...

Voyons d'abord les choses d'en bas. Tout malade doit s'appuyer sur ses propres bâtons de savoirs et de pouvoirs pour choisir un médecin et les lui tendre pour obtenir un rendez-vous. En Belgique, la liberté de choix du médecin existe toujours, encore faut-il savoir lequel, généraliste ou spécialiste? Toutes les brûlures d'estomac ne relèvent pas du gastroentérologue, toutes les douleurs thoraciques ne relèvent pas du cardiologue. Voilà pourquoi des représentants de généralistes relayés par des mutuellistes, des hauts fonctionnaires et des politiques réclament le passage obligé par un médecin généraliste censé guider le malade vers le spécialiste adéquat. Inutile de vous dire que les représentants des spécialistes s'y opposent avec un large soutien de celles et ceux qui veulent rester libres. De toute façon, les vraies urgences étant souvent difficiles à déceler, contre l'incertitude, aucune règle liberticide ne tient. En outre, incertitudes et opinions contraires allant de pair, la liberté devient plurielle. Elle n'est pas la même au téléphone avec le 112, face au pompier, à l'ambulancier ou au médecin des urgences. Obtenir un rendez-vous devient un véritable parcours du combattant. Des médecins même jeunes disent ne plus vouloir prendre de nouveaux patients, pour cause de surcharge administrative ou d'équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Il semble qu'une majorité s'installe dans des routines programmées pour des mois et que seuls de courageux enthousiastes acceptent de rester flexibles. Innovation prometteuse, des plateformes de rendez-vous permettent à chacun de trouver son bonheur, à condition d'y mettre du sien. De plus en plus de technologies et d'aptitudes à les utiliser entrent dans la composition des bâtons de savoirs et de pouvoirs. Question de temps sans doute, avec un peu d'entraînement, les uns et les autres devraient mieux tracer les chemins qui leurs conviennent dans les dédales d'opinions contraires. À la condition expresse que les autorités leur en laissent le choix. Changeons de perspective, mettons-nous à leur place. Les bâtons de savoirs et de pouvoirs des hauts dirigeants se composent toujours d'aptitudes physiques et mentales mais qualitativement et proportionnellement différentes de celles exigées face aux réalités de terrain. Alors que ceux d'en bas doivent réagir immédiatement à des situations concrètes, ceux d'en haut lancent leurs décisions après d'interminables discussions, à coups de lois et de circulaires relayées par des intermédiaires eux-mêmes très distants des pratiques. Avec toujours des enjeux d'intérêts sous-jacents. Dans la Belgique déjà si petite, les bâtons de savoirs et de pouvoirs se colorent d'idéologies, de croyances et de cultures secouant l'édifice social depuis sa fondation. Si quelque chose nous distingue, c'est la coexistence de contraires férocement opposés mais sans que jusqu'ici aucun ne l'emporte complètement sur les autres. Grâce aux libertés plurielles, miracle du surréalisme belge?