Le "baromètre de résilience des soins de santé", réalisé par la firme BD, classe la Belgique 35e sur 100 pays à travers l'Europe, le Moyen-Orient et l'Afrique (EMEA). Soit en queue de peloton des pays européens. D'aucuns, à l'instar du Dr Gilbert Bejjani, estiment que le système de soins de santé belge, si rien n'est fait, pourrait connaître le même sort que le NHS anglais qui s'est effondré ces dernières années.
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Bien que la Belgique offre un accès dans l'ensemble satisfaisant à des soins de santé, le pays fait face à d'importants défis en matière de sécurité des patients, de surcharge du personnel soignant et d'efficacité. D'après le baromètre de résilience de BD, qui a scruté ces trois indicateurs en particulier, la Belgique se classe 35e sur 100 pays de la région EMEA. Ce classement place le pays derrière de nombreux autres pays européens, notamment la France, l'Allemagne et les pays scandinaves qui briguent, comme souvent, la tête du classement. Le baromètre met en lumière les lacunes de la Belgique concernant la résilience. D'abord en matière de sécurité des patients (1er pilier). Bien que la Belgique bénéficie d'une couverture santé universelle solide, le pays pèche en matière de prévention des infections associées aux soins (IAS). Le taux d'IAS dans les hôpitaux belges atteint 9,2% des patients, dépassant la moyenne européenne de 6,8%. Ensuite, notre pays compte un taux élevé de burn out parmi les professionnels de santé (2e pilier). En 2019, le ratio patients/infirmiers dans les hôpitaux belges était de 9,4, ce qui est inférieur au ratio recommandé de 8. De plus, la Belgique obtient de mauvais résultats en matière de bien-être mental des soignants. Cependant, cette problématique ne concerne pas uniquement la Belgique: l'Union européenne connaîtra d'ici 2030 un déficit de 4,1 millions de professionnels de santé, avec 40% des médecins atteignant l'âge de la retraite dans près d'un tiers des pays de l'UE. Enfin, bien que la Belgique affiche de bons résultats en matière de dépenses publiques pour la santé et d'espérance de vie, des défis majeurs persistent en ce qui concerne l'efficacité (3e pilier), notamment l'empreinte écologique des activités de santé et la production de déchets dans le secteur. Les séjours hospitaliers prolongés, qui demeurent au-dessus de la moyenne européenne, non seulement augmentent les coûts, mais contribuent également à l'empreinte écologique de notre système de santé. "Ma première réflexion, quand j'ai lu ce rapport, était de me dire que ce n'était pas le premier rapport qui va dans ce sens", commente le Dr Gilbert Bejjani, vice-président de l'Absym. "On peut discuter d'indicateurs, de classement... C'est la tendance qui se confirme rapport après rapport qui est inquiétante. En termes de résilience, ceux qui nous sont inférieurs dans le classement sont majoritairement des pays d'Afrique et du Moyen-Orient."On argumentera que le baromètre classe par exemple la Biélorussie dans les bons élèves, au même titre que la Roumanie. Est-ce pour autant que les systèmes de santé sont plus résilients dans ces deux pays? Rien n'est moins sûr. On peut faire dire aux chiffres ce que l'on veut. Il n'en reste pas moins que l'argument de l'anesthésiste est valide. "Le benchmarking fonctionne comme un outil d'amélioration de la qualité à condition que ces résultats soient discutés dans les hôpitaux et d'autres forums avec les parties prenantes pertinentes", souligne le Pr Dirk De Ridder,Director of Quality & Head of Research Health Care Policy de l' UZ Leuven."Ces chiffres sont alarmants et mettent en évidence l'urgence d'accroître la sensibilisation, d'adopter de meilleures pratiques et de recourir à des solutions innovantes", explique le Pr De Ridder, avant d'embrayer sur les lacunes: "La répartition éparse des compétences de santé est un grand problème en Belgique. La répartition des compétences de soins de santé préventifs et curatifs entre régions, communautés et fédéral mine notre capacité à agir." Autre problème, pour Dirk De Ridder: le manque de données de qualité. "La collecte de données de qualité est un problème en Belgique. Nous sommes mal organisés comparés à d'autres pays. Il faut prendre nos responsabilités.""Il ne faut pas être défaitiste. La Belgique a de nombreux points forts. Mais l'urgence est réelle", estime Gilbert Bejjani qui cite le mauvais exemple du NHS qui, faute d'être bien organisé, "s'est écroulé comme un château de cartes". "Il faut réduire les complications inutiles, le gaspillage et la redondance dans les soins", avance Gilbert Bejjani qui promeut, comme toujours pour ceux qui sont familiers de son discours, le value-based healthcare, mais aussi le rôle clé de la prévention. "Il y a de la place pour de nombreuses améliorations dans ces domaines. La technologie peut nous aider à réaliser nos objectifs."Dirk De Ridder ne dit pas autre chose. "Nous devons garder les patients hors des hôpitaux le plus longtemps possible. Il faut se concentrer sur le volet préventif et bien sûr, accueillir au mieux les patients lorsqu'ils ont besoin de l'hôpital. Pour cela, il faut revoir la formation des professionnels de la santé. Il faut une refonte complète de notre système. Nous devons faire un bond en avant. Il faut, pour cela, que des décisions soient prises pour le financement de nos soins de santé. Aucune décision fondamentale n'a été prise dans ce domaine ces dernières années."La recette, tout le monde semble la connaître: il faut faire mieux avec moins de moyens. Mais cela fait dix ans qu'on entend cette ritournelle. "Tout le monde demande plus de moyens, mais les moyens, ils sont là", insiste Gilbert Bejjani. Pour lui, il est surtout nécessaire de réduire le gaspillage et d'éliminer les redondances dans les services médicaux. Il affirme que, pour véritablement optimiser les ressources, "il faut réformer le modèle de financement".Le Pr De Ridder, quant à lui, insiste sur une approche systémique, soulignant que le problème ne réside pas seulement dans le financement per se, mais dans la configuration même du réseau hospitalier. Selon lui, c'est simple: il y a trop d'hôpitaux en Belgique. "Certaines régions en Belgique ont 500 lits pour 100.000 habitants et d'autres seulement 200", précise-t-il, illustrant une inégalité qui appelle à une restructuration des infrastructures hospitalières. "Cette situation conduit à un taux d'occupation complet dans certaines zones, alors même que d'autres régions restent déficitaires."Le financement est également perçu comme un frein à l'innovation et à l'adoption de technologies optimales. Le Dr Bejjani plaide pour une utilisation intelligente des ressources qui privilégie les investissements dans des technologies capables de réduire les coûts hospitaliers: "Il suffit simplement de prendre l'argent dévolu à l'hospitalisation et de le donner... à la technologie elle-même, mais aussi aux soignants, en guise de revalorisation."