voter sur la question de savoir si ses propres actes étaient compatibles avec les exigences matérielles et procédurales du droit interne. Or, pour la Cour, cela ne peut se justifier par la préoccupation susmentionnée relative à l'anonymat à laquelle il peut être remédié par d'autre système, par exemple en composant la Commission d'un nombre de membres plus important que le nombre de ceux qui siègent pour l'examen de chaque affaire. Cela permettrait d'assurer qu'un membre de la Commission qui a pratiqué une euthanasie ne puisse pas siéger lorsque la Commission contrôle l'euthanasie en question. Ainsi, la Cour considère que laisser à la seule discrétion du membre concerné la décision de garder le silence lorsqu'il constate qu'il était impliqué dans l'euthanasie faisant l'objet du contrôle, comme l'a fait le professeur D. ne saurait être considéré comme suffisant pour assurer l'indépendance de la Commission. Sur ce point circonscrit, la Cour conclut à la violation de l'article 2 de la Convention. En conclusion, la loi relative à l'euthanasie, même si elle n'est pas exempte de tout grief, est, dans son ensemble, satisfaisante. Dans un précédent numéro (lire JDM n°2738 - décembre 2022), nous avions examiné un arrêt de la Cour constitutionnelle du 20 octobre 2022 par lequel cette juridiction avait estimé que le système de sanction mis en place par la loi avait des effets disproportionnés au regard de l'objectif du législateur consistant à veiller à ce que le médecin concerné respecte strictement les conditions et procédures légales. Dans l'affaire ayant mené à l'arrêt de la Cour constitutionnelle, le grief portait sur une trop grande sévérité de la loi sur le plan des peines en cas de non-respect d'une condition strictement formelle (par opposition à une condition de fond) soit celle visant à permettre un contrôle a posteriori, par la Commission fédérale de contrôle et d'évaluation ou par les autorités judiciaires, des circonstances concrètes dans lesquelles l'euthanasie a été pratiquée, comme le fait que la demande d'euthanasie doit être actée par écrit ou encore qu'il faut procéder à une déclaration à la Commission fédérale de contrôle et d'évaluation. Au contraire, dans l'affaire dont était saisie la Cour européenne des droits de l'homme, c'est la permissivité au niveau de la procédure de contrôle qui a fait l'objet d'un constat de violation de la Convention. Qu'il soit conclu à une trop grande sévérité ou permissivité, force est de constater que c'est sur des points bien circonscrits que les griefs ont été déclarés établis ; la loi étant pour le surplus respectueuse des normes supérieures.