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Le livre revient sur la victoire de la médecine pasteurienne pour analyser les rapports entre la République et la science, et met à jour les enjeux politiques et sociaux de la vaccination. Plus d'un siècle plus tard, rumeurs et fausses informations sont venues, durant le covid, secouer une société française dont les dirigeants ont parfois agi dans l'urgence, voire la précipitation, le manque de nuance, en utilisant par moment une méthode martiale... Sur base de ses recherches historiques, Jean-Luc Chappey s'essaie à un parallèle. Le journal du Médecin: L'OMS a évoqué le terme "d'infodémie" pour désigner l'épidémie d'informations fausses durant la crise du covid... Pr Jean-Luc Chappey: C'est le jeu de mots facile que les membres de l'OMS avaient trouvé pour désigner l'avalanche d'informations venues de toutes parts, et très hétérogènes, qui ont inondé les réseaux sociaux et que, malheureusement, parfois par manque de formation face à des données de plus en plus complexes d'ailleurs, les médias traditionnels et dominants ont pu reprendre. Je pense en particulier à certaines informations sur le masque. Le fait que, par exemple, le président Emmanuel Macron rende visite au Pr Raoult à Marseille au début de la pandémie n'était pas non plus un bon signal... En écrivant ce livre, cet épisode m'a d'autant plus choqué que l'on sait ce qu'il est advenu par la suite. On se dit que le Président de la République aurait dû faire montre de plus de prudence. Il y a chez Macron une sorte de côté bravache. Plus ennuyeux, il y a également ce moment où, face à une crise comme celle-là, on se tourne vers un peu n'importe qui: Raoult a pu, à un moment donné, apparaître comme un recours. Macron ne s'est pas rendu compte de l'effet qu'il a pu produire sur le monde médical: il a contribué au brouillage entre ce qu'on appelait au 19e siècle les charlatans, et les médecins. La crise du covid révèle, en France, le fossé social et régional... Un des objectifs de ce livre est de rappeler que cette question médicale relève autant du politique que du scientifique: il vaut toujours mieux mettre en place une pédagogie du vaccin avant que l'épidémie ne se produise. Ce fut tout aussi évident au moment de la peste de Marseille en 1720 que durant le covid en 2020. La communication, la pédagogie, la vulgarisation ont fait défaut... Exactement. Pendant une crise, il est toujours difficile de faire de la pédagogie. La crise ne fait que radicaliser finalement un certain nombre, non pas d'oppositions, mais de mises à distance entre le monde des savants, qui eux considèrent qu'ils n'ont pas le temps forcément de faire la vulgarisation, et le grand public. En France, le gouvernement a créé un ensemble de comités qui, parfois, ne parvenaient plus à faire ce travail de vulgarisation vers le public. Mais plus encore, ces comités ne se parlaient même plus entre eux. Il y a eu, au final, un renfermement des informations, et donc de la difficulté à faire de la politique dans ce moment de crise. Face aux mesures très strictes imposées en France, et de façon verticale, peut-on parler de jacquerie vaccinale? Le covid advient un an après les gilets jaunes: difficile, dès lors, de ne pas faire le lien. Grâce à des travaux de sociologues, on s'est aperçu qu'il existait un lien étroit, motivé par des raisons politiques: 'Je ne me vaccine pas, parce que je suis opposé à Macron, opposé à l'État'. Et il est vrai que les autorités ont réagi de manière très ferme avec des attestations, des limitations de déplacement à un kilomètre autour de chez soi... Le dossier autour de la vaccination est un dossier politique. Déclarer également que le pays est en guerre, c'est postuler qu'il n'y a pas de contestation, pas d'alternative possible. Une posture qui s'est accompagnée d'une infantilisation, comme si l'État faisait face à des adolescents rebelles, en quelque sorte? Exactement. Dans le livre, je fais la distinction entre les élites civilisatrices et le peuple enfant: l'idée a déjà prévalu au moment de la Révolution française qu'il y a des élites formées, qui savent, et puis le peuple à civiliser, à éduquer... et désormais à vacciner. De nombreux historiens des sciences mettent en garde contre cet écart qui ne fait que se creuser, et où l'on postule que désormais, les sciences sont tellement complexes que finalement elles ne peuvent plus être vulgarisées face à une population qui, au bout du compte, ne comprendrait rien. L'épisode ancien du sang contaminé, un des épisodes les plus dramatiques en santé en France, a-t-il eu un impact sur l'attitude du public? Bien entendu. Et du fait des scandales médicaux à répétition, la pédagogie est d'autant plus importante, avec la politique vaccinale, qu'un vaccin ne va pas de soi: cela ne l'était pas du temps de Pasteur, et ça l'est encore moins aujourd'hui. Qui produit les vaccins? Dans quel but? Ces questions peuvent être légitimes à poser: l'État, justement, et les partis politiques doivent se saisir de cette question et ne pas attendre qu'il y ait une crise pour initier ce débat. Comme je le montre dans l'ouvrage, du temps de Pasteur, on voit bien qu'entre le moment où vous êtes vacciné et celui où vous guérissez, il y a un laps de temps qui se produit ; des accidents peuvent parfois, bien que très rarement, survenir: tout cela, il faut l'expliquer, or très souvent, on omet cet aspect. On en arrive, dans le cas d'Emmanuel Macron, à faire cette distinction entre ce qu'il appelait 'les Amish', ceux qui étaient contre le progrès, et les autres. La devise de la République devient: 'liberté, égalité, fraternité, vacciné'? Exactement. L'expression d'une solidarité vaccinale. Le fait de se vacciner, c'est donc affirmer son appartenance à la République? Exactement, et c'est la grande victoire de Pasteur dans ce moment politique des années 1885-1900, où l'on sait que la République française est confrontée à des défis importants, le boulangisme, les crises économiques et financières. Et si Pasteur devient un grand homme, c'est aussi parce qu'il permet de recréer une Nation en écartant les extrêmes: on va mettre de côté un ensemble d'opposants, justement en valorisant ce qu'on appelait à l'époque la solidarité, c'est-à-dire l'idée que pour être un bon citoyen, il va falloir être un citoyen vacciné. La République repose désormais sur cette nouvelle solidarité vaccinale. Vous évoquez la chercheuse Jolanta Skomska-Godefroy, qui écrit que c'est durant les crises épidémiques que le vaccin est le plus contesté... Attendre la crise pour expliquer n'est jamais une bonne tactique. Au plus fort de la crise coïncide le moment où les personnes les plus fragiles sont le plus victimes de cet ensemble de désinformations, de fantasmes. Ce n'est pas à ce moment-là qu'il faut vendre le vaccin. Ceux qui se vaccinent, ce sont ceux qui sont convaincus d'avance. Et malheureusement, ils sont de moins en moins nombreux. Ce n'est pas durant une crise que vous allez convaincre les sceptiques. Beaucoup plus qu'en Belgique, en France, il y a eu à la fois la peur du virus... et du gendarme! Tout à fait. C'est la peur sur laquelle l'État a joué avec cette obligation d'attestation, notamment. Le confinement a servi d'expérience de gestion des populations de manière coercitive, on le sait, des enquêtes ont été réalisées à ce propos, mais avec des consignes complètement aberrantes, par exemple interdire aux gens de sortir lorsqu'ils habitaient face à une plage, des surveillances effectuées par drones. Ce qui est intéressant, c'est que tout cela s'accompagnait d'une sorte de résilience totale de population. Avec le recul, l'expérience paraît instructive, qui montre qu'un pays comme la France peut très vite s'ouvrir à des modes de gestion que l'on peut qualifier sinon de policière, en tout cas d'autoritaire.