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Déconfiner, reconfiner, fermer les restos ou les frontières au risque de faire s'écrouler l'économie ou de voir monter la révolte, renvoyer les élèves chez eux pour éviter les clusters au risque de voir les grands-parents à risque décimés... Avouons que les choix à faire ne sont pas aisés. Récemment encore, un collectif de "scientifiques rationnels" (1) critiquait sévèrement les mesures de renforcement de lockdown (3e semaine de congé de Pâques, rétrécissement strict de la bulle,...), mettant en évidence que l'on était déjà repassé sous la barre des 600 patients Covid hospitalisés en soins intensifs... Problème, le lendemain de leur prophétie, ce chiffre bondissait à nouveau. Le même groupe insistait sur le fait qu'il "convient de lever au plus vite l'interdiction des voyages non essentiels" puisque "prise pour éviter l'arrivée de variants en Belgique, celle-ci est, de facto, obsolète aujourd'hui". Sauf que, depuis, le variant brésilien a provoqué la suspension de liaisons aériennes directes chez nos voisins français. Et les Anglais ferment leurs frontières aux Indiens du Commonwealth. C'est pourquoi la publication cette semaine d'une étude permettant d'anticiper le nombre de décès évités grâce à une mesure de lockdown est de nature à encourager les pouvoirs publics à naviguer en disposant d'outils d'estimation plus précis. Les auteurs, Silvia Rizzia et James W. Vaupela, du Centre de dynamique des populations de l'Université du Danemark du Sud, ont notamment vérifié leur outil statistique en comparant ce qui est advenu lors de la première vague entre mars et juin 2020 au Danemark et en Suède. On sait que ce deuxième pays n'a pas adopté de mesure de lockdown, en tablant sur une immunité globale. Ce qui s'est avéré un échec lourd de conséquences, provoquant une surmortalité importante... que ce modèle aurait pu prédire aux décideurs locaux avant même qu'ils prennent leurs décisions. "Parfois, ce qui est intéressant n'est pas une prévision de l'avenir, mais une prévision de ce qui se serait passé en l'absence de choc", expliquent les auteurs, qui publient leurs résultats dans la revue de référence PNAS. "Ceux qui aiment remettre en question l'histoire demandent: supposons qu'Hannibal ait vaincu Rome ou que Napoléon ait gagné à Waterloo. Les individus se demandent parfois: que ce serait-il passé si j'avais fait quelque chose de différent ? Nous faisons des prévisions pour estimer les décès supplémentaires: les décès supplémentaires sont les décès réels moins les décès attendus si un choc majeur ne s'était pas produit."Pour la réaction des autorités lors de la première vague, la réponse est cinglante: au Danemark, les décès observés étaient 3,1% plus élevés que les prévisions "ordinaires" des morts. La pandémie de coronavirus - et les diverses interventions politiques et les changements comportementaux, sociaux, économiques et sanitaires qui en résultent - ont augmenté la mortalité danoise de 517 décès, "un modeste 1/30 de plus que ce que nous prédisons se serait produit si le Covid-19 n'avait pas frappé". La Suède est différente. Le nombre de décès était considérablement plus élevé - 32.172 décès observés, 25.927 décès prévus, soit 6.245 décès supplémentaires. La population suédoise est 60% plus grande et les décès attendus étaient également 60% plus élevés. Les décès excédentaires représentent 19,4% - près d'un cinquième - des décès observés en Suède, mais seulement 3,1% au Danemark. Si la Suède avait autant réussi que le Danemark à éviter un excès de décès, la Suède aurait perdu environ 5.200 vies de moins. Pour le professeur Yves Coppieters, de l'Ecole de santé publique de l'Université Libre de Bruxelles, si les calculs de l'équipe danoise "sont tout à fait précis sur un mécanisme appliqué à la première vague, il n'est pas certain que cette méthode soit applicable à toutes les 'vagues' ou supposées telles. Le premier lockdown a été pris très tôt, à la mi-mars, pour éviter que le nombre de lits intensifs soit dépassé, comme cela s'est produit dans l'Est de la France ou dans le Nord de l'Italie. Par contre, les lockdowns de deuxième vague ont été pris en octobre, plus tard dans l'ascension des cas constatés. L'outil danois ne prend en compte que la mortalité et pas la morbidité ou la diminution des formes graves. On sait par exemple qu'en Belgique plus de la moitié de la mortalité de la première vague a été constatée dans les maisons de repos et de soins. Ce ne fut pas du tout le cas lors de la deuxième vague, parce que d'autres mesures ont été prises. Pour le dire autrement, l'efficacité de cet outil dépend du nombre de critères que l'on peut intégrer dans le calcul. L'aspect climatique, les déterminants sociaux, la structure hospitalière peuvent influencer cette prédiction. Il n'est donc pas certain que ce soit un outil utilisable tel quel et dès maintenant." Les auteurs soulignent d'ailleurs, très honnêtement, plusieurs limitations à leurs travaux. C'est une piste prometteuse, mais pour l'avenir. Pour le professeur Coppieters, les pouvoirs publics ont "manqué des opportunités pour mettre en place des stratégies alternatives, notamment dans le secteur du spectacle, depuis qu'on est entré dans ce plateau d'infections qui se prolonge depuis une vingtaine de semaine. Il fallait agir par secteurs, ce qui aurait limité l'effet d'essoufflement et d'estompement de la norme auxquels on assiste aujourd'hui. Reconnaissons toutefois qu'il est plus aisé de juger quand les événements sont derrière nous que face aux incertitudes qui accompagnent cette pandémie".