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La nouvelle étude récemment menée par le Dr Marie-Julie Nokin au Laboratoire de Recherche sur les Métastases (LRM) du GIGA-Cancer à l'Université de Liège s'inscrit dans la continuité de travaux qui ont mis en évidence le rôle du stress glycant dans la progression cancéreuse et métastatique." Bien moins connu que le stress oxydant, le stress glycant, aussi appelé stress du méthylglyoxal, joue pourtant un rôle primordial au niveau des cellules tumorales dont la voie métabolique énergétique privilégiée est celle de la glycolyse ", explique le Dr Akeila Bellahcène, qui co-dirige le LRM avec le Pr Vincent Castronovo. " Très réactif, 20000 fois plus que le glucose, ce métabolite qui se forme spontanément et inévitablement à la cinquième étape de la glycolyse, réagit avec les protéines, qui deviennent alors des protéines glyquées, avec l'ADN et les lipides. "" Si la production de ce méthylglyoxal et la formation des protéines glyquées ne sont pas contrôlées, alors les cellules sont sous stress glycant, un stress associé à un apport exacerbé de glucose, avec des effets délétères déjà épinglés dans les complications du diabète de type 2 et dans les maladies neurodégénératives telles que l'Alzheimer et le Parkinson. "Un précédent travail réalisé au LRM et publié en 2016 a permis de démontrer que le stress glycant est favorable à la progression des tumeurs et au développement des métastases." Nous avions utilisé une stratégie qui consiste à bloquer le système enzymatique de détoxification du méthylglyoxal par les glyoxalases, système dont sont équipées toutes nos cellules", poursuit Akeila Bellahcène, qui est aussi directrice de recherches du FNRS et qui a été élue présidente de l'Association belge pour l'étude du cancer, en janvier 2018." Quand nous avons inoculé à des souris des cellules cancéreuses dont nous avions inhibé l'expression de l'enzyme glyoxalase et qui avaient donc accumulé du méthylglyoxal, nous avons effectivement constaté que la tumeur progressait beaucoup plus vite et que les métastases se développaient de manière bien plus prononcée que chez les souris ayant reçu des cellules cancéreuses sans cette inhibition. "Pour la nouvelle étude, l'équipe liégeoise a utilisé le même modèle de cellules mammaires rendues déficientes pour la détoxification du méthylglyoxal mais cette fois elle leur a appliqué la technique de séquençage de l'ARN à haut débit." Nous avons alors identifié une signature d'expression génique du stress glycant. Surexprimés ou sous-exprimés, les gènes impliqués ont été classés selon leur fonction biologique et nous avons remarqué que beaucoup d'entre eux étaient liés au potentiel invasif des cellules, ce qui corrélait bien avec notre étude précédente. Nous avons aussi observé que cette signature pro-métastatique comprend notamment une série de gènes dont l'expression induit des modifications de protéines de la matrice extracellulaire, y compris certains collagènes connus pour favoriser la migration et l'invasion des cellules cancéreuses mammaires. "" De plus, nous avons découvert que les cellules cancéreuses sous stress glycant présentent une activation de protéines kinases régulatrices de voies de signalisation cellulaires. Dans une cellule normale, l'activité de ces kinases est strictement contrôlée par des enzymes appelées phosphatases. En regardant notre signature génique, nous avons remarqué que l'expression de plusieurs phosphatases est inhibée par le méthylglyoxal, ce qui expliquerait le maintien de kinases super-activées au niveau des cellules cancéreuses. Ultime trouvaille : l'inhibition du stress du méthylglyoxal est possible grâce à la carnosine, une molécule dont les effets anti-métastatiques ont également été démontrés au LRM. "Ces résultats offrent de belles perspectives de recherche. Entre autres, valider la signature d'expression génique liée au stress du méthylglyoxal dans d'autres types de tumeurs et vérifier si elle peut être prédictive d'une récidive ou d'une résistance au traitement. Ou encore examiner de manière plus précise si la régulation de l'expression des phosphatases peut expliquer l'effet procancéreux du stress glycant." Enfin, nous aimerions étudier le stress du méthylglyoxal au niveau du cancer hépatocellulaire dont la fibrose est une composante importante, sachant aussi que les collagènes sont un élément constitutif de la fibrose ", ajoute le Dr Bellahcène." Le stress glycant ne serait-il pas un élément déclencheur de cette fibrose ? Si c'est le cas, nous pourrions alors tester dans ce type de cancer les effets d'analogues synthétiques de la carnosine. C'est peut-être l'avènement d'une nouvelle thérapie anti-cancéreuse... "