Bébé pleure, et les parents angoissent. Faute de bénéficier des conseils avisés d'une nounou ou d'un ouvrage de référence comme en connurent les générations précédentes - l'incollable J'élève mon enfant de Laurence Pernoud - reste le recours aux applis. Tout bénéfice? Pas sûr
Des chiffres et des courbes
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Connaissez-vous Baby Manager, Baby Tracker, Bébé +? Destinées à rassurer les jeunes parents en les invitant à noter tout au long de la journée durant les premiers mois de vie de leur enfant le nombre de tétées ("deux heures et vingt-trois minutes en quatre fois, pour un total de 54 minutes au sein gauche, 1h29 au sein droit"), de changements de couches ("six fois, dont une couche "mixte" et cinq "mouillées"), les heures de sommeil ("onze heures et une minute, en six fois") et bien d'autres paramètres, ces applications répondent-elles à leur but ou deviennent-elles au contraire source d'anxiété? Ce qui est devenu habituel aux parents connectés mesurant le nombre de leurs pas, leur rythme cardiaque et les calories brûlées pendant le jogging, le monitorage strict des heures de sommeil, le deviendra-t-il pour leur bébé? Simple outil de communication entre parents au départ, l'appli Bébé Connect, a été téléchargée un million de fois depuis sa création, est disponible en 11 langues et compte aujourd'hui 100.000 utilisateurs actifs par mois, dont 80% aux Etats-Unis, talonnée par Bébé + (Philips), 22 langues, 1,1 million d'utilisateurs, dont 85.000 en France. Balisant l'itinéraire parental du simple projet de parentalité jusqu'aux premières années de leur enfant, il encourage à enregistrer et à comparer avec une grande régularité de multiples données, tout en se laissant interroger tout au long de la journée pour obtenir informations et conseils. Observer, consigner les moindres gestes de son bébé deviendrait-il une autre manière de le chérir en le numérisant? Angoissés par les questions sans réponse, quand on ne peut tout contrôler, on se rassure comme on peut. Cette surveillance presqu'obsessionnelle des rythmes, des menus événements qui font la vie d'un nourrisson peut néanmoins virer au cauchemar lorsque "les chiffres ne sont pas bons", ou qu'on oublie d'en noter faussant les courbes, une observation trop zélée se substituant petit à petit au simple bonheur de cajoler. À une surveillance imparfaite il existe de nombreuses parades, bardant les enfants d'accessoires divers allant de la chaussette connectée traquant en temps réel sur le smartphone le rythme cardiaque et le taux d'oxygénation, le moniteur inclus dans les vêtements qui avertit si le bébé se retourne sur le ventre en dormant, la caméra de vidéosurveillance à vision nocturne, le capteur d'humidité et d'analyse de la qualité de l'air, ou le transat intelligent qui berce à distance (balançoire, bascule, voyage en voiture, vague et kangourou). Bigre, avec tout cela plus besoin de nourrice. On reste perplexe devant cette avalanche. Car demeure une question sans réponse: comment quantifier un comportement aussi erratique que celui du nouveau-né, si ce n'est par l'amour et l'humour? Aux parents perdus qui s'interrogent sur la bonne attitude à adopter devant les pleurs récurrents à 17 heures ("l'heure des pères") il nous reste à leur proposer une liste souriante des mille raisons de pleurer ("aucune idée": 40%). Bébé reste une science inexacte.