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Naître sourd à la vie, mais n'être sourd au monde. Tel est le destin de Malgorne, délesté de l'ouïe et la parole, fils d'une mère fragile qui préférera plonger dans celle du Nord. L'enfant grandira d'ailleurs au sein de l'asile qui l'accueillait, dirigé par un médecin potentat, fasciné par la beauté autant que par la folie de la parturiente défunte. Et tandis que l'enfant (au père? ) s'élève au bord d'une falaise friable qui peu à peu s'écroule, sur le précipice entre raison terrienne, tempête intérieure et houle, le jeune homme qu'il devient aperçoit une sirène à vélo et, s'il n'entend rien, perçoit cependant les pulsions, les tremblements de son coeur. Récit méditerranéen, même s'il se déroule au Nord sans vraiment le perdre, La Sirène d'Isé d'Hubert Haddad, évoque le chant des sirènes de l'Odyssée, attirant cette fois les terriens, à terre et au bord de l'abîme. L'auteur qui a notamment consacré un essai à Gabriel Garcia Marquez voudrait lui aussi conférer à son récit un style légendaire, tout en laissant s'en échapper un parfum rappelant Patrick Süskind. Roman où se reflète parfois de belles images: " les vagues meurent d'être sauves dans un remous d'écume. (...) Chacune lève en révérence une main gantée de dentelle blanche", l'auteur y prend parfois trop le vent et se laisse porter par des rafales à la Laurent Gaudé. Si, devenu jardinier, Malgorne s'occupe du luxuriant labyrinthe que son protecteur a imaginé aux abords de l'institution psychiatrique, Haddad, à son tour, par son style oriental, en arabesques, à volutes, se révèle parfois... labyrinthique. On ne se noie pas, mais emportés que nous sommes par le flot des mots, il nous projette parfois sur le rivage, loin du courant et du flot du récit. Et si cette histoire flotte et vogue, le lecteur reste à distance, sur la berge, avec l'impression de ne jamais monter à bord de ce bel esquif romanesque.